Si la manifestation dans Montréal-Nord le 10 août dernier a dégénéré en émeute, c'est à cause d'une «mauvaise planification»de l'opération policière, de «confusion dans les ordres»et parce que le Service de police de Montréal n'a pas appliqué les procédures requises au bon moment.

Ce constat brutal, c'est celui de la Commission de la santé et de la sécurité du travail dans un rapport daté du 27 mars qui n'a pas encore été rendu public. Deux inspecteurs de la CSST se sont penchés sur les événements à la suite desquels une agente de police a été atteinte par balle à la jambe droite.

Le rapport, que La Presse a obtenu, blâme sur à peu près tous les aspects l'intervention policière qui a commencé à 17 h, le 10 août 2008. On signale alors qu'environ 150 personnes marchent pacifiquement dans les rues du quartier. La veille, le 9 août, une intervention policière s'était soldée par la mort d'un jeune homme de 18 ans, Fredy Villanueva. Une voiture de patrouille assure une surveillance passive de la petite foule. Vers 19h45, le chahut commence: la foule «commence à présenter des signes d'agressivité et d'hostilité», peut-on lire dans le rapport. «Des projectiles sont lancés, des manifestants attaquent des véhicules de citoyens, des feux sont allumés dans les rues et les poubelles.»

Ce n'est pourtant qu'une heure plus tard, à 20h54, que le SPVM décrète un «code jaune», la procédure pour une foule peu agitée, commandant aux policiers de porter un casque antiémeute avec visière et un bâton antiémeute. Le «code rouge», lui, commandant de porter l'équipement complet antiémeute avec gilet pare-balles, ne sera ordonné qu'à 22h04.

À ce moment, on dénombre environ 80 agents sur les lieux de l'émeute. La foule est de plus en plus hostile, des bonbonnes de propane sont jetées dans les feux, les véhicules personnels des pompiers sont incendiés, des projectiles sont lancés sur les agents.

La foule, qui hurle depuis une heure des injures aux policiers, les menace maintenant. Dès 21h, on entendait des coups de feu ponctuels. Une première tentative de contrôle et de dispersion de la foule avait avorté. Le cafouillage commence, signale le rapport: les policiers ne savent même pas sur combien de collègues ils peuvent compter, ils ne sont pas tous habillés de façon adéquate pour un code jaune, ils ne contrôlent pas le périmètre «chaud».

Entre 21 h et 21h09, les agents dans le périmètre chaud affirment avoir perdu le contrôle de la situation. À 22h49, une agente de police est atteinte d'une balle à la jambe droite face au 6331, rue Pascale.

«Aucune démarche pour contrer la menace n'a été effectuée», note le rapport.

Le diagnostic de la CSST pour le reste de l'opération est sans pitié pour le SPVM: la situation a dégénéré à partir de 21h à cause d'une perte de contrôle «due à une mauvaise planification de l'opération». Le déploiement des effectifs a été «inadéquat», l'équipement de protection des policiers non disponible, le point de regroupement a été mal planifié, la communication des informations «partielle»et les directives transmises incomplètes.

L'importance de la supervision du travail des policiers est d'autant plus cruciale, rappelle le rapport de la CSST, que ceux-ci ont une «vision tunnel»lors des interventions et ne voient donc pas correctement les dangers autour d'eux. On cite en exemple le service de sécurité incendie de Montréal qui, lui, «tient compte de la santé et de la sécurité du travail»de ses employés. Contrairement au SPVM, «la façon de faire du SSIM nous démontre qu'il est possible d'intégrer la gestion de la santé et de la sécurité des travailleurs dans le cadre de ses opérations et ce, même dans un cadre où les événements sont imprévisibles.»

La CSST donne 90 jours au SPVM pour apporter trois correctifs majeurs à ses façons de faire. Il doit informer adéquatement les policiers sur les risques liés à une intervention. Il doit utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité des agents. Enfin, on doit mieux réagir quand un policier est blessé et ne pas repositionner les effectifs à l'endroit même où l'incident est survenu.

Au SPVM, on assure avoir saisi le message, même si on se défend d'avoir cafouillé le 10 août dernier. «Est-ce que la CSST avait toutes les informations? Peut-être que oui, peut-être que non. On s'améliore de fois en fois: après chaque intervention, on fait un debriefing et des ajustements sont apportés dans nos opérations policières», explique Benoit Traversy, inspecteur chef de la section Gestion de la santé au SPVM. Preuve de cette évolution, il présente comme exemplaire l'intervention lors de la manifestation du 15 mars dernier contre la brutalité policière. Les recommandations de la CSST ont-elle alors été appliquées? «Oui, répond sans détour M. Traversy. Le 15 mars a permis de constater que nos méthodes d'intervention sont efficaces.»