Pour obtenir un contrat annuel de déneigement de 2,4 millions de dollars de la Ville de Mascouche, l'entrepreneur Normand Trudel s'est «engagé» dans sa soumission à fournir tous «les équipements, l'outillage et la main-d'oeuvre nécessaires» à la réalisation des travaux. Or il ne pouvait le faire, comme il l'a concédé récemment. C'est pour cette raison qu'une fois sa soumission acceptée, il a été obligé de solliciter deux mois plus tard l'approbation du conseil municipal pour sous-traiter le déneigement des bornes d'incendie, a appris La Presse.

«C'est un motif suffisant pour reconsidérer ce contrat, estime aujourd'hui l'avocat Stéphane Handfield, ex-candidat de l'opposition aux dernières élections municipales.

Celui-ci se demande si l'entreprise de M. Trudel, Transport et Excavation Mascouche, n'a pas dès le départ «induit le conseil en erreur».

La Presse a obtenu, en vertu de la Loi d'accès à l'information, tout le dossier de soumission déposé par Transport et Excavation Mascouche le 12 septembre 2007 en réponse à l'appel d'offres concernant le déneigement du secteur A de la ville de Mascouche pour cinq saisons hivernales. Cela représentait à l'époque 141 kilomètres de rues et près de 20 kilomètres de trottoirs, ainsi que 617 bornes d'incendie.

Dans son formulaire de soumission adressé à la greffière de la Ville de Mascouche, le surintendant de Transport et Excavation Mascouche déclare avoir «effectué un examen personnel des lieux» et «pris tous les renseignements nécessaires pour établir la nature des travaux à effectuer. Nous nous engageons à fournir tous les équipements, l'outillage et la main-d'oeuvre nécessaires (...)».

Cinq jours plus tard, le conseil municipal accorde le contrat à l'entreprise de Normand Trudel, plus bas soumissionnaire conforme. Le total est de 2,44 millions de dollars pour la première saison. Mais le 27 novembre, Normand Trudel demande «l'autorisation» à la Ville «d'accorder un sous-contrat à Déneigement F.M. inc.» pour le déneigement des bornes d'incendie. Rappelons que dans sa soumission, Normand Trudel a chiffré à 401 000$ le déneigement des 617 bornes d'incendie du territoire, soit 650$ par borne. Le conseil approuve sa demande lors de la séance du 3 décembre 2007.

Mais le 17 novembre dernier, dans une entrevue accordée à l'hebdomadaire La Revue, Normand Trudel reconnaît à deux reprises que c'est un manque de matériel qui l'a contraint à sous-traiter une partie de son contrat. «J'ai donné le déblaiement des bornes-fontaines en sous-traitance parce que je n'étais pas équipé pour le faire», a-t-il dit notamment.

Il a indiqué au journaliste qu'il n'avait pas pu faire autrement que de fixer un prix pour les bornes même s'il savait ne pas «être équipé pour faire un tel travail» parce que cela faisait partie du contrat global qu'il souhaitait obtenir. Selon certaines sources, Normand Trudel verserait environ 300$ à son sous-traitant pour déneiger les bornes d'incendie. Il conserverait donc près de 200 000$ par saison, 1 million de dollars au terme du contrat, sans réaliser réellement ce travail.

«Pour nous, sur le papier, il avait ce matériel et son dossier de soumission était conforme», justifie Monique Muzzarelli, porte-parole de la Ville de Mascouche. Lorsqu'on lui rapporte les propos de Normand Trudel à La Revue, Mme Muzzarelli réplique: «Nous ne pouvons pas répondre pour lui. Pour nous, il était conforme.» Stéphane Handfield n'est pas de cet avis. «Le conseil a eu tort et a raté le bateau lorsque M. Trudel a demandé l'autorisation de sous-traiter. Les conseillers auraient dû dire non. S'ils avaient su dès le départ qu'il n'avait pas le matériel, est-ce qu'ils lui auraient accordé le contrat?»

Normand Trudel se fâche

Joint au téléphone, Normand Trudel réitère qu'il pourrait «donner le contrat complet en sous-traitance» pourvu qu'il satisfasse aux «demandes dans le devis». «Mais le conseil (municipal) peut accepter ou refuser», dit-il. Normand Trudel soutient toutefois qu'il a «tout le matériel nécessaire demandé dans le devis. Ça ne change rien». Or, il semble se contredire dans la foulée en ajoutant qu'il n'avait pas le «matériel pour les bornes d'incendie». «Mais ça n'a rien à voir, explique-t-il. Les bornes d'incendie, c'est une autre histoire. Vous n'avez pas l'air de comprendre ce que je vous explique. Faites un an de construction et vous me rappellerez plus tard», a-t-il lancé avant de raccrocher.

En 2010, Transport et Excavation Mascouche a empoché la somme de 2,8 millions de dollars pour le contrat en question.

Le maire Richard Marcotte n'a pas répondu à notre demande d'entrevue. Il devrait être présent ce soir à la séance du conseil municipal. La rencontre n'a pu avoir lieu lundi dernier faute de quorum à l'issue d'une période de questions plutôt houleuse. Le maire a affronté seul près de 500 citoyens en colère qui l'ont hué copieusement et bombardé de questions.

Au ministère des Affaires municipales, on confirme qu'une vérification est toujours en cours en ce qui concerne la Ville de Mascouche et que l'examen vise plus particulièrement la gestion des contrats.

- Avec la collaboration de William Leclerc

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500$ par borne d'incendie dans un autre contrat

Les 650$ versés à Normand Trudel pour le déneigement de chaque borne d'incendie au cours de l'hiver ne sont pas une exception à Mascouche. La Presse a appris que la firme Gauvreau et fils Excavation a emporté au même moment, en septembre 2007, un contrat de déneigement pour l'autre secteur de la ville (B) qui inclut le déneigement de 406 bornes d'incendie pour la somme totale de 203 000$, soit 500$ par borne. La Presse a constaté que la plupart des villes moyennes du Québec payaient des sommes jusqu'à 65 fois inférieures à celles payées par l'administration du maire Marcotte pour faire réaliser un travail similaire par des entrepreneurs privés. À titre d'exemple, Québec paie de 75 à 90$ par borne, Trois-Rivières, 100$, et Sherbrooke de 5 à 15$ (5$ par borne par tournée de déneigement). «Du gaspillage pur et simple de l'argent des contribuables», a estimé le Syndicat canadien de la fonction publique en évoquant les «contrats exorbitants accordés par la Ville de Mascouche».