La Ville de Montréal a réclamé hier de nombreux changements majeurs au projet de reconstruction de l'échangeur Turcot, qui remettent en question l'ensemble du concept autoroutier présenté aux consultations du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE).

D'entrée de jeu, hier, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, a surpris tout le monde en demandant que le projet soit réalisé en mode conventionnel, et non en partenariat public-privé (PPP), comme le prévoit le gouvernement, parce que la formule «ne donne ni le temps, ni la latitude, ni la flexibilité requises pour adapter un projet aussi névralgique».

Dans son mémoire, la Ville explique que «les firmes candidates à l'octroi d'un contrat en PPP sont appelées à redéfinir un avant-projet dans un contexte de grande confidentialité pour maintenir l'indépendance entre leurs propositions. Ainsi, il devient difficile, voire carrément impossible, pour la Ville d'influencer le contenu du projet».

Or, selon la Ville, le projet du ministère des Transports du Québec (MTQ) «doit encore évoluer» sur les plans de l'aménagement urbain, de l'amélioration de la qualité de vie des populations qui vivent à proximité de l'échangeur actuel et de l'intégration des transports collectifs au sein d'un concept essentiellement autoroutier.

Et pour assurer cette évolution, précise le mémoire, les élus de la Ville et de ses arrondissements «ne demandent pas mieux que d'être très sérieusement impliqués dans les prochaines étapes entourant ce projet». Il s'agit d'une allusion à peine voilée au fait que les élus montréalais n'ont pas été consultés pendant la phase de développement du projet qui a abouti au scénario retenu par le MTQ et qui est aujourd'hui fortement remis en question à l'occasion des consultations du BAPE.

Le projet du MTQ prévoit la reconstruction complète de quatre échangeurs autoroutiers qui composent le «complexe Turcot», où transitent environ 290 000 véhicules par jour, dans le sud-ouest de Montréal. Les piliers et structures de béton de l'échangeur actuel feront place, d'ici 2016, à de nouvelles voies de circulation ramenées plus près du sol, aménagées sur des remblais qui seront construits en bordure de nombreux secteurs résidentiels.

Les travaux s'étendraient sur un territoire d'environ 15 kilomètres carrés, allant de Westmount, près du centre-ville, jusqu'à Montréal-Ouest, et du sud du canal de Lachine jusqu'en haut de la falaise Saint-Jacques, où sera construit le futur centre hospitalier universitaire, le CUSM. Les travaux dureraient sept ans.

Leur coût est estimé à 1,5 milliard.

Dépendance à l'automobile

«La Ville, a affirmé le maire, considère que le complexe Turcot ne doit pas faire l'objet d'une reconstruction basée essentiellement sur la capacité de l'ouvrage et la fluidité de la circulation.»

Montréal, a rappelé M. Tremblay, «veut réduire de manière significative la dépendance à l'automobile par des investissements massifs dans les transports collectifs et actifs comme le tramway, le métro, l'autobus performant, le train, le vélo et la marche, ainsi que sur des usages mieux adaptés de l'automobile comme le covoiturage, l'autopartage et le taxi».

Montréal demande ainsi «la mise en oeuvre d'un réseau régional de voies réservées pour autobus, taxis, covoiturage et véhicules d'urgence, notamment dans l'axe Rive-Sud/Montréal, ainsi que sur l'ensemble du réseau supérieur de la région métropolitaine, incluant les autoroutes 10, 15, 20 et 40».

Le maire a aussi demandé que «des ajustements légitimement demandés par les Montréalais» soient apportés à la construction du projet Turcot pour «édifier un projet urbain de qualité» et réduire les impacts pendant les travaux et après la mise en service des nouvelles voies de circulation.

La Ville de Montréal demande ainsi au MTQ «d'éviter autant que possible» les expropriations prévues d'environ 160 logements, qui toucheraient environ 400 personnes dans Saint-Henri, un quartier de l'arrondissement du Sud-Ouest.

«S'il s'avérait inévitable de procéder à l'expropriation des îlots existants, précise le mémoire, il sera nécessaire de remplacer les logements démolis par des logements fournissant des conditions d'habitation équivalentes et permettant d'améliorer la qualité de vie des personnes déplacées.»

La Ville souhaite aussi la conclusion d'ententes de financement avec le MTQ, pour compenser les dépenses et coûts indirects que la réalisation du projet aura sur les finances municipales. Selon le mémoire de la Ville, les pertes fiscales encourues par la Ville pour le déplacement de l'emprise autoroutière représentent, à elles seules, à 40 millions par année.

Enfin, Montréal demande que l'immense gare de triage ferroviaire Turcot, qui sera désaffectée, soit cédée à la Ville par le MTQ, après la fin des travaux. La falaise Saint-Jacques, qui longe la gare Turcot au nord, devrait aussi être cédée à la Ville pour la création d'un écoterritoire. La Ville souhaite enfin que le MTQ «s'implique financièrement dans l'aménagement de cette zone située à l'interface d'un important corridor de transport générateur de nuisances».

Principales recommandations

Réalisation

- Réaliser le projet en mode conventionnel et non en partenariat public-privé.

- Impliquer «très sérieusement» les élus dans les prochaines étapes du projet.

- Prévoir les mesures pour réduire les nuisances aux populations locales provenant des chantiers.

Aspects routiers

- Mettre en place un réseau de voies réservées aux transports collectifs dans l'ensemble du réseau autoroutier, y compris les autoroutes 10, 15, 20, 25 et 40.

- Modifier les accès routiers projetés au futur CUSM par l'autoroute Ville-Marie, le futur boulevard Pullman et le boulevard Décarie.

Qualité de vie

- Éviter les expropriations prévues de 160 logements.

- Assurer aux personnes délogées des «conditions d'habitation équivalentes».

- Garantir la construction d'unités d'habitation à partir d'enveloppes distinctes de celles déjà prévues pour Montréal dans le cadre du projet gouvernemental Accès-Logis.

Aménagement

- Céder à la ville de Montréal les terrains désaffectés de l'ancienne gare de triage ferroviaire Turcot, après la fin des travaux, en 2016.

- Éviter la construction d'ouvrages (bassins de rétention, talus) qui entravent le réaménagement de la gare Turcot.

- Céder les terrains libres aux pieds de la falaise Saint-Jacques.

- Élargir à au moins 30 mètres la bande de terrain protégée entre le bas de la falaise et le corridor routier et ferroviaire prévu par le MTQ.

- Faire participer le MTQ aux coûts d'aménagement du futur écoterritoire de la falaise.

- Créer un réseau vert reliant le canal de l'Aqueduc, le canal de Lachine et l'écoterritoire de la falaise Saint-Jacques.

Source: mémoire de la Ville de Montréal