À une époque, les trois maisons du Projet Refuge de Montréal recevaient tellement de nouveaux demandeurs d'asile que tout ce que leurs employés avaient le temps de faire entre une arrivée et un départ, c'était de changer les draps. Mais depuis un an, les changements de draps quotidiens ont fait place à des lits vides. Beaucoup de lits vides.

«Il y a un an, j'avais 46 lits qui étaient occupés tout le temps. Il ne m'en reste plus que six», explique Sylvain Thibault, aujourd'hui l'unique employé du Projet Refuge, mis sur pied par la Mission communautaire de Montréal (MCM).

En moins d'un an, deux des trois maisons d'hébergement de la MCM ont fermé leurs portes. Trois des quatre employés ont été mis à pied.

La situation est similaire à la résidence du YMCA du centre-ville de Montréal, qui a vu sa clientèle de demandeurs d'asile fondre de 90% en un an.

Habituée à accueillir des familles des quatre coins du monde, la résidence du Y reçoit ces jours-ci des patients des hôpitaux avoisinants ou des personnes évincées de leur appartement. La moitié du personnel, soit quelque 20 personnes, a été mise à pied.

Haïtiens touchés

Comment expliquer ce phénomène? La réponse des organismes qui travaillent avec les demandeurs d'asile est unanime: les mesures prises par le gouvernement fédéral l'an dernier pour freiner l'arrivée massive de réfugiés au pays ont trop bien fonctionné. Et c'est à Montréal que les effets de ces nouvelles directives sont le plus visibles.

La première mesure, qui a été suivie d'un bras de fer diplomatique, a été de rendre le visa obligatoire pour les ressortissants de la République tchèque et du Mexique à compter du 13 juillet 2009. En un mois, selon les statistiques de l'Agence des services frontaliers, le nombre de demandeurs d'asile au Québec a chuté de près de 40%.

Quelques semaines plus tard, le resserrement des règles de l'entente sur le tiers pays sûr que le Canada a contractée avec les États-Unis a aussi contribué à la baisse des arrivées de réfugiés. Cet accord permet au Canada de renvoyer au sud de sa frontière les demandeurs d'asile qui ont transité par le pays de l'Oncle Sam avant de frapper à sa porte. Les Haïtiens ont été particulièrement touchés par cette seconde mesure, convient Pascal Alatorre, directeur de la résidence du Y.

«Depuis quelques années, notre clientèle était surtout composée de gens du Mexique et d'Haïti, comme plusieurs autres ressources montréalaises. On a été très touchés. Alors que, au début du mois de juillet 2009, on hébergeait 300 demandeurs d'asile, à la fin août, on n'avait que 50 personnes. Aujourd'hui, sur 90 personnes qu'on héberge, il n'y a plus que 32 demandeurs d'asile. Avant, c'était 99% de notre clientèle», détaille M. Alatorre.

Arrête-t-on les vrais réfugiés?

Les centres d'hébergement qui accueillent les demandeurs d'asile dans les premiers jours de leur établissement au pays ne sont pas les seuls à avoir noté une baisse marquée des arrivées. Au Centre canadien des réfugiés, on estime que, si la tendance se maintient cette année, le Canada est en voie de battre son record le plus bas établi en 2005. Cette année-là, le pays, qui accueille traditionnellement entre 30 000 et 45 000 réfugiés potentiels, en avait reçu tout juste 21 000. «Cette année, ils seront moins de 20 000 à pouvoir franchir la frontière», note l'avocat Rick Goldman, qui se fonde sur les données gouvernementales.

La situation l'inquiète. «Le gouvernement dit qu'il veut freiner les faux réfugiés, mais les règles arrêtent aussi les vrais réfugiés», note-t-il.

Porte-parole de Citoyenneté et Immigration Canada, Kelli Fraser, ne pense pourtant pas que le Canada est en train de violer ses engagements internationaux. «Le plan du Canada fonctionne. L'obligation de visa incite les véritables visiteurs à présenter une demande tout en décourageant les visiteurs qui ne sont pas authentiques à présenter une demande», a-t-il indiqué par courriel en réponse aux questions de La Presse.

«Le système canadien de protection des réfugiés est reconnu mondialement pour son impartialité et sa générosité, a-t-il ajouté. Ces nouvelles mesures vont également au-delà des obligations légales du Canada sur les plans national et international à l'égard des demandeurs d'asile.»

Pascal Alatorre, des résidence du Y, croit pour sa part que la diminution du nombre de demandeurs d'asile à Montréal pourrait avoir des effets à long terme alors que les ressources spécialisées dans leur accueil et leur intégration diminuent leur offre de service et que leurs employés, habitués d'interagir avec une clientèle qui a des besoins particuliers, notamment dans la gestion du choc post-traumatique, se voient contraints de changer d'emploi. Il invite le gouvernement à faire un examen de conscience. «Ça ne va pas mieux dans le monde. Il y a des gens partout dans le monde qui ont besoin de protection et, pour le moment, le Canada n'est plus le pays qui comble ces besoins», dénonce-t-il.