Le directeur de la protection de la jeunesse de l'Abitibi-Témiscamingue nous a invité à passer une journée avec lui pour répondre aux critiques de la communauté et discuter des enjeux propres à la clientèle autochtone.

OUI À PLUS D'AUTONOMIE

« Il faut absolument freiner l'exode des jeunes autochtones vers des ressources allochtones. » Philippe Gagné, DPJ de l'Abitibi-Témiscamingue, le dit d'emblée : il est disposé à donner des pouvoirs aux communautés autochtones. Il a d'ailleurs eu plusieurs rencontres avec les gens de Lac-Simon. « La seule région administrative qui n'a pas de telles ententes avec les communautés, c'est l'Abitibi-Témiscamingue. Il est temps de migrer vers des ententes où les instances autochtones auraient une plus grande responsabilité », dit-il. Il y a un bémol. « Mon message a été très clair : la DPJ ne peut pas être l'artisan de cette démarche. Si on veut quelque chose qui fonctionne et qui est à la hauteur de la capacité des communautés, il faut que les communautés soient les artisans de leur projet. »

L'EXCEPTION ABITIBIENNE

Pourquoi les autochtones de la région sont-ils les seuls à n'avoir aucun pouvoir dans la protection de leur jeunesse ? Selon Philippe Gagné, l'échec d'un projet de prise en charge autochtone à la fin de 1990, faute d'argent, a « laissé un goût amer ». Il ajoute : « L'intensité et l'ampleur du soutien requis pour les enfants des communautés, ça refroidit un peu. Le fait, également, de devoir prendre des décisions qui sont impopulaires, tranchées, déchirantes. Il y a des conseils qui se demandent s'ils sont en mesure d'assumer ça. » Sylvie Leblond, directrice adjointe, programme jeunesse, soulève l'enjeu du recrutement. « Il faut que le personnel soit à l'aise d'aller travailler pour une communauté qui va être le patron et qui va être capable de soutenir les décisions. » Elle ajoute : « Parfois, on prend des décisions qui sont difficiles à comprendre de l'extérieur. Et la charge émotive, c'est souvent les leaders qui la reçoivent. Même s'il y a une prise en charge par les communautés, la loi sera toujours appliquée, donc, des décisions qui ne feront pas l'affaire. »

MOINS D'ENFANTS LOIN DE LEUR CULTURE

Chiffres à l'appui, Philippe Gagné affirme que son organisme a multiplié les efforts depuis quelques années pour diminuer le nombre d'enfants placés chez des allochtones. Il y a un peu moins de dix ans, la DPJ a établi l'obligation de tenir un conseil de famille lorsque survient un signalement pour impliquer les proches. « De plus en plus, notre pratique est de maintenir les enfants auprès de personnes culturellement pertinentes. » On a aussi instauré un nouveau processus de retrait des enfants. L'intervenant vérifie d'abord si la famille élargie peut recevoir l'enfant. On se tourne ensuite vers des amis, vers la communauté, puis vers une famille autochtone hors de la communauté. Les familles allochtones sont « un dernier recours », assure le DPJ. En 2017, 24 % des enfants placés de Lac-Simon vivaient avec des Blancs : 9 % ont été placés dans ces familles après les changements de pratiques et 16 % ont été placés jusqu'à leur majorité il y a plusieurs années. Il y a dix ans, « c'était l'inverse ».

POURQUOI PAS 100 % ?

Un quart des placements (35 enfants) chez les Blancs, c'est encore trop, dit le conseil de bande. Pourquoi ne pas placer tous les enfants chez des autochtones ? « À un moment donné, on se bute à l'épuisement des ressources du milieu, explique M. Gagné. Il arrive qu'on évalue des milieux pour recevoir des enfants et qu'on ne puisse pas les accréditer. Ça fait également partie de la réalité. Les critères, les antécédents, aussi la capacité d'accueil d'une famille... Des fois, grand-maman ne va pas bien non plus. Je n'enverrai pas un enfant dans une famille dans laquelle il y a un préjudice pour sa sécurité. Bien souvent, la surpopulation fait en sorte que les grands-parents, l'oncle, la tante demeurent dans la même maison que les parents. Ça aussi, ça nous limite dans les possibilités d'utiliser la famille élargie. »

