En août 2015, le chef Giovanni Apollo a ouvert le Pastapollo, son premier restaurant à Québec. Puisqu'il avait déclaré y servir les recettes traditionnelles de sa « mamma » italienne, il avait décoré les murs de l'établissement de photos de son enfance.

Le Journal de Québec a publié l'une d'elles, en noir et blanc, montrant quatre gamins à l'air espiègle, un tramway à l'arrière-plan. « Un jeune Giovanni Apollo [...] dans le petit village italien de la côte amalfitaine où il a grandi », disait la légende.

Le problème, c'est que le cliché en question a été croqué... près de 20 ans avant la naissance du chef cuisinier. Il s'agit de l'oeuvre d'un photographe italien, Mario Cattaneo, qui a documenté les rues animées de Naples au début des années 50.

Né le 2 janvier 1970, Giovanni Apollo n'a jamais vécu dans « un petit village italien de la côte amalfitaine ». Il n'a pas davantage vécu à Naples. En fait, il n'a jamais vécu en Italie.

Et il ne se prénomme pas Giovanni.

Il s'appelle Jean-Claude. Il est né à Bourg-en-Bresse, en France. Il a grandi dans la région de Lyon. Bien que ses parents soient d'origine italienne, il ne possède pas la citoyenneté de ce pays.

Contrairement à ce qu'il raconte aux journalistes depuis deux décennies, Jean-Claude Apollo n'a donc jamais quitté l'Italie à 13 ans pour rejoindre Paul Bocuse. De son propre aveu, il n'a même jamais été l'élève du chef le plus célèbre de la gastronomie française.

Notre enquête montre que depuis son arrivée au Québec, en 1994, le chef hautement médiatisé a menti sur son nom, son âge, son pays d'origine, ses qualifications et même sur les produits prétendument rares et exotiques qu'il vendait dans ses restaurants.

M. Apollo a aussi emprunté de l'argent à plusieurs personnes pour réaliser ses projets à Montréal. Bon nombre d'entre elles affirment n'avoir jamais été remboursées. Selon une source, ce serait le cas de l'entrepreneur Tony Accurso, qui n'aurait jamais revu la couleur des 2 millions de dollars prêtés au chef cuisinier en argent, matériaux et travaux de construction.

Un passé inventé

Bien qu'il affirme être « natif d'Italie » sur son propre site web, Apollorecettes.com, le cuisinier admet, en entrevue avec La Presse, être né en France de parents immigrés italiens. Il admet aussi ne pas être l'enfant de la photo affichée dans son resto de Québec (aujourd'hui fermé) et prétend avoir voulu faire une blague. « C'est une joke, ça. Vraiment », plaide-t-il.

M. Apollo affirme qu'il n'a « jamais dit » avoir été formé par Paul Bocuse. « J'ai dit que j'avais été formé par les élèves et les disciples de Paul Bocuse, ce qui est bien différent. »

Nos recherches montrent pourtant que le cuisinier a bel et bien raconté avoir été formé par Bocuse à de nombreux médias, en plus de s'en être enorgueilli dans son profil LinkedIn et dans son livre de recettes, Apollo, publié en 2007 chez Transcontinental.

« Pendant mes années chez Monsieur Paul, comme l'appellent les gens qui l'aiment et qui l'admirent, j'ai beaucoup appris et j'ai développé un sens de la technique », a-t-il ainsi confié à Atmosphère, le magazine d'Air Transat, au printemps 2010.

M. Apollo affirme aujourd'hui que le profil LinkedIn à son nom est faux. Il laisse entendre que tous les journalistes qui l'ont interrogé au fil des ans se sont fourvoyés. « Je n'ai pas approuvé ni contrôlé tout ce qui a pu être écrit, publié ou dit à mon sujet au cours des années », souligne-t-il dans une déclaration sous serment transmise à La Presse après l'entrevue.

