La Direction de la santé publique (DSP) de Montréal considère que le projet de reconstruction de l'échangeur Turcot est «inacceptable» sur le plan de la santé publique, en raison de ses impacts sur les quartiers limitrophes et de la croissance de la circulation automobile qui en résultera après sa mise en service en 2016.

Dans un mémoire présenté mercredi soir au cours des consultations du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), la DSP estime de plus que le projet du ministère des Transports du Québec «n'apportera aucune amélioration significative aux conséquences de la déchirure du tissu urbain» qui affecte encore les quartiers du sud-ouest de Montréal traversés par des bretelles de l'échangeur actuel, inauguré en 1967.

Dans ses recommandations, le rapport de la DSP parle même d'«injustice environnementale» dans le cas des 166 ménages menacés d'expropriation pour la construction d'une bretelle d'autoroute, «qui vise à maintenir les déplacements pendulaires en automobile des personnes qui habitent loin du secteur touché».

En présentant la position de l'organisme au BAPE, le directeur régional de la santé publique, Dr Richard Lessard, a affirmé que le MTQ doit revoir ce projet, et devrait proposer «une reconstruction en milieu urbain qui tienne compte de la population qui y vit».

«Montréal n'est pas un champ de blé d'Inde au travers duquel on passe une autoroute. Il y a du monde qui vit là, et je pense qu'on doit donner la priorité aux personnes qui y vivent», a-t-il déclaré en conclusion de sa présentation.

En entrevue à La Presse, le directeur de la santé publique de Montréal a ajouté que si le projet Turcot devait aller de l'avant tel que proposé, il pourrait se servir d'un article de la Loi québécoise sur la santé publique, pour contraindre des intervenants à s'engager, avec lui, dans «une recherche de solutions» pour prévenir les problèmes de santé publique induits par le trafic automobile.

L'article 55 de la Loi sur la santé publique (voir encadré) accorde en effet aux directeurs de santé publique régionaux l'autorité de lancer un tel processus, et de contraindre des organismes ou des personnes à y participer, si le directeur «craint l'apparition dans sa région d'une situation présentant des risques élevés de mortalité, d'incapacité ou de morbidité évitables pour la population ou pour un groupe d'individus».

Depuis plusieurs années, la DSP a fait des nuisances environnementales liées aux transports et à leurs infrastructures un vaste sujet de recherches, qui a déjà produit quelques études significatives, et inquiétantes, sur les impacts de la pollution automobile sur la santé des personnes résidant à proximité des routes, et sur la relation entre la densité du trafic et le nombre des hospitalisations liées aux accidents routiers.

Des avis non partagés

Les résultats de ces recherches ont amené la DSP de Montréal à intervenir à plusieurs reprises dans des débats publics entourant des projets autoroutiers, comme celui de la construction d'un nouveau pont entre Laval et Montréal, dans le prolongement de l'A-25, et celui de la transformation de la rue Notre-Dame en autoroute à huit voies de circulation dans l'est de Montréal. Chaque fois, ces projets routiers ont été autorisés par le gouvernement du Québec, malgré l'avis défavorable de la DSP.

«Dans les dossiers d'infrastructures routières, déplore le Dr Lessard, on a l'impression que des problèmes de santé, on peut en créer sans que ça dérange personne.»

Selon le mémoire de la DSP, déposé mercredi au BAPE, l'exposition aux niveaux actuels de polluants de l'air, à Montréal, serait associée à environ 1300 décès prématurés attribuables à la pollution atmosphérique, ainsi qu'à 6000 cas de bronchite aiguë infantile et plus de 114 000 journées-personnes de symptômes d'asthme.

De plus, selon des estimations des impacts sanitaires liés aux émissions polluantes provenant du transport routier, pour l'année 2000, à Montréal, plus de 250 décès par année, et 13 000 journées-personnes de symptômes d'asthme, seraient attribuables aux émissions des automobiles et des camions.

«Je pense, a déclaré Dr Lessard au BAPE, mercredi, qu'il faut concevoir un nouveau projet en considérant les politiques gouvernementales sur la santé publique et l'environnement, et de le concevoir dans une perspective qui va se rendre jusqu'en 2030 ou 2050, avec une vision complètement différente de ce qu'on avait vu jusqu'à maintenant.»

«Si on recrée l'infrastructure proposée, on nous enferme dans une façon de vivre et de penser pour les 40 ou 50 prochaines années, qui force à utiliser davantage l'automobile que ses alternatives. Parce que le 1,5 milliard qu'on va mettre dans ce projet-là, on ne le met pas dans les alternatives, au moment où on se parle.»

Loi sur la santé publique

Article 55 Lorsqu'un directeur de santé publique constate l'existence ou craint l'apparition dans sa région d'une situation présentant des risques élevés de mortalité, d'incapacité ou de morbidité évitables pour la population ou pour un groupe d'individus et, qu'à son avis, il existe des solutions efficaces pour réduire ou annihiler ces risques, il peut demander formellement aux autorités dont l'intervention lui paraît utile de participer avec lui à la recherche d'une solution adéquate dans les circonstances.

Participation

Les autorités ainsi invitées sont tenues de participer à cette recherche de solution.

Avis au directeur national

Lorsque l'une de ces autorités est un ministère ou un organisme du gouvernement, le directeur de santé publique ne peut lui demander formellement de participer à la recherche d'une solution, sans en avoir préalablement avisé le directeur national de santé publique. 2001, c. 60, a. 55.

Recherche de solutions

Article 56 Le ministre peut en tout temps décider d'exercer lui-même le pouvoir prévu à l'article 55, en collaboration avec le ou les directeurs de santé publique concernés. 2001, c. 60, a. 56.

Source : Éditeur officiel du Québec, Loi sur la santé publique