L'Office de consultation publique de Montréal (OCPM) croit que, même redessiné, le Quadrilatère Saint-Laurent n'est pas «mûr» pour sortir de terre. Il juge les délais de construction trop serrés, voire carrément irréalistes. C'est ce qui ressort du volumineux rapport qu'il doit remettre lundi aux élus de Montréal, et que La Presse a obtenu.

L'OCPM ne mâche pas ses mots pour renvoyer le promoteur à sa table à dessin. S'il salue l'idée de redonner vie au secteur voisin du futur 2-22 Sainte-Catherine et du Monument-National, il accueille froidement le concept d'une tour de 12 étages censée abriter les bureaux d'Hydro-Québec et des commerces au rez-de-chaussée.

L'instance consultative suprême de la Ville en matière de grands projets métropolitains prévient même le maire Gérald Tremblay que le projet n'en est qu'au «stade de concept».

Afin de tirer leurs conclusions, les commissaires experts de l'OCPM ont tenu six séances publiques, accueilli plus de 300 citoyens, dont plusieurs provenant d'organismes, et analysé 32 mémoires, en plus de recevoir une pétition pour sauvegarder le Café Cléopâtre, qui se trouve dans le secteur visé. Tant l'architecture du concept de la Société de développement Angus (SDA), évalué à 165 millions de dollars, que les enjeux patrimoniaux et la gestion du projet sont décriés.

«Façadisme»

De façon générale, l'Office estime que l'objectif de terminer la construction en janvier 2010 afin de répondre aux besoins d'Hydro-Québec, qui souhaite emménager à ce moment, ne doit pas devenir «l'arrêt de mort du projet, sorte de guillotine temporelle».

Plus précisément, les commissaires se questionnent sur la volonté de la SDA, que dirige Christian Yaccarini, de sauvegarder les façades de six commerces existants, dont le Café Cléopâtre, en concluant des ententes d'acquisition de gré à gré.

Sans nommer explicitement la boîte de nuit exotique, l'instance recommande que les «activités culturelles existantes et viables soient relogées à proximité, indépendamment de leur nature». On ajoute qu'au moins deux étages du bâtiment - pas seulement le rez-de-chaussée - devraient être alloués à des activités «commerciales, sociales, culturelles et documentaires».

Au sujet des six immeubles existants, les commissaires répètent plusieurs fois que le projet est situé dans l'aire protégée du Monument-National et retiennent les arguments des citoyens qui ont accusé le promoteur de faire du «façadisme». Sans imposer un scénario de restauration coulé dans le béton, quatre options de sauvegarde sont proposées, avec l'impératif d'engager un spécialiste du patrimoine.

Malaise architectural

Au cours des consultations, le concept architectural, qui prévoit un basilaire de six étages - la hauteur du Monument-National -, a maintes fois soulevé la controverse. Et davantage quand le promoteur a surpris tout le monde en déposant des plans révisés en plein processus. Ce qui, selon l'OCPM, n'a pas permis au projet de «mûrir» suffisamment.

Jugée trop massif, l'immeuble de couleur argentée est critiqué tant à cause de son volume excessif que de sa densité. Son intégration dans un des hauts lieux de l'ancien Red Light, ou Lower Main, a aussi été remise en question. «La Commission partage ce malaise», indique-t-on en fin de rapport.

Pour des considérations patrimoniales, l'Office recommande donc à la Ville d'exiger du promoteur SDA qu'il refasse ses devoirs quant au recul du bâtiment et à sa hauteurs afin de maintenir le Monument-National en vedette. On suggère également de construire «hors site» une partie des bureaux d'Hydro-Québec, dans un concept de campus souple.

Le rapport de l'OCPM risque de susciter de nombreuses réactions au cours des prochains jours, à seulement quelques semaines de l'ouverture officielle de la campagne électorale municipale. L'organisme de protection du patrimoine Héritage Montréal s'est déjà opposé au projet, de même que de nombreux architectes et urbanistes de renom.

Lors des séances de l'Office, le promoteur Christian Yaccarini avait expliqué que l'entente avec Hydro-Québec ne permettait pas de repousser les échéanciers de construction. «Les élus devront trancher rapidement», avait-il précisé. Le rapport sera étudié par le comité exécutif du maire Tremblay avant d'être soumis à l'approbation du conseil municipal, à la fin du mois.