Invité au talk-show web Pas d'temps à perdre en mars dernier, M. Apollo a pourtant lui-même confirmé avoir quitté l'Italie à 13 ans pour rejoindre Bocuse, précisant même s'être rendu en France sans l'accord de ses parents et sans le moindre soutien. « Ç'a été tough, a-t-il raconté, l'air grave. Parce que je ne dormais pas vraiment dans une maison, mettons. »

En février 2014, M. Apollo a affirmé au magazine Échos vedettes : « Toute ma famille vit encore en Italie, et même si mes frères et mes soeurs ne comprennent pas exactement ce que je fais ici comme travail, ils sont fiers de savoir que je réussis en Amérique. »

En réalité, la famille Apollo s'est installée en France dans les années 60. Une chose est vraie, cependant, dans l'affirmation du chef au magazine : sa famille ne comprend pas.

Joint par La Presse à Saint-Martin, Jo Apollo juge que « le Québec a été très naïf » en ce qui concerne son frère cadet. « Cela fait 15 ans que je ne lui parle pas à cause de cela », nous a-t-il confié lorsque nous l'avons interrogé sur les incohérences dans le discours de Jean-Claude Apollo au sujet de son parcours professionnel.

Photo tirée du Journal de Québec

« Un jeune Giovanni Apollo [...] dans le petit village italien de la côte Amalfitaine où il a grandi », dit la légende accompagnant cette photo publiée dans le Journal de Québec. Le problème, c'est que le cliché en question a été croqué... près de 20 ans avant la naissance du chef cuisinier.

Photo tirée du livre Apollo

Giovanni Apollo a bel et bien raconté avoir été formé par Paul Bocuse à de nombreux médias, en plus de s'en être enorgueilli dans son livre de recettes, Apollo, publié en 2007 chez Transcontinental.

Jo Apollo affirme avoir tenté de mettre son frère en garde « en lui disant : "Regarde, à un moment, il faut que tu t'arrêtes." Et il n'a jamais arrêté ».

Du cheval vendu pour du gnou

Embauché lors d'une soirée-bénéfice au Théâtre du Nouveau Monde, en 2006, Jean-Claude Apollo a servi ce qu'il disait être de la viande de gnou aux convives. À quelques reprises, ce bovidé africain a aussi figuré au menu de ses restaurants de Montréal.

« C'est ce que j'avais commandé, c'est ce que j'ai eu, c'est ce que j'ai servi », soutient le chef, ajoutant que son fournisseur, Néji Saïdane, « importait des poissons et des viandes africaines ».

Joint par La Presse, Néji Saïdane nie fermement avoir importé de la viande de gnou - ou de tout autre animal africain - au Canada. « J'étais importateur de poissons et fruits de mer. Je n'ai jamais importé de viande. Je ne peux pas accepter d'être associé à des mensonges », s'indigne-t-il.

Mardi, quatre jours après l'entrevue, M. Apollo a fait parvenir à La Presse la déclaration sous serment de Christian Bergeron, ancien éleveur d'autruches de Maskinongé, affirmant « solennellement » avoir fourni de la viande de gnou au cuisinier.

Joint par La Presse, M. Bergeron a refusé de dévoiler l'identité de son fournisseur africain.

L'importation de viande de gnou est illégale au Canada. « Il est strictement interdit d'importer d'Afrique toute viande ou produit de viande ; cette interdiction vise tant la viande commerciale que la viande sauvage », dit Natasha Gauthier, porte-parole de l'Agence canadienne d'inspection des aliments.

Trois anciens chefs et deux ex-partenaires financiers de M. Apollo interrogés par La Presse affirment avoir eu connaissance de produits faussement vendus aux clients comme des mets exotiques. Tous ont exigé l'anonymat par crainte de représailles. « Des trouvailles de menu, j'en ai vu. Les gens s'en sont fait passer pas mal », dit un ancien associé. « C'était un restaurant gastronomique, mais beaucoup de choses étaient bidonnées », ajoute un autre.

