Depuis 2011, Médecins du monde soigne les personnes migrantes dépourvues de couverture médicale dans sa clinique du boulevard Crémazie à Montréal, seul point de chute pour les clandestins et autres personnes sans statut au Québec. Ici, on traite les plus vulnérables sans poser de questions. Pas même besoin de donner son nom de famille. Nous y avons passé une journée.

UNE CLINIQUE BONDÉE

Midi, une heure avant l'ouverture de la clinique. Déjà, une faune bigarrée fait la queue à la porte. À l'intérieur, l'équipe est en pleine réunion. Infirmières et travailleuses sociales côtoient les bénévoles qui s'occuperont de l'accueil et du triage et serviront d'interprètes. Sur un tableau noir, on retrouve la liste des langues parlées (23) par les membres de l'équipe. Question d'optimiser les ressources, limitées par rapport au nombre de patients, tout le monde passe au triage. On veut s'assurer qu'ils n'ont pas droit à une couverture médicale. Ici, on ne traite que ceux qui n'ont aucune autre solution. « Il y a beaucoup de gens qui ont droit aux soins de santé, mais qui ne le savent pas. On les aide à s'en prévaloir », explique Véronique Houle, directrice des opérations nationales.

PEUR D'ÊTRE DÉNONCÉE

Une jeune Mexicaine est assise avec la bénévole responsable du triage. Lorsqu'on lui demande son statut, elle hésite. « Est-ce que je vais avoir des problèmes si je n'ai pas de papiers ? Est-ce que c'est confidentiel ? » « Totalement. Les gens qui viennent ici sont dans toutes sortes de situations. Nous ne sommes pas là pour les dénoncer. Nous sommes là pour les aider. Je n'ai même pas besoin de connaître ton nom de famille », la rassure la bénévole. La jeune femme avoue être ici « incognito ». Sa mère, sa soeur et elle vivent à Montréal depuis sept ans. Elles ont fait plusieurs demandes pour rester au pays, toutes ont été refusées. « J'ai une infection urinaire et le pharmacien exige une ordonnance, dit-elle. Je n'ai pas d'argent pour aller au privé. »

DIFFICILE DE CONSULTER

La jeune patiente n'est pas à sa première visite ici. Elle vit au Canada clandestinement et a absolument besoin des services d'un dentiste. À sa dernière visite, il y a environ un an, on lui a donné une référence pour un programme de soins dentaires gratuits. « J'ai téléphoné plusieurs fois. J'ai laissé des messages. Ils ne m'ont jamais rappelée. » Elle a de la chance. Un dentiste bénévole partenaire de la clinique a justement des places. Ce n'est pas toujours aussi simple. Un des grands défis de l'équipe de la clinique, explique Pénélope Boudreault, infirmière coordonnatrice, est justement de trouver des professionnels à qui recommander les patients qui ont besoin de plus qu'une simple consultation.

« LES CHIENS SONT MIEUX TRAITÉS »

Dans la salle d'attente, Jacques sort d'une consultation avec l'infirmière. Ici, tout le monde voit d'abord une travailleuse sociale, puis, si nécessaire, une infirmière, qui jugera si un rendez-vous avec un médecin est nécessaire. Jacques en a absolument besoin. Un kyste « gros comme un citron » le fait souffrir depuis des semaines. Il peine à s'asseoir. « Les chiens ont plus de droits que les sans-papiers. Il faut vraiment souffrir pour être soigné. Si j'avais une carte d'assurance maladie, j'aurais pu aller à l'urgence. À la place, je pourrais mourir chez moi pour une chose aussi simple à traiter. » Jacques est Haïtien. Sa demande de statut de réfugié a été refusée, mais les autorités tolèrent sa présence au pays parce que les renvois vers Haïti sont suspendus. Toutefois, il n'a droit à aucune couverture médicale.

PRISE EN CHARGE COMPLÈTE

Son état de santé n'est pas le seul problème de Jacques. Il espère déposer une demande pour considérations d'ordre humanitaire dans un ultime espoir de rester au Canada. Il n'a pas les moyens de payer un avocat. « Je ne peux plus avoir d'emploi. Je suis sans-papiers. » C'est ici qu'entre en scène la travailleuse sociale. Comme avec tous les patients qu'elle voit, elle l'aidera à régulariser son statut. Jacques fonde beaucoup d'espoirs sur cette aide inattendue, lui qui venait consulter un médecin. L'an dernier, 813 personnes comme lui ont reçu l'appui des travailleuses sociales dans la régularisation de leur statut d'immigration, selon Médecins du monde.

PAS DE BÉNÉVOLES, PAS DE CLINIQUE

La clinique pour migrants à statut précaire de Médecins du monde repose sur les bénévoles. Aujourd'hui, trois bénévoles s'occupent du triage, un autre agit à titre d'interprète et une quatrième est à la réception. Le médecin, qui arrivera en soirée, est aussi bénévole. Seules les infirmières et les travailleuses sociales sont employées par MDM. « On fonctionne grâce aux bénévoles. Si quelqu'un ne se présente pas, c'est tout le fonctionnement de la clinique qui en souffre », explique Véronique Houle, directrice des opérations nationales. Médecins du monde fait des démarches depuis plus d'un an pour que Québec contribue au financement de sa clinique. Le gouvernement du Québec ne verse pour l'instant aucun financement à MDM. L'organisme survit avec des collectes de fonds et un peu d'argent de la Direction régionale de santé publique de Montréal.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

« Les gens qui viennent ici sont dans toutes sortes de situations. Nous ne sommes pas là pour les dénoncer. Nous sommes là pour les aider », explique une bénévole.