Les médias montréalais ne sont pas tendres à l'égard de leur ville. «Les scandales s'y multiplient comme des coquerelles.» La ville est «malade», souffre de «décrépitude», «n'est plus que l'ombre d'elle-même» et se trouve dans l'«incapacité de bouger».

Ces extraits tirés de la Gazette, de La Presse, du Journal de Montréal et du Devoir sont tout à fait typiques, affirme Caroline Roy, d'Influence Communication. «Les principaux archétypes que véhiculent les journaux montréalais sont tous extrêmement négatifs», dit-elle.

Immobilisme, corruption, infrastructures en ruine, exode vers la banlieue, nids-de-poule, saleté... À en croire le palmarès des sujets les plus traités dans leurs journaux depuis trois ans, les Montréalais n'ont aucune raison de se réjouir.

Même lorsque les quotidiens parlent de culture à Montréal (ce qui est le cas d'environ 14% des 50 000 articles analysés), c'est la plupart du temps pour mettre en doute le statut de métropole culturelle de la ville, précise Mme Roy, et non pour souligner la vitalité de sa communauté artistique.

«Contrairement aux villes de Québec et de Saguenay, Montréal ne peut compter sur un porte-parole combatif qui la défend et vante sa prospérité, dit-elle. Même quelqu'un comme Gilbert Rozon (le fondateur de Juste pour rire) s'est souvent montré très cinglant à l'égard de sa ville.»

«Ce sont des cycles. On traverse une période où les médias sont particulièrement durs. Quand on présente des projets, les journalistes voient toujours le verre à moitié vide, jamais à moitié plein, renchérit le président de la chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc. Il y a comme une odeur de corruption qui vient même teinter des projets très bien menés.»

Pourquoi? Il y a eu bien sûr une profusion de réels scandales. «La récession a aussi eu un impact, ajoute M. Leblanc. Des projets bien engagés ont dû être repoussés. Il y a aussi une lenteur gouvernementale sur certains projets très visibles. Tout cela alimente le négativisme ambiant.»

Pourtant, dit-il, les bonnes nouvelles ne manquent pas. «Si on s'était dit, il y a 15 ans, qu'au moment d'une des pires récessions depuis la Grande Dépression, Montréal serait l'une des villes qui s'en sortiraient le mieux, on ne l'aurait même pas cru. Et c'est néanmoins ce qui s'est produit.»

«Mais plutôt que de se traduire par un vent d'optimisme, on vit une morosité», déplore l'économiste.

La métropole est-elle plus malmenée que d'autres grandes villes? Aucune étude n'a été réalisée sur le sujet, mais nos interlocuteurs ne le croient pas. «Quand on achète le Toronto Sun, on lit que Toronto est une ville sale, pleine de problèmes. C'est la même chose à Boston, partout», constate Pierre Bellerose, de Tourisme Montréal.

«Les enjeux locaux de Montréal n'ont aucune raison de se retrouver dans le Los Angeles Times, tout comme on n'écrit pas ici sur les problèmes de Chicago, renchérit le professeur de communications Marc-François Bernier. Les problèmes de microgestion d'une ville à 5000 km de chez soi ne sont d'aucun intérêt.»

Quand le sujet touche directement les lecteurs, c'est une autre histoire. «C'est pratiquement dans l'ADN des journalistes de produire des textes critiques. Ils ont la mission de surveiller le pouvoir et de dénoncer les abus», rappelle M. Bernier.

Dans les pages culturelles, les bonnes nouvelles prennent plus de place. On y souligne par exemple le succès planétaire ou local de nombreux artistes québécois. Mais le rapport d'Influence Communication n'en tient pas compte. Car les journalistes montréalais n'ont pas besoin de souligner chaque fois la vitalité créative de leur ville: avec le temps, c'est presque devenu une évidence.

Journalistes trop négatifs?

Chose certaine, les articles critiques n'indisposent pas seulement les Montréalais. En juin 2009, près de Granby, le maire de Roxton Falls a demandé à ses citoyens de boycotter l'hebdomadaire local sous prétexte qu'il était trop négatif.

En France et aux États-Unis, les forums internet débordent de commentaires à l'endroit des journalistes jugés trop durs. Sur le site internet d'Europe1, on les blâme par exemple pour avoir critiqué le gouvernement français lors du rapatriement de ses citoyens coincés en Libye.

«On entend régulièrement des gens plaider en faveur d'un journalisme presque jovialiste, observe le professeur Marc-François Bernier, mais ça ne marche pas.»

Sauf peut-être en Roumanie ou aux Émirats arabes unis, où l'on a déjà voté des lois pour punir les journalistes qui publient trop de mauvaises nouvelles...