Un autre cuisinier raconte : « Un jour, il me dit : "J'ai trouvé des crabes à carapace molle, c'est mon acheteur d'Afrique qui me les a ramenés." Puis j'apprends que c'était en spécial congelé chez Club Price ! Combien de fois on a vendu du bison d'Amérique alors que c'était du boeuf ? »

Vedette du petit écran

Jean-Claude Apollo a été propriétaire d'une demi-douzaine de restaurants au Québec. Il s'est fait connaître par ses fréquentes apparitions médiatiques : il a animé Espace découvertes et Apollo dans le frigo à VTele ; tenu des chroniques à l'émission matinale de Paul Arcand, au 98,5 FM ; participé aux émissions de cuisine Pour le plaisirL'épicerie et Des kiwis et des hommes, à Radio-Canada ; publié quatre livres de recettes. Il a même joué le rôle d'un mafieux italien dans le film Liverpool, de Manon Briand.

En 2011, M. Apollo a publié un « roman en 40 recettes » en collaboration avec l'écrivain Pierre Szalowski. Des mets et des mots (Éditions des Intouchables) raconte l'histoire de Thomas, « affabulateur qui a un don inouï pour la cuisine ».

M. Apollo n'est « pas du tout » l'inspiration du personnage de Thomas, jure M. Szalowski, qui admet cependant avoir déjà vu le chef « enrober les choses ». Dans le roman, lorsqu'on lui demande pourquoi il ment sans cesse, Thomas répond : 

« Ce n'est pas du mensonge, c'est de la décoration ! Regarde ce qu'il y a dans ton assiette. Tu vois, tout seul, ça n'aurait été qu'une pauvre bavette. [...] Mais si tu la sales et tu la poivres, puis que tu y ajoutes des girolles, du vin rouge, des coeurs d'artichauts, de l'échalote et du thym, sans oublier le fond de veau, ça devient un mets extraordinaire. Ben, nous les hommes, c'est pareil. Si on n'ajoute pas un peu de crème autour, on n'est rien de plus qu'un vulgaire morceau de viande. »

Giovanni contre Jean-Claude

Giovanni Apollo avait un parcours impressionnant à son arrivée au Québec en 1994. Qu'en est-il de Jean-Claude ? Nous avons soumis les affirmations du chef à l'épreuve des faits.

SUR SON ARRIVÉE AU QUÉBEC

L'affirmation de Giovanni


À Tout le monde en parle, le 29 septembre 2013, Giovanni Apollo a raconté comment il s'était retrouvé au Québec. Dans un bar de Las Vegas, le cuisinier a rencontré deux hommes à l'accent très prononcé. Lorsqu'il leur a demandé d'où ils venaient, ils ont répondu : « De Beauce, estie ! » Apollo a d'abord cru que la Beaucestie, c'était une région de Belgique. Il a finalement compris que les deux hommes étaient québécois. « En fait, ils ouvraient un resto qui s'appelait le Capitole. Les gars, ils s'appelaient Guy Cloutier et Jean Pilote. »

La réalité de Jean-Claude

Président-directeur général du Capitole, Jean Pilote n'a jamais rencontré Jean-Claude Apollo de sa vie, ni à Las Vegas ni ailleurs. « Cela m'avait surpris quand il avait dit cela, se souvient-il. Cela n'est jamais arrivé. Je me le rappellerais. » En outre, ni Guy Cloutier ni Jean Pilote ne sont Beaucerons. Le premier est originaire de Chicoutimi et le second, de Jonquière, au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

SUR LA CUISINE MOLÉCULAIRE

L'affirmation de Giovanni

À la fin des années 2000, de nombreux reportages ont cité Giovanni Apollo en tant qu'expert de la cuisine moléculaire. En mai 2010, le chef a même fait une démonstration de son savoir-faire à des scientifiques réunis au 78e congrès de l'Acfas. L'année suivante, l'Agence Science-Presse rapportait que le chef cuisinier était détenteur d'une « maîtrise en biotechnologie » et avait suivi un « cours de chimie nucléaire par correspondance ».

La réalité de Jean-Claude

Jean-Claude Apollo n'a pas suivi de cours de chimie nucléaire par correspondance. Il ne possède pas davantage de maîtrise en biotechnologie. En entrevue, il dit s'être « informé » sur la cuisine moléculaire à l'époque. Il soutient également maîtriser des techniques de chimie nucléaire grâce à une formation suivie en France au début des années 90.