LE SPECTRE DES PENSIONNATS

Le spectre des pensionnats plane sur la relation entre les familles de Lac-Simon et les intervenants sociaux. Karine Dessureault travaille dans la communauté. « On fait affaire à des familles qui sont extrêmement méfiantes, blessées, avec qui la base est de créer un lien significatif pour faire descendre la méfiance et aller chercher la collaboration des gens. C'est un défi parce qu'on travaille avec des familles qui ont vécu des blessures dans le passé, qui ont grandi avec ça, et des fois, nos interventions peuvent être perçues comme des choses qu'ils ont déjà vécues », dit la jeune femme. Elle assure avoir réussi à créer des liens positifs en ajustant ses interventions à la culture du milieu. Elle donne l'exemple du silence. « Les silences, c'est très important dans la culture autochtone, et quand on ne connaît pas ça, ça peut susciter le malaise. On pense que la discussion est terminée, mais elle n'est pas terminée et ça nous amène vers autre chose. »

L'INTIMIDATION

Le contexte dans lequel interviennent les travailleurs sociaux à Lac-Simon est parfois tendu, racontent les employés. Sandra Falardeau, chef de service à Lac-Simon, raconte qu'il arrive par exemple que des résidants se rassemblent autour de la voiture d'une intervenante en route vers une intervention. Depuis la mort du policier Thierry Leroux, tué lors d'une intervention dans une résidence de la communauté, les employés du centre jeunesse se promènent tous avec une radio lorsqu'ils vont chez les gens. « Tout le monde était très inquiet sur la communauté, entre autres les services publics. Ce qu'on voulait, c'était être encore capable d'aller dans le milieu avec un sentiment de sécurité », explique Nancy Burrows, elle aussi chef de service. Le directeur le dit : « Oui, il y a des situations d'intimidation de la part de membres de la communauté envers le personnel de la DPJ. Oui, ça peut [les] effrayer. C'est avec tout ça qu'on travaille. »

ENCORE LA CRISE DU LOGEMENT

Depuis des années, les Algonquins réclament de nouvelles maisons. Il en manquait 300 il y a cinq ans. Il en manque toujours autant. Actuellement, 2000 personnes vivent dans les 300 maisons existantes, dont certaines sont en très mauvais état. Philippe Gagné joint sa voix à celles des habitants de Lac-Simon. « Réglons la situation du logement. Donnons de l'air aux familles, donnons-leur la possibilité d'évoluer dans une intimité familiale, et je pense que ça fera un monde de différence. Il y a un grave problème de surpopulation. Une femme qui vit de la violence conjugale, donnez-lui l'occasion d'avoir une solution réelle à sa situation. Est-ce que c'est un vrai choix de rester avec ton conjoint quand tu sais que tu n'auras pas de maison ? »

BIENVENUE À L'ÉTAPE

Sur 55 résidants, plus de la moitié des jeunes hébergés au centre de réadaptation L'Étape de Val-d'Or sont autochtones. Un record, selon Marie-Claude Duval, adjointe à la direction programme jeunesse. Ici passent des jeunes qui, pour toutes sortes de raisons, ne peuvent pas être hébergés en famille d'accueil. Certains souffrent de problèmes de consommation. On accueille quelques fois par année de jeunes rescapés d'un pacte de suicide. « Ce sont des communautés lourdement affectées par des problèmes sociaux. Et il y a beaucoup plus d'enfants qu'avant. Il y a énormément de problèmes et énormément d'enfants. » À L'Étape, il n'existe pas de programmes destinés spécifiquement aux membres des Premières Nations. Guilaine, intervenante, nous explique qu'elle emmène des groupes faire du canot l'été et demande à ses jeunes de faire de la cuisine traditionnelle. Mme Duval observe : « C'est des jeunes qui parlent très bien français. Ils ne parlent plus algonquin. Ils sont stimulés par la télévision et les appareils électroniques. Ils sont très modernes. Ils se comportent comme le reste des jeunes. » Exactement ce que redoutent les communautés.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Nancy Burrows

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Karine Dessureault, intervenante sociale à la DPJ de l'Abitibi-Témiscamingue