Sous la direction de Martial Fillion, la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM) a modifié le contrat avec l'entrepreneur Frank Catania, cet été, pour lui verser 11 millions de dollars bien avant l'échéance prévue. Cet avantage, et bien d'autres, font l'objet de plus d'une enquête.

Le directeur général de la SHDM, Martial Fillion, a conclu une entente avec l'entrepreneur Frank Catania, en juillet, afin de lui verser 11,2 millions de dollars le plus vite possible pour payer des travaux d'infrastructures sur son propre terrain, selon des documents obtenus par La Presse.

 

Cette entente modifiait en profondeur le contrat entre la SHDM (Société d'habitation et de développement de Montréal) et Construction Frank Catania signé un an plus tôt pour la construction du Faubourg Contrecoeur, un projet de 1800 logements dans l'est de Montréal.

Une porte-parole de la SHDM, Stéphanie Gareau, a dit qu'elle croyait que l'entente avait été ratifiée le 14 septembre par le conseil d'administration de la société. Elle a ajouté qu'aucune autre information ne pouvait être donnée sur le projet du Faubourg Contrecoeur, car il fait l'objet d'enquêtes.

Selon une source bien au fait du dossier, ce dernier changement au contrat a alerté les vérificateurs internes de la SHDM. Le 10 octobre, La Presse a cité l'un d'eux, qui affirmait qu'un contrat avait été modifié au profit de Catania, mais sans préciser de quel contrat il s'agissait. Le jour même, M. Fillion était suspendu avec solde. De nouvelles enquêtes ont suivi.

M. Fillion est l'ancien chef de cabinet du maire Gérald Tremblay. Il a aussi déjà travaillé pour le Parti libéral du Québec, notamment lors d'une campagne électorale, sous la direction du chef du parti, Jean Charest.

Le versement accéléré de 11,2 millions à Catania est un des nombreux avantages consentis par la SHDM au promoteur. Les enquêteurs, dont le vérificateur général de la Ville, cherchent à savoir si tous ces avantages ont respecté les lois et les règlements. Depuis le lancement du projet du Faubourg Contrecoeur, la SHDM et le comité exécutif de la Ville de Montréal ont pris des décisions pour le moins curieuses.

La Ville était propriétaire du terrain de 4 millions de pieds carrés (38 hectares). En 2006, elle a mandaté la SHDM, une société paramunicipale, pour y construire un projet immobilier. La SHDM a lancé un appel de qualification public pour choisir une entreprise capable de remplir cette mission. Catania et une autre firme se sont qualifiées.

La SHDM a alors lancé un deuxième appel d'offres, destiné seulement à ces deux entreprises. Cet appel d'offres contenait une nouveauté: le terrain était mis en vente. Le service du courtage immobilier de la Ville a contesté le prix offert par Catania, qu'il jugeait beaucoup trop bas, mais en vain. Le terrain, d'abord évalué à 25 millions de dollars, a été vendu 4,3 millions, une fois soustraits les frais hypothétiques de décontamination et autres débours. Catania a jusqu'en juin 2010 pour payer cette somme.

Tant que le terrain appartenait à la Ville, il était normal que ce soit la Ville qui paye pour les infrastructures (rues, trottoirs, égouts, etc.). Une fois qu'il appartenait à un promoteur privé, c'était à lui de payer la plupart de ces travaux, selon les règlements alors en vigueur. La contribution de la Ville devait normalement être limitée.

Or, en plus d'obtenir le terrain à un prix très bas, le promoteur a réclamé, et obtenu, une clause garantissant une aide financière non remboursable de 15,8 millions pour les infrastructures. La SHDM ou la Ville devait verser cette contribution en six ans, à raison de 72 versements mensuels de 219 444$.

Lors de la signature du contrat, le 28 mai 2007, aucun règlement municipal ne prévoyait la possibilité de consentir une aide aussi généreuse pour les infrastructures. En avril dernier, Frank Zampino, alors président du comité exécutif, a fait adopter une résolution visant à modifier le règlement d'aide aux infrastructures sur les terrains privés.

Le nouveau règlement prévoit une contribution beaucoup plus importante de la Ville dans les projets immobiliers de 1000 logements et plus qui comprennent une bonne proportion de logements dits «familiaux», ce qui correspond précisément au projet du Faubourg Contrecoeur.

En juin dernier, le conseil municipal a adopté une résolution pour verser une aide de 14,2 millions à Catania, soit 1,2 million en 2009 et 13 millions en 2010. Un mois plus tard, soit le 14 juillet, Martial Fillion a signé l'entente avec les représentants de Frank Catania pour faire les versements beaucoup plus vite.

«Les parties reconnaissent que la présente entente remplace les modalités relatives au paiement de la contribution financière prévues à la soumission (et s'élevant à 15,8 millions payables en six ans)», indique l'entente. Comme la Ville avait déjà donné 1,6 million et que la SHDM avait déjà avancé trois millions, «la SHDM versera la balance de la contribution financière, soit 11,2 millions» sur simple présentation des factures, approuvées par le Groupe Séguin experts-conseils.

En vertu de l'entente, Catania doit rembourser la SHDM après avoir reçu les contributions de la Ville de Montréal. Entre-temps, la SHDM devra elle-même emprunter tous ces millions à la banque pour les remettre à Catania. Cela l'obligera à payer des intérêts à la banque pour aider le promoteur.

«Si la contribution est versée au complet d'ici le 31 décembre 2008, des intérêts de l'ordre de 504 000$ sont à prévoir au budget 2009 (de la SHDM) et subséquemment s'il y a lieu», indique un document interne, présenté au conseil d'administration de la société le 14 septembre.

En plus de cette aide financière, la SHDM a consenti un prêt de 14,6 millions à Catania, au taux de base de la Banque Scotia majoré de 1,5%, majoration que Martial Fillion a fait baisser à 0,5%. Enfin, la SHDM s'est engagée à acheter les logements familiaux construits par Catania au cours de la première phase s'il ne réussit pas à les vendre, comme le prévoit le programme Accès-Condos. La SHDM s'est ainsi engagée à payer la somme de 41,1 millions au promoteur.

Depuis 2001, les dirigeants de Catania, ainsi que les membres de leurs familles, ont donné plus de 12 000$ au parti du maire Gérald Tremblay, l'Union des citoyens de l'île de Montréal, qui s'appelle maintenant Union Montréal, et plus de 70 000$ au Parti libéral du Québec.

Dans des lettres envoyées à La Presse et des déclarations faites au Journal de Montréal, le promoteur nie avoir profité d'avantages exagérés de la part de la SHDM et avoir payé trop peu pour le terrain. Il est par ailleurs impossible de joindre Martial Fillion ou d'autres dirigeants de la SHDM- les demandes d'entretien sont systématiquement rejetées.

«Toute la lumière doit être faite», l'éditorial de Nathalie Collard, à lire en page A20