SUR SON ÂGE

L'affirmation de Giovanni

Dans un portrait publié par La Presse en mars 2001, Giovanni Apollo est présenté comme un chef de 37 ans arrivé au Québec après avoir acquis une expérience impressionnante à travers le monde. Les sites web de Radio-Canada, Canoe.ca et Cuisine du Québec.com rapportent que le chef a notamment cuisiné pour Jacques Brel. Dans Voix migrantes (Québec Amérique), on explique que le cuistot « débarque, à 29 ans, à Las Vegas, où il devient chef au Caesars Palace », avant d'immigrer au Canada en 1994. Si l'on se fie à ces informations, M. Apollo serait né en 1964.

La réalité de Jean-Claude

Jean-Claude Apollo n'avait que 8 ans lorsque Jacques Brel est mort, en 1978. En effet, le chef est né le 2 janvier 1970. Il avait donc 31 ans, et non 37, lors de la publication du portrait de La Presse, en mars 2001. « J'ai travaillé au Caesars Palace, je n'étais pas chef au Caesars Palace. J'étais cuisinier en 1992, j'avais 22 ans », précise-t-il en entrevue. M. Apollo maintient avoir travaillé dans une vingtaine de pays avant de s'établir au Québec à 24 ans.

SUR SON PASSAGE À L'ÉLYSÉE

L'affirmation de Giovanni

Giovanni Apollo a dit et répété qu'il avait cuisiné pour « François Mitterrand à l'Élysée », comme l'indique son profil LinkedIn. En 2005, Le Devoir soulignait que le chef avait « présidé aux fourneaux du palais de l'Élysée ». En 2001, La Presse rapportait qu'en tant que chef de partie poissonnier, Giovanni Apollo y avait dirigé une brigade de six personnes. « L'Élysée, on s'en fait tout un monde », disait-il, ajoutant avec modestie que ce n'était pas plus exigeant qu'un autre grand restaurant.

La réalité de Jean-Claude

Jean-Claude Apollo n'a pas été chef, ni même cuisinier, au palais de l'Élysée. Il affirme aujourd'hui avoir été mal compris. « Je n'ai pas été à Paris au palais de l'Élysée. J'étais [au restaurant] l'Élysée, à Lyon », affirme-t-il. Et François Mitterrand ? « J'ai cuisiné pour Mitterrand une fois, au Sofitel » de Lyon, soutient-il. M. Apollo y a été embauché en tant que troisième commis de cuisine en 1988.

SUR SA FORMATION CHEZ TROISGROS

L'affirmation de Giovanni

Sur LinkedIn, Giovanni Apollo dit avoir été formé par les frères Troisgros, grands maîtres de la gastronomie française. En entrevue avec La Presse, il précise avoir été stagiaire à la Maison Troisgros pendant « deux mois et demi ». Dans une déclaration sous serment transmise par la suite, le cuisinier évoque plutôt un stage de « quelques jours » en 2000. Une dédicace est accrochée au mur de son restaurant, la Grange d'Apollo, à Richelieu. « Pour M. Apollo, la cuisine de rêve. Michel Troisgros 2000 », peut-on y lire.

La réalité de Jean-Claude

Contacté en France, le chef Michel Troisgros a dit n'avoir jamais entendu parler de celui qui se décrit comme un « chef de renommée internationale » sur son site web, Apollorecettes.com. En fait, la renommée de Jean-Claude Apollo n'a jamais dépassé les frontières du Québec. Cela dit, la signature accrochée sur le mur de la Grange d'Apollo est bien celle de Michel Troisgros, confirme sa belle-fille, Fanny Pralus. « C'est une phrase qu'il met généralement sur les dédicaces adressées aux clients. »

SUR SON PRÉNOM

L'affirmation de Giovanni

M. Apollo affirme que « Giovanni » est son prénom de naissance. « Je m'appelle Giovanni. Quand j'ai émigré en France [...], l'Immigration française exigeait de changer les prénoms s'il y avait une traduction existante », dit-il. C'est ainsi que Giovanni est devenu Jean-Claude.

