Michel Brûlé songe à devenir maire de Montréal. Ses ennemis y voient une autre de ses fantaisies. Pas si vite, disent ses alliés : l'enfant terrible de l'édition québécoise a déjà confondu les sceptiques. Portrait.

Quand Michel Brûlé a décidé d'être éditeur, personne n'y a cru. Pas même son père.

C'était en 1993. Le jeune homme de 29 ans faisait le tour des bars de Montréal en patins à roulettes pour y vendre son propre livre, le Manifeste des intouchables. «Il revenait le soir vers minuit, vidé, avec un paquet d'argent. Je lui disais: «Ça n'a pas de bon sens, c'est une affaire de fou!» Il me répondait: «Papa, ne te mêle pas de ça. Je vais réussir»», se souvient Michel André Brûlé.

Il a réussi. Prodigieusement. Michel Brûlé dirige aujourd'hui Brûlé Média, qui regroupe trois maisons d'édition et forme la plus grosse entreprise du genre au Québec après Quebecor Media. Son succès est incontestable. Il n'a pourtant jamais réussi à se faire entièrement accepter dans le monde de l'édition. Certains l'admirent, d'autres le détestent. Tous reconnaissent sa formidable audace.

Voilà maintenant que l'homme de 46 ans lorgne la mairie de Montréal. La nouvelle, publiée dans La Presse cette semaine, en a fait sourciller plus d'un. Pas son ami Luck Mervil: «Quand il dit qu'il va faire quelque chose, j'ai tendance à le croire, dit le chanteur. On peut se dire que c'est un fou, un malade, un excentrique. Mais quand on s'assoit avec lui, on se rend compte que ses arguments sont étoffés. Il a fait ses devoirs. Il est casse-cou, mais ce sont des gens comme lui qui changent le monde.»

«Ça va être à suivre», dit l'éditeur de Québec Amérique, Jacques Fortin, qui a été un mentor pour Michel Brûlé à ses débuts. «Michel est ambitieux et téméraire. Il a du flair, déborde d'énergie et veut se prouver des choses. Mais dans la vie, on ne peut pas être bon dans tout. Il faut choisir. C'est un peu le genre de conseils que je lui donnais, à l'époque. Depuis, j'ai perdu le contrôle...»

Des projets, Michel Brûlé en a des tonnes. Mais, au contraire de l'édition, ils sont rarement couronnés de succès. Il y a eu le bar Planète, qui a rendu l'âme trois mois après son ouverture. L'hebdo culturel en ligne MIR, abandonné après cinq mois. Un «YouTube» québécois et un long métrage qui ont tous deux fait naufrage. Un album de musique passé inaperçu.

Il garde encore espoir de percer le marché de la musique rock... allemande, comme en font foi de récents vidéoclips en ligne sur YouTube. «On n'a qu'une vie à vivre», explique Michel Brûlé, qui a perdu des centaines de milliers de dollars dans ces aventures.

Qu'est-ce qui fait courir l'enfant terrible de l'édition? «C'est un homme téflon, dit un ancien collaborateur qui a rompu les ponts. Même s'il voit que son projet n'a pas de sens, comme dans la chanson, il va le faire quand même. Il est seul dans son monde, dans sa réalité à lui. Il a besoin d'être vu, de montrer qu'il existe.»

On le dit narcissique, voire mégalomane. Il n'a certainement pas une mauvaise opinion de lui-même. «Je pense que je suis plus utile pour le Québec que John James Charest», a-t-il à Voir, en 2007, à propos du premier ministre. «Je pense que le Québec a besoin de moi», a-t-il déclaré au Devoir l'année suivante. Il rédige en ce moment ses 25 mesures pour «améliorer» la province. «Mégalomane? Non. Moi, je veux servir le Québec», dit-il, ajoutant que oui, il aimerait être premier ministre un jour.

Pour y arriver, il ne changera pas d'un iota, assure-t-il. «Je ne me mettrai pas à porter un complet. Je ne mettrai pas de perruque, je ne perdrai pas ma petite bedaine. Je suis comme je suis et je garderai le même discours. Composer avec le succès, je connais ça. Si je deviens maire ou peu importe ce qu'il adviendra de ma carrière politique, cela ne me montera jamais à la tête.»

Casser la baraque

Michel Brûlé possède, dit-on, une intelligence vive. D'aussi loin qu'elle se souvienne, sa mère, Lise Whissell, a toujours été impressionnée par sa mémoire phénoménale. «Souvent, je recevais des notes de ses professeurs qui me demandaient de ne plus faire ses devoirs à sa place. C'était trop bien», raconte celle qui est restée très proche de son fils célibataire, aîné de quatre enfants.

Il a étudié la littérature à McGill. Enseigné au Nouveau-Brunswick. Fréquenté la maternelle en anglais. Mais il voue à cette langue - qu'il maîtrise parfaitement - une haine viscérale. Cet indépendantiste convaincu a même écrit un brûlot, Anglaid, pour la pourfendre.

Aux yeux de Normand Lester, auteur du Livre noir du Canada anglais, «aucun éditeur ne traite mieux ses écrivains». Mais ses ennemis le disent plus «publieur» qu'éditeur: son travail d'édition est bâclé, centré sur le profit. Il se nourrit de provocations et de scandales.

N'empêche qu'il a du flair. Du livre Le Québec me tue, d'Helene Jutras, qui l'a lancé en 1995, à la série jeunesse Amos Daragon, de Bryan Perro, Michel Brûlé fait vendre. «C'est sûr qu'il dérange, dans le milieu, dit M. Fortin. Mais je trouve amusant qu'il y ait au moins quelqu'un pour brasser les choses. Ça fait du bien.»

Ses succès dans l'édition lui permettent de parcourir le monde - ce «globe-trotter polyglotte» parle huit langues et voyage cinq mois par an, surtout en Europe de l'Est. «Je vis dans l'opulence, mais c'est une bonne chose parce que je ne serai jamais tenté par les cadeaux. Mon cadeau, c'est d'être irréprochable et qu'on me dise: «C'est extraordinaire, ce que tu as pu faire en deux ans!» Je veux que ça bouge.»

Pour le moment, ce qui bouge surtout, c'est son entourage, dit une bonne connaissance. «Les gens passent dans sa vie et en sortent parfois amers. Il a cassé la baraque pour en arriver là mais, comme ça arrive souvent, ça ne s'est pas fait sans égratignures. Il est entier, controversé, et il ne donne pas dans la nuance. Il fonce.»

«C'est un électron libre!» lance le journaliste Réjean Tremblay, son bon ami. «Il ne marche pas selon les règles, mais il est supérieurement intelligent. Comment voulez-vous que des gens conservateurs, politiquement corrects, puissent comprendre Michel Brûlé? Il est capable d'excès, d'une pensée extrêmement libre. Il dit tout haut ce qu'il pense de la mainmise culturelle de l'anglais en Occident. Qui est capable de dire ça publiquement, avec panache et sans baisser les yeux, dans notre establishment? Personne.»