Les Montréalais ne badinent pas avec la neige. Le maire du Plateau-Mont-Royal l'a appris à ses dépens quand il a décidé, l'an dernier, de diminuer le déneigement dans son arrondissement. «Jamais de ma vie je n'ai reçu autant de courriels de gens qui ne sont pas contents, raconte Luc Ferrandez. J'en ai reçu une pelletée.»

Malgré les lettres courroucées de plusieurs citoyens, le maire Ferrandez entend maintenir le cap. L'arrondissement a pu économiser 1,5 million de dollars dans les deux derniers hivers, explique-t-il en entrevue à La Presse, et cet argent est plus utile ailleurs que lorsqu'il est «investi dans la neige».

«Je ne vais pas faire l'autruche et nier les inconvénients. Mais en fin de compte, je trouve que ça vaut la peine de poursuivre, lance-t-il alors que le second hiver de l'expérience tire à sa fin. Je pense qu'on va continuer dans cette voie, mais je veux en discuter avec les citoyens avant de prendre une décision définitive.»

Pour économiser, le maire a décidé en novembre 2009 de réduire les services de déneigement. Désormais, pour éviter les heures supplémentaires, la neige n'est plus enlevée le week-end. Il faut aussi une accumulation plus importante pour qu'on l'enlève: avant, il suffisait d'une bordée de 8 cm; aujourd'hui, c'est 15 cm. Mais les trottoirs sont toujours déneigés - «en priorité», précise M. Ferrandez - et les rues déblayées.

Plusieurs habitants du quartier se sont plaints de ces nouvelles mesures parce que les bancs de neige plus nombreux et plus gros rendent le stationnement plus difficile. Le blogue personnel du maire est ainsi devenu dans les derniers mois une sorte de défouloir pour certains citoyens en colère. Des dizaines et des dizaines de commentaires y ont été laissés et presque tous ont trait au déneigement.

Des cols bleus ont aussi protesté : le Plateau Mont-Royal est devenu l'arrondissement le moins bien déneigé, dénoncent-ils. L'un d'entre eux s'est présenté au micro lors de la dernière réunion du conseil d'arrondissement : « entre cols bleus, on a un dicton : 'dans le Plateau, neige tombe pas souvent, mais reste longtemps!' »

Luc Ferrandez n'est pas ébranlé par ces critiques. Selon lui, c'est toute la relation que les Montréalais ont avec l'hiver qui est appelée à changer. « J'ai vu des gens commencer à pelleter le petit banc de neige entre le trottoir et la rue pour avoir accès à leur auto », donne-t-il en exemple sur son blogue.

Les finances de son arrondissement exigent des choix déchirants, dit-il. « Le dilemme, il est là : si je ferme une patinoire, je sauve 7000$ par année; si je retarde un chargement d'une fin de semaine, je sauve 150000$. Alors, je demande aux critiques, que feriez-vous à ma place? Vous fermeriez les patinoires, vous fermeriez les bibliothèques? »

Selon l'élu de Projet Montréal, chaque tempête coûte 20 millions à la grandeur de la ville. « C'est inouï. C'est une folie. Ça représente cinq piscines publiques à chaque tempête. Si les citoyens savaient ça, ils diraient peut-être 'wow, ça va faire'. C'est un choix de société coûteux. »

Depuis cinq ans, cite-t-il en exemple, l'étang du parc Lafontaine n'a pas été nettoyé, faute d'argent. « Dans le quartier, on a un attrait touristique fort, c'est le parc Lafontaine. Et on n'est pas capable de s'en occuper? C'est le symbole d'une ville qui va à vau-l'eau, qui semble à l'abandon, parce qu'on met tout notre argent dans la neige. »

La politique de déneigement léger du Plateau fera-t-elle des petits? Dur à dire. Dans l'arrondissement voisin de Rosemont-La-Petite-Patrie, le maire dit qu'il n'est pas intéressé. «Pour nous, le déneigement demeure la priorité numéro un en hiver », affirme François Croteau, de Vision Montréal.

Dans le Plateau, en attendant, la petite expérience devrait continuer une bordée de neige à la fois. « On ne fait pas une évolution de société en criant ciseau », dit Luc Ferrandez.