La réalité de Jean-Claude

L'Immigration française n'a jamais obligé les étrangers à franciser leurs prénoms. Cependant, le formulaire de demande d'acquisition de la nationalité française offre cette possibilité aux nouveaux arrivants. Mais ce choix ne s'est pas offert à Jean-Claude Apollo, puisqu'il est né en France. Jean-Claude est le seul prénom apparaissant sur ses documents officiels, y compris ses passeports canadien et français.

D'anciens associés bouleversés

Quand il s'est associé avec Jean-Claude « Giovanni » Apollo pour ouvrir le restaurant Tentation, boulevard Saint-Laurent, en 2001, Maurice Angers ne croyait pas à sa chance. Le grand chef italien était énergique, coloré, charmant. Formé dans les meilleures écoles, il avait cuisiné pour les grands de ce monde.

« Au début, il nous avait tous charmés. Ma mère, moi, mon frère », raconte l'avocat Stephen Angers, frère de Maurice.

Puis, tout s'est écroulé.

Maurice Angers, issu d'une riche famille et diplômé en gestion hôtelière, ne servait plus que de guichet automatique pour M. Apollo. « Il voulait tout remettre à neuf, à son goût. Son but, c'était vraiment de se servir de la succession de mes parents pour avoir de l'argent sans fin. On aurait pu peinturer et repartir le restaurant de façon raisonnable, mais ce n'était pas ça. »

Maurice Angers a perdu 150 000 $ - et sa santé mentale - dans l'aventure. « Il me traitait comme si je n'existais pas. Je voulais travailler avec lui, mais il était tellement agressif que j'ai fait une dépression et j'ai quitté le restaurant. »

Profondément affecté, Maurice Angers s'est retrouvé interné en clinique. Plus de 15 ans plus tard, il avoue avoir « encore peur » de M. Apollo.

La famille Angers n'a pas tenté de récupérer son argent auprès du cuisinier. « On a conseillé à mon frère de s'en aller, parce que de toute façon, on ne retirerait rien de lui », dit Stephen Angers.

« On a décidé de préserver la santé mentale de mon frère. Giovanni Apollo l'a mis à terre solide. Il l'intimidait, il le traitait de vaurien. »

C'est Stephen Angers qui a annoncé à M. Apollo que son frère n'investirait plus un sou dans le restaurant. « Nous étions sur la terrasse du Tentation. Il est devenu vraiment agressif. Il voulait se battre avec moi. Je suis sorti de là ébranlé. »

M. Apollo conteste cette version des faits. Son association avec Maurice Angers « s'est bien terminée », assure-t-il. « Maurice, c'était un super bon gars. [...] Oui, cela s'est bien passé. » Il dit avoir investi 20 000 $ dans le Tentation, mais admet que Maurice Angers a fourni le plus gros de la somme. Il nie avoir menacé Stephen Angers. « Ce n'est jamais arrivé. Jamais. »

Accurso perd 2 millions

D'autres personnes ont perdu gros au contact de Jean-Claude Apollo. Selon une source proche du dossier, l'entrepreneur Tony Accurso aurait perdu 2 millions de dollars dans deux projets de restaurants du chef cuisinier.

En 2010, les entreprises de M. Accurso auraient exécuté les travaux de rénovation et fourni le matériel du restaurant Apollo situé au 1333, rue University, dans l'ancien presbytère de la cathédrale Christ Church. Elles auraient aussi rénové le restaurant Apollo Les Éclusiers, au Vieux-Port de Montréal. Total de la facture : 1,6 million de dollars.

M. Accurso aurait aussi prêté 400 000 $ à M. Apollo. Selon notre source, ce dernier lui aurait remboursé quelques milliers de dollars, puis n'a plus donné signe de vie. M. Accurso aurait décidé de ne pas le poursuivre parce qu'il doutait de pouvoir récupérer son argent - et parce que, sa réputation étant déjà entachée dans les médias. Il n'avait pas besoin de publicité supplémentaire.

M. Apollo nie s'être endetté auprès de l'entrepreneur. « Tony Accurso, c'était un client à l'époque. Il venait souvent au restaurant et il était un gentleman, avec qui je m'entendais bien. Quand j'ai ouvert le [restaurant Apollo], j'avais besoin de sous. Tony m'a prêté des sous, que je lui ai rendus. »

«La pire expérience de ma vie»

Outre Maurice Angers et Tony Accurso, au moins quatre personnes ayant investi dans différents restaurants de M. Apollo disent y avoir laissé des plumes. Elles sont sorties ébranlées de leur expérience.

L'une de ces personnes, qui a perdu de l'argent dans un projet il y a quelques années, refuse de prononcer son nom tant elle le craint. Elle l'appelle Voldemort, du nom du terrifiant sorcier de la saga Harry Potter. Après avoir mis un terme à leur association, cette personne dit avoir eu peur pendant deux ans dès que l'on frappait à sa porte.

« Je me suis enfui parce que j'avais peur de ses crises de folie », dit un homme qui a investi dans un restaurant de M. Apollo dans les années 2000. « Je suis sorti de là vraiment à terre. C'est la pire expérience que j'ai eue à vie », raconte cet ancien associé, qui refuse de donner son nom par crainte de représailles.

« Je sais ce que ressent une femme battue. Elle ne se prend pas une claque du jour au lendemain. C'est un harcèlement psychologique de jour en jour. J'ai toléré des choses que jamais je pensais que je tolérerais un jour : se faire insulter, être vraiment sous une emprise morale », ajoute-t-il.

L'homme a fui sans demander son reste. « Je préférais perdre de l'argent. Quand il a fait faillite, il aurait pu avoir la largesse de me rembourser, mais je n'ai rien voulu savoir. J'ai fait une croix dessus. Ma santé psychologique vaut plus que cela. »

Apollo répond

Dans une déclaration transmise à La Presse, M. Apollo reconnaît que ses projets de restaurants « n'ont pas toujours eu le succès espéré et que certains ne se sont pas terminés dans les circonstances désirées initialement. Toutefois, il est faux d'affirmer que je suis en mauvais termes avec tous mes anciens partenaires d'affaires ».

M. Apollo a joint à sa déclaration cinq témoignages d'appui, dont celui du chef Martin Juneau.

Le 2 novembre, sept hommes et femmes ont dénoncé l'abus de pouvoir, le harcèlement sexuel, les propos vulgaires ou l'intimidation de M. Apollo sur les ondes de Radio-Canada.

À la suite du reportage, le restaurateur a nié toute inconduite sexuelle. « J'invite toute personne qui alléguerait que j'aurais fait une agression ou un harcèlement sexuel à aller à la police », a-t-il écrit sur sa page Facebook.

Un ancien partenaire d'affaires, qui a requis l'anonymat, s'est associé avec M. Apollo et une autre personne pour ouvrir un restaurant à Montréal. « Très vite, je me suis dissocié de lui. J'ai dit [au troisième associé] : "Il faut l'enlever de là. Tôt ou tard, il va nous attirer des problèmes. Voyez comment il se comporte avec le personnel." Il était odieux. »

« On lui a donné de l'argent pour qu'il parte. Il nous a menacés. On a mis de l'argent pour qu'il sorte, pour ne pas qu'il fasse d'histoires », se souvient-il.

« On est tous surpris, parce qu'on l'a côtoyé et qu'on sait quel personnage il est réellement. Quand on voit qu'il a continué pendant toutes ces années à faire des tournages de télévision, à écrire des livres, à avoir un public... Il ment depuis 20 ans. »

«Enculé, fils de pute !»

En 2012, un cuisinier s'est présenté au restaurant Apollo de la rue University pour récupérer sa paie. Les relations avec son patron, Giovanni Apollo, s'étaient détériorées. Sachant que les choses risquaient de mal tourner, il avait caché un micro sur lui.

Aujourd'hui chef au Musée des beaux-arts de Montréal, l'ancien employé a refusé de nous transmettre l'enregistrement, que nous avons obtenu d'une source confidentielle.

