Quand il est arrivé à Montréal à l'hiver 2015, Teo croyait pouvoir refaire sa vie après avoir fui son pays natal, le Mexique, où la violence et les crimes commis par les narcotrafiquants contaminaient son existence et sa famille. Il a plutôt dû «marcher sa vie» dans les rues de Montréal pour essayer, en vain, de s'en inventer une nouvