Mikis a grandi au pensionnat et dans une famille d'accueil blanche. Elle y a vécu cinq ans. Cinq ans loin de ses parents, de sa culture et de sa langue.

Quand elle est devenue adulte, ses enfants lui ont été retirés par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et ont été placés, comme elle, dans des familles allochtones. Ils y ont passé près de 10 ans.

Trente ans plus tard, c'était au tour de ses petits-enfants de tomber dans la ligne de mire des services sociaux. Leur mère, sa fille, s'est suicidée.

Trois générations. Trois fois la même histoire.

Mikis nous accueille dans sa maison de Lac-Simon. Ses petits-enfants, trois garçons joufflus et souriants, jouent dehors avec leur grand-père. La femme de 52 ans s'est battue pour en avoir la garde après la mort de sa fille. Il n'était pas question que, comme elle et comme leur mère, ils grandissent loin de leur communauté.

« J'étais rendue que je connaissais le système. Je me suis dit : "Je ne me laisserai pas piétiner." Je suis allée en cour. J'ai réussi à les avoir avec moi. »

Mikis (prononcer Miguish), c'est son nom spirituel. Ça veut dire « perles » en algonquin. La Loi sur la protection de la jeunesse nous interdit de l'identifier.

C'est elle qui a proposé que nous utilisions ce pseudonyme. Il a une signification particulière, puisque son récit commence par l'histoire d'une fillette arrachée à sa culture et se termine avec la lutte d'une grand-maman pour que ses petits-enfants puissent conserver la leur.

LA PREMIÈRE GÉNÉRATION

Nous sommes au tout début des années 70. Mikis a « 4 ou 5 ans ». Comme les autres enfants autochtones de son âge, la fillette doit quitter sa famille. Elle a atteint l'âge de l'école, l'âge du pensionnat.

Elle intègre celui de Saint-Marc-de-Figuery, tout près d'Amos, où vivent aussi ses frères et soeurs. Elle garde de l'endroit un souvenir bien précis : « Quand on parlait en algonquin, ils nous faisaient tendre la main et ils nous donnaient des coups de règle. Une règle en bois avec une bordure en métal. »

L'école résidentielle ferme officiellement ses portes en 1973. L'enfant et sa soeur sont alors placées dans une famille d'accueil blanche à Senneterre, où elles vont à l'école. Elles y vivront encore quelques années, jusqu'à ce que leur famille s'installe dans la réserve de Lac-Simon, où il y a une école. Maintenant préadolescentes, Mikis et sa soeur rentrent à la maison.

« Ce n'était plus pareil. J'avais perdu l'affection de mes parents. Je me souviens que j'étais très proche de mon père avant. Il me donnait beaucoup d'affection. Quand on est revenues, le lien avait changé. »

LA DEUXIÈME GÉNÉRATION

En 1992, alors qu'elle est mère de six enfants et enceinte d'un septième, la tragédie frappe. Sa fille de 14 mois meurt dans un incendie. C'est le début d'une longue spirale. « Ça m'a brisée. »

Quelques mois plus tard, Mikis frappe à la porte de la DPJ. Le deuil est difficile à surmonter et la femme est victime de violence conjugale. Elle a peur de mourir. « J'ai demandé un peu de répit. Je voulais que mes enfants soient en sécurité. Je n'arrivais plus à m'en occuper », raconte-t-elle.

Elle ne récupérera leur garde que huit ans plus tard, au terme d'une longue bataille. « Je me suis laissé écraser. Je ne connaissais rien. » Selon elle, une dizaine de travailleurs sociaux se sont occupés de son dossier. Un roulement de plus d'un par année. « Tout était toujours à recommencer. »

Au début, elle a sombré dans la drogue et l'alcool. Elle a tenté de se tuer. Puis elle a fui sa communauté et elle s'est reconstruite.

Durant leur placement, les enfants ont bougé. Plusieurs ont vécu dans des familles d'accueil non autochtones.

La mère se souvient que sa fille avait apporté un petit lexique illustré en algonquin. « La famille d'accueil l'a jeté », dit-elle.

Elle accuse les familles allochtones de « faire croire à nos enfants qu'on les laisse tomber ».

« Ça a un impact quand les enfants reviennent chez leurs parents. Ils ont vécu des choses, mes enfants, dans ces familles-là. Ils perdent leur culture, leur mode de vie. Le lien avec les parents est brisé. »

LA TROISIÈME GÉNÉRATION

Ce déracinement, croit la mère, n'est pas complètement étranger au suicide de sa fille. Elle raconte que cette dernière souffrait depuis longtemps d'un grand mal-être. 

« C'est comme un deuxième pensionnat, la DPJ. Ils veulent briser notre culture. Aujourd'hui, il y a des jeunes qui sortent de là et qui se déchirent entre eux. Il y a beaucoup de suicides. »

C'est arrivé en mars 2011. La femme de 26 ans, mère de trois garçons de 1, 2 et 8 ans, a été retrouvée pendue chez elle par son frère.

Quand elle est morte, la jeune maman vivait une peine d'amour, elle luttait contre des problèmes de consommation, elle était dépressive et elle avait fait l'objet de plusieurs signalements à la DPJ au fil des ans.

Lorsqu'elle a accouché de son plus jeune, l'hôpital a refusé de la laisser partir avant qu'elle ne voie un intervenant social. Un autre signalement.

« Elle avait peur de la DPJ. Elle en parlait tout le temps. Tous les jours. C'était rendu qu'elle s'enfermait dans sa maison la porte barrée et les rideaux fermés. Elle était fatiguée. Elle était à bout. »

Quand Mikis a vu la corde dont s'était servie sa fille, elle a flanché. Elle se l'est passée autour du cou et s'est elle aussi laissée tomber dans le vide. Son conjoint l'a attrapé à temps.

« Je la comprends, ma fille. Quand tu te fais arracher tes enfants et qu'ils te disent qu'ils vont être placés à majorité, que tu es limitée dans tes visites. Ça fait mal pour une maman », dit-elle en pleurant.

La jeune femme a laissé une lettre. Sa mère nous l'a montrée. La défunte n'y nomme pas les services sociaux, mais la quinquagénaire est convaincue qu'elle y fait référence à mots couverts dans certains passages.

« Personne ne remarque tes larmes, ta souffrance, ta tristesse... Mais tout le monde remarque tes erreurs », lit-on.

« Les mots sont plus blessants que les coups. »

« Lorsqu'une personne te raconte ses problèmes, ça ne veut pas dire qu'elle se plaint. C'est qu'elle te fait confiance. »