Printemps 2003, caucus du Parti québécois. Les députés de l'opposition doivent prendre position sur le projet de loi 33, qui dote les arrondissements de Montréal de nouveaux pouvoirs, une réplique aux menaces de défusion de plusieurs pans de la nouvelle ville. La critique aux Affaires municipales, Diane Lemieux, est en faveur du projet de loi. La mère des fusions municipales, Louise Harel, est contre. Les deux femmes s'affrontent lors d'un caucus épique et déchirant.

Le caucus se solde finalement par une victoire de Louise Harel, qui arrache la tenue d'une seconde rencontre. Lors de ce deuxième caucus, Louise Harel ne se lève pas de sa chaise. «Elle a fait lever un par un tous les députés de Montréal, qui ont tous dit qu'ils étaient contre», raconte un ex-député péquiste. Diane Lemieux est sortie en claquant la porte, humiliée. «Oui, j'étais fâchée, admet-elle aujourd'hui. Louise Harel s'y prend d'une façon différente de la mienne.»

Six ans plus tard, les deux femmes se retrouvent. La scène est différente, mais le film n'a pas changé: c'est l'avenir de Montréal qui les oppose. Ce contentieux soulevé au caucus n'a jamais été réglé. Ou plutôt si: il s'est réglé par une déclaration de guerre, à la fin d'août, quand Diane Lemieux a dit oui à «son homme», Gérald Tremblay. Se serait-elle présentée si Louise Harel n'avait pas été du camp adverse? «C'est une bonne question. Disons que sa venue a recentré la campagne d'une autre façon», esquive-t-elle.

C'est pourtant Louise Harel qui, en 1996, a nommé Diane Lemieux au Conseil du statut de la femme, tremplin idéal pour une carrière politique. Et c'est aussi Louise Harel qui n'a pas lâché le téléphone, l'espace d'un week-end, pour la convaincre de se présenter dans Bourget en 1998.

Mais une fois élue, Diane Lemieux, ambitieuse et flamboyante, prend rapidement sa place. «J'étais novice, mais pas nounoune, dit-elle. Je n'ai été sous le joug de personne.» Dès la première conférence de presse, elle renverse tout le monde en interrompant Lucien Bouchard, qui voulait répondre à sa place à une question. «Ç'a frappé l'imagination», se souvient le péquiste André Boisclair.

Lors de la formation du Conseil des ministres, Lucien Bouchard fait un cadeau de Grec à la recrue Lemieux: le ministère de l'Emploi, précédemment occupé par... Louise Harel, où le rapatriement des programmes fédéraux de formation de la main-d'oeuvre crée un immense chantier.

Rapidement, la bombe lui saute au visage. «L'argent coulait de partout, on était tous les jours dans les journaux. C'était la crise parfaite», raconte Mme Lemieux. «Ç'a été son baptême du feu. Mais elle a livré», résume André Boisclair, alors titulaire de la Sécurité du revenu.

C'est là que Diane Lemieux vivra sa première crise avec Louise Harel, la créatrice d'Emploi-Québec, puisqu'elle fera appel à Jacques Léonard, alors président du Conseil du Trésor, pour l'aider à contrôler les dépenses. «Je suis une fille de mécanicien, dit Diane Lemieux. Pour moi, l'argent public, c'est précieux.»

Ce geste scandalise Louise Harel, qui y voit un manque d'empathie pour la clientèle. Mais Diane Lemieux y gagne l'admiration de Léonard. «Difficile d'imaginer deux êtres plus différents, dit le député de Richelieu, Sylvain Simard. Mais le courant passait entre ces deux-là.»

L'austère président du Conseil du Trésor cherchera même à convaincre «la lionne», comme l'avait surnommée un magazine, de se lancer dans la course à la direction après le départ de Lucien Bouchard. En vain. «Elle a fait ses calculs. Et elle est devenue présidente de la campagne de Bernard Landry», souligne Sylvain Simard.

Après l'Emploi, elle passe à la Culture. Bilan de ces années ministérielles? «C'était une ministre de gestion. Elle gère bien les dossiers au jour le jour. Ce n'est pas une personne de grands projets. Mais elle avait du coffre», dit Gérald Larose, ex-président de la CSN.

«Diane s'est toujours plus intéressée au contenant qu'au contenu. Je ne me souviens pas d'interventions de contenu très marquantes de sa part», persifle un ex-collègue péquiste. «Elle a été à son meilleur dans l'opposition, là, on effleure les sujets», raille une autre source qui a travaillé avec elle.

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Durant toutes ces années en politique, la ministre s'illustre aussi par une «diplomatie de deux par quatre», résume un apparatchik péquiste. Elle est cassante, baveuse. «On gagne le même salaire. Mon opinion vaut autant que la tienne», lance-t-elle à Bernard Landry en pleine réunion du Conseil des ministres. «Je me demande de quelle planète vous sortez», envoie-t-elle à Gaston Fauvel, alors président du puissant Syndicat des pompiers de Montréal. «Pauline Marois ne veut plus de François Gendron parce qu'elle ne le trouve pas bon», déclare-t-elle à un journaliste alors que le PQ est dans l'opposition.

Elle occupe alors le poste stratégique de leader, chargée d'orchestrer la période de questions. Elle y excelle. La période de questions devient une chorégraphie finement scénarisée. Mais pour ce faire, elle doit écraser beaucoup d'orteils. «Ça m'est arrivé de faire la grève pendant trois jours parce qu'elle m'avait fait des commentaires désobligeants», dit Sylvain Simard.

En fait, «la lionne» oscille constamment entre deux pôles: l'agressivité pure et la grande séduction. «Elle est en séduction perpétuelle», dit encore... Sylvain Simard. «Elle a beaucoup de difficulté à travailler avec les femmes, sauf quelques-unes. Et avec les hommes, c'est du charme», acquiesce un conseiller péquiste. Et ce, peu importe les lignes de parti: les potineux du parlement s'ébaudissent encore de la relation «très chaleureuse» qu'elle a entretenue avec son vis-à-vis libéral, Jean-Marc Fournier, soulevant des blagues répétées des deux côtés de la Chambre.

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Mais dès le début de son aventure politique, la vie de Diane Lemieux a été marquée par une autre rupture, celle qui s'est produite avec les groupes de femmes. «Il y a eu une cassure, qui n'est pas encore guérie», résume Danielle Fournier qui, à l'époque, était au groupe Relais-femmes. Diane Lemieux, arriviste? «Pour certaines personnes, oui.»

La principale intéressée devient rapidement émotive lorsqu'on aborde ce sujet délicat. Sa voix se casse. «Ceux qui disent que je suis arriviste ne me connaissent pas. Je suis un bloc. Il faut que ça soit vrai.» Puis, elle contre-attaque. «C'est tout le paradoxe des féministes. Elles veulent du pouvoir. Et quand il y en a une qui en a, elles l'écoeurent.»

Le divorce se concrétise lors de la marche Du pain et des roses, orchestrée par Françoise David. Le gouvernement répond de façon minimale aux demandes du mouvement des femmes: 10 cents d'augmentation du salaire minimum. Lucien Bouchard s'entoure de cinq femmes ministres, dont Diane Lemieux, pour annoncer les mauvaises nouvelles.

«On s'est senties larguées par le gouvernement», se rappelle Françoise David. Un gouvernement dont Diane Lemieux faisait partie. «Je refuse de dire qu'elle faisait ça juste pour garder le pouvoir, dit Mme David. Je suppose qu'elle y croyait.»

Cependant, le mouvement des femmes n'a jamais eu connaissance de la bataille souterraine qu'a livrée la ministre du Travail pour gagner cette hausse modeste du salaire minimum. «La tigresse ! s'exclame l'ex-ministre Guy Chevrette. Elle s'est battue pour le salaire minimum. Elle a tenu tête à Bouchard. Elle lui a dit que l'histoire des milliers d'emplois perdus, c'était du charriage. Bouchard se tortillait en maudit sur sa chaise.»

Car sous ses dehors de politicienne, il est incontestable que Diane Lemieux est sincèrement préoccupée de justice sociale. Elle évoque avec fierté son enfance dans un milieu modeste, son père mécanicien, sa mère qui s'occupait de la comptabilité du garage. «Mes parents n'étaient pas des militants. Mais ils étaient très préoccupés de leur entourage. Qui vit à côté de moi? Qu'est-ce que je peux faire pour lui? J'ai grandi là-dedans.» Depuis 15 ans, elle forme une famille reconstituée avec le psychiatre Jocelyn Aubut, qui dirige l'Institut Philippe-Pinel, où se retrouvent les pires cas de santé mentale au Québec.

Son passé dans les groupes de femmes l'a aussi beaucoup marquée. Elle est encore étudiante en droit quand elle commence à oeuvrer bénévolement au centre d'aide aux victimes d'agressions sexuelles, le CALAC local. «On sortait de l'époque du policier qui disait à la victime: "Avez-vous aimé ça?"«raconte-t-elle. Elle rencontre des femmes en état de crise, parfois aussi jeunes qu'elle. En évoquant une affaire tragique de viol collectif, qui l'a propulsée dans les médias il y a 25 ans, elle est encore bouleversée.

Mais Diane Lemieux détonne chez les féministes. «J'ai été la première dans le mouvement des femmes à parler aux médias», rappelle-t-elle. Elle crée une onde de choc en faisant présider la campagne de financement des CALACS par un comité formé uniquement d'hommes. «Pour elle, il fallait aller chercher l'appui des hommes. Disons que ça a suscité un débat. Moi, j'étais pour», se souvient Françoise David. «À côté des féministes lesbiennes radicales qui n'allaient pas acheter leur lait chez un dépanneur tenu par un homme, j'étais un contraste: je mettais du mascara !» rigole Diane Lemieux.

Vingt ans plus tard, la nouvelle «femme» de Gérald Tremblay est toujours aussi féminine, mais a changé son look. Elle a modifié sa coiffure, arbore des vêtements moins voyants. Peu de gens doutaient qu'elle se relancerait dans l'arène politique. «Sa job dans le cinéma, ça ne consommait pas le tiers du quart de l'adrénaline qu'elle brûle en une minute», rigole Sylvain Simard.

Montréal sera donc le nouveau terrain de bataille des deux soeurs ennemies. Qui se ressemblent probablement plus qu'elles ne veulent bien l'admettre, avance André Boisclair. «Je n'ai pas connu Louise Harel à 40 ans, mais je pense qu'à cet âge, elle ressemblait à Diane. Une progressiste, féministe, une femme de caractère. Au fond, Diane Lemieux, c'est une Louise Harel avec quelques années en moins.»