La guerre entre la Ville de Montréal et son vérificateur général se déplace sur un nouveau champ de bataille: les tribunaux.

Le bureau du vérificateur a confirmé hier qu'une poursuite sera intentée de façon «imminente» contre quatre hauts fonctionnaires et le président du comité de vérification, accusés de l'avoir espionné. Ces personnes ont toutes été impliquées dans l'enquête au cours de laquelle, pendant 10 mois, on a intercepté les courriels du vérificateur, Jacques Bergeron, et filmé ses bureaux.

Dans une mise en demeure signifiée à ces personnes le 18 février dernier, les avocats de M. Bergeron avaient réaffirmé «l'illégalité du processus d'enquête» et les «intrusions» dont leur client dit avoir été victime. Ils exigeaient en outre que leur soient remis dans les 72 heures tous les documents, sous toutes les formes, obtenus lors de cette enquête. Le contrôleur général, Pierre Reid, un des fonctionnaires cités dans la mise en demeure, avait alors remis 330 documents et un disque dur de 9 gigaoctets.

Ce geste a manifestement été considéré comme insuffisant puisqu'une poursuite en bonne et due forme sera intentée «sous peu», précise de façon laconique le porte-parole du vérificateur général, Gilles Corriveau. «Il y aura des suites imminentes. Ça concerne les gens qui ont été visés par la mise en demeure. Quand ce sera disponible, ça me fera plaisir d'en parler un peu plus.»

Outre M. Reid, la poursuite vise deux autres fonctionnaires du Service du contrôle général: Yves Grimard et John Broderick, de la Division des enquêtes et analyses. Michel Nantel, conseiller en sécurité informatique, et André Harel, président du comité de vérification, sont également poursuivis.

Plainte et contrats scindés

La mise en demeure envoyée le mois dernier qualifie les actions de ces cinq personnes d'«agissements totalement illégaux et injustifiés (qui) portent également atteinte à l'intégrité et à la réputation» du vérificateur général. Les méthodes employées «s'apparentent à du piratage informatique et à des activités d'espionnage systématique».

C'est André Harel qui, du côté de la Ville, a fait le premier geste dans cette affaire qui a éclaboussé l'administration Tremblay le mois dernier. En mars 2010, le président du comité de vérification a reçu une plainte verbale anonyme sur des irrégularités administratives au bureau du vérificateur. Il en a fait part au contrôleur général, Pierre Reid, qui a procédé à une «vérification formelle» et découvert six fautes. Des contrats auraient été scindés pour éviter de faire un appel d'offres, la belle-soeur de M. Bergeron aurait reçu deux contrats de traduction, ce dernier a utilisé des ressources de la Ville à des fins autres que celles de son mandat, et il a envoyé un courriel à un journaliste pour qu'il écrive un article sur le fait qu'on lui avait retiré la responsabilité de la ligne éthique.

Le mois dernier, le conseil municipal, dominé par le parti du maire Gérald Tremblay, a demandé au ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, de «décider des suites à donner dans le cas du vérificateur à l'égard des gestes qui lui sont reprochés». Le Ministère fera ensuite ses recommandations au conseil, qui pourra alors se prononcer.

Selon ce qu'a appris La Presse, l'annonce d'une poursuite par le vérificateur général pourrait retarder tout le processus. Cette affaire ne devait cependant pas retarder le dépôt de son rapport annuel, toujours prévu fin mai.

À l'hôtel de ville, où l'on n'avait toujours pas reçu la poursuite hier en fin de journée, on estime qu'elle arrive à un mauvais moment. «On aurait souhaité que le vérificateur attende les conclusions du ministre, ç'aurait été plus sage», a déclaré Bernard Larin, porte-parole du comité exécutif.

Les honoraires d'avocats seront payés à même le budget de fonctionnement du bureau de M. Bergeron, tandis que ceux des cinq personnes poursuivies seront payés directement par la Ville.