Au début de l'été, le patron d'une entreprise de construction qui a des millions de dollars de contrats avec la Ville de Montréal, s'est fait attaquer par deux inconnus devant sa maison, dans l'arrondissement de Saint-Laurent, alors qu'il sortait de chez lui pour se rendre au travail. Il a eu la mâchoire fracturée.

Deux mois après une délicate opération, il a toujours de la difficulté à manger. Il a dit aux policiers qu'il était simplement tombé de son auto. Mais on ne le voit plus fumer son cigare nulle part.

 

Le commanditaire présumé de l'agression est un entrepreneur, lié à la mafia, qui souhaite lui aussi avoir sa part de contrats.

Le 1er août, un deuxième homme d'affaires a reçu un coup de poing en plein visage. Il roulait sur le boulevard du Mont-Royal, à Outremont, quand une camionnette s'est arrêtée devant sa voiture. Deux hommes en sont sortis, dont un mastodonte qui l'a frappé assez fort pour qu'il tombe sans connaissance.

Puis ils lui ont fait comprendre qu'il devait payer ses dettes de 1,4 million à un autre entrepreneur qui lui aussi a de gros contrats avec la Ville.

L'année dernière, un autre entrepreneur qui a des millions de dollars de contrats avec la Ville, s'est fait tabasser par deux fiers-à-bras en sortant d'un chic restaurant du centre-ville, devant témoin.

Ces incidents ont ceci en commun qu'ils concernent des entrepreneurs qui brassent de grosses affaires avec la Ville. Et dont certains ont déjà été filmés ou photographiés avec des membres de la mafia. Manifestement, il y a un malaise.

Un malaise aggravé par de multiples enquêtes policières. Certains entrepreneurs sont soupçonnés de chercher à se partager les contrats; d'autres, de corrompre des conseillers et des fonctionnaires municipaux.

Du jamais vu

Le patron de la SQ, Richard Deschesnes, se dit tellement préoccupé par l'infiltration du crime organisé dans l'économie légale qu'il veut créer une escouade d'enquêteurs affectés à temps plein aux récentes allégations de corruption et de malversation à Montréal.

«De mémoire de policier», affirme-t-il, il n'a jamais vu autant d'enquêtes en cours sur la métropole. Depuis 2004, la SQ a ouvert six enquêtes touchant l'attribution de contrats à l'hôtel de ville de Montréal et dans les arrondissements.

Il y a cinq ans, deux conseillers de Saint-Laurent ainsi que le directeur général de l'arrondissement ont plaidé coupables à des accusations de corruption.

Puis, la SQ a ouvert une enquête sur l'attribution d'un contrat pour la construction d'un centre communautaire à Outremont. Un peu plus tard, elle a commencé à enquêter sur des irrégularités dans des contrats avec 10 entreprises informatiques. Le directeur général du service a été congédié et se voit maintenant accusé au criminel. En octobre dernier, le directeur général de la Société d'habitation et de développement de Montréal a lui aussi été congédié. Le Vérificateur général a réalisé une enquête dévastatrice sur la vente d'un vaste terrain, le Faubourg Contrecoeur, par la SHDM, et a recommandé une enquête policière.

En juin, La Presse a révélé que la SQ avait ouvert une enquête sur l'attribution du contrat de rénovation de l'hôtel de ville.

Enfin, la SQ enquête sur le contrat des compteurs d'eau. Ce contrat fait aussi l'objet d'une enquête spéciale du Vérificateur général, qui doit remettre son rapport le 21 septembre.

«Dans les années 40 et 50, Montréal était reconnu au Canada pour la corruption municipale, a écrit le magazine The Economist cet été. Les récentes allégations sur la plus grande ville du Québec rappellent certains vieux souvenirs.»