Il est parfois délicat d'être avocat. Prenez Marc-André Fabien, avocat chez Fasken Martineau. Il représente souvent des clients qui poursuivent la Ville de Montréal alors que sa firme et lui ont eu de nombreux mandats pour représenter la Ville de Montréal. Interrogé par exemple à propos du dernier dossier qu'il a plaidé contre la Ville, Me Fabien, qui a déjà été président et procureur du parti du maire Gérald Tremblay, considère que ça ne le place pas pour autant dans une situation qui l'embarrasse.

Me Fabien a été l'avocat de la Société de transport de Montréal contre le constructeur français Alstom dans le dossier du contrat du métro de Montréal, un dossier qu'il a perdu cette année contre les avocats de Stikeman Elliott. Mais Marc-André Fabien dit que la Société de transport de Montréal n'est pas la Ville de Montréal. «Ce sont des entités totalement distinctes», dit-il.

 

Mais il a été l'avocat responsable de l'enquête décrétée par la Ville de Montréal l'an dernier lors de l'affaire de l'ex-maire d'Outremont, Stéphane Harbour. Le fait qu'il ait été le procureur du parti du maire Tremblay, qu'il ait fait partie de l'organisation de sa campagne électorale en 2001 et qu'il ait été conseiller spécial du maire en novembre et décembre 2001, vice-président puis président de l'UCIM, avait d'ailleurs fait tiquer quand on avait appris qu'il allait cosigner le rapport d'enquête demandé par la ville centre.

Il faut dire que Me Fabien travaille depuis très longtemps dans l'univers immédiat du maire Tremblay: il était déjà son organisateur dans les années 90 quand Gérald Tremblay était ministre de l'Industrie et du Commerce.

Au nombre des dossiers qui l'ont amené à s'opposer à la Ville de Montréal devant les tribunaux, on compte notamment celui de la compagnie 9090-6421 Québec Inc. et de La Compagnie d'administration de Stationnement populaire. La deuxième entreprise exploite illégalement un stationnement sur un terrain appartenant en partie à la première.

«Dans ce cas, il n'y a aucun conflit d'intérêts, c'est très clair dans mon esprit», a dit Me Fabien, qui ajoute avoir «refusé plusieurs autres mandats au fil du temps contre la Ville parce que le cabinet représente la Ville de Montréal dans d'autres affaires».

Pourtant, des mandats contre Montréal, La Presse en a trouvé plusieurs. Me Fabien était l'avocat du Canadien Pacifique cette année dans la contestation du CP de la valeur au rôle foncier de deux gares de triage de Montréal. Il a déjà été l'avocat du CP en 2002 dans une autre poursuite contre la Ville toujours dans un dossier de valeur foncière.

Il a représenté aussi Brault et Martineau contre Montréal en 2004. Il a plaidé contre la Ville en faveur de la Société immobilière du Canada (SIC) en 2002, alors qu'il était président du parti du maire Tremblay. Il a représenté l'entreprise France Film en 2005 contre la Ville, toujours dans un dossier d'évaluation foncière, et encore une fois la SIC en 2006 pour un terrain de la Cité du Havre.

Fasken Martineau est le cabinet d'avocats à qui la Ville de Montréal donne le plus de mandats juridiques depuis des années. Selon des documents de la Ville, 22 mandats lui ont été accordés entre novembre 2005 et octobre 2007 pour plus de 1,4 million. En date d'aujourd'hui, la somme dépasse 1,6 million.

Un de ceux qui ont endossé des mandats déjà donnés à Fasken Martineau est Robert Cassius de Linval, directeur des affaires corporatives à la Ville et ancien employé de Fasken Martineau. M. Cassius de Linval a notamment endossé en 2003 un contrat de 300 000$ pour que le cabinet d'avocats étudie les conséquences des fusions-défusions.

C'est Fasken Martineau qui s'occupe des négociations de la convention collective des pompiers de Montréal. Le comité exécutif de la Ville a donné 250 000$ pour ce mandat en août dernier, un mandat qui pourrait coûter 400 000$ à la Ville.

Mais pour Me Fabien, la situation dans laquelle il se place en plaidant contre la Ville n'est pas plus différente que «les cabinets qui, d'une part, représentent le gouvernement du Québec et qui, d'autre part, poursuivent le gouvernement du Québec». «Tous les grands cabinets de Montréal le font», dit-il.

Ne s'attendrait-on pas de la part de Me Fabien à plus de retenue à combattre la Ville au nom d'autres clients? Cela n'a rien à voir, dit Me Claude Auger, le «patron» de Me Fabien chez Fasken Martineau.

«La Cour suprême du Canada, notamment dans l'arrêt Neil, aborde l'ensemble des devoirs de loyauté et les tribunaux ont toujours été très précis qu'à l'égard des institutions publiques, les villes ou les gouvernements, ce sont des organismes tellement larges que ce ne sont pas les mêmes règles qui s'appliquent, dit-il. On peut recevoir des mandats d'un gouvernement et poursuivre le gouvernement.»