Dans l'extrait que nous diffusons ici, on entend M. Apollo l'accueillir dans son bureau ainsi : « Espèce d'enculé, ferme la porte. » Il accuse son employé de vouloir se plaindre à la Commission des normes du travail. « J'appelle les flics et je te fais arrêter, enculé, fils de pute. [...] Assieds-toi ! Pourquoi tu ne t'assieds pas, espèce de grande gueule ? »

À travers le brouhaha qui s'ensuit, on entend l'employé supplier : « Arrêtez ! Arrêtez ! »

Puis, M. Apollo affirme qu'il accusera son employé de l'avoir frappé. « J'ai deux témoins, j'ai trois témoins même si je veux », dit-il. « J'ai tous les témoins que je veux. »

M. Apollo somme à plusieurs reprises son employé de fermer la porte « pour régler ça ». L'employé refuse. « Vous venez de me prendre par la gorge. Vous venez de me menacer », dit-il à son patron avant de lui annoncer qu'il s'en va. « T'as deux secondes pour rentrer ou je te mets un taquet », rétorque M. Apollo. L'expression française signifie donner un coup de poing.

En entrevue, M. Apollo nie avoir sauté à la gorge de son ancien employé ou l'avoir menacé. Il prétend que son employé lui faisait des doigts d'honneur quand il est entré dans son bureau. « Je le pousse, je lui dis : "T'arrêtes, tu ne me fais pas ça là, mon chum, prends ton chèque, dégage." »

Cette version des faits ne correspond pas à l'enregistrement, où l'on entend M. Apollo refuser de payer son employé à plusieurs reprises.

Déclaration sous serment

M. Apollo a fait parvenir mardi à La Presse une déclaration sous serment dans laquelle nous avons relevé plusieurs affirmations contradictoires.

Dans ce document officiel, M. Apollo affirme n'avoir « jamais été impliqué dans des procédures criminelles pour voies de fait » contre le cuisinier.

C'est faux. M. Apollo a été accusé au criminel dans cette affaire. Au bout de trois ans, il s'est engagé à garder la paix et n'a pas eu de dossier criminel.

Dans sa déclaration sous serment, M. Apollo soutient également avoir été acquitté des accusations de voies de fait portées contre lui dans une autre cause, impliquant cette fois le conjoint de son ex-femme.

Là encore, c'est faux. M. Apollo a été déclaré coupable en juin 2010. Le jugement a été confirmé en appel.

Pour « prouver » qu'il avait été acquitté, M. Apollo nous a transmis un document judiciaire, prétendument lié aux procédures impliquant le conjoint de son ex-femme. Il s'agit en réalité du dossier de M. Halbmeyer.

Dans sa déclaration, M. Apollo soutient que la plaignante identifiée dans le document, Line Comtois, est son ancienne épouse... alors qu'il s'agit d'une sergente-détective du SPVM !

«Désolé d'être européen»

M. Apollo nie être un homme violent, mais admet être « très directif » en cuisine. « Quand je suis en colère, ça pète, mon service, je le donne, let's go, c'est fini. »

« J'ai été élevé comme ça. Je suis européen. Je suis désolé d'être européen. »

En 2006, M. Apollo s'est rendu au spectacle de danse de sa fille. Il a choisi de s'asseoir devant le nouvel amoureux de son ex-femme. Pendant le spectacle, il se retournait sans cesse pour le fusiller du regard. À la fin, il lui a lancé : « Si tu touches à ma fille, je te tue », lit-on dans le jugement de la Cour supérieure.

Puis, M. Apollo l'a entraîné à l'extérieur de la salle, où il l'a roué de coups au visage. L'homme s'en est tiré avec un oeil au beurre noir, une mâchoire enflée et une coupure à l'arcade sourcilière.

M. Apollo a été condamné en 2010. Bien que le jugement ait été confirmé en appel, il continue de nier avoir frappé le conjoint de son ex. « On s'est poussés », dit-il.

Le cuisinier a bénéficié d'une absolution dans cette affaire.

« Je n'ai aucun casier criminel. J'ai un visa pour travailler aux États-Unis. J'ai une cote de sécurité au-delà du réel pour faire à manger à des chefs d'État », se défend-il.

« Est-ce qu'on s'entend avec tout le monde dans la vie ? Non. C'est la vie. C'est comme ça. On ne s'entend pas avec tout le monde. Mais je suis une bonne personne. Je suis une crisse de bonne personne, je vous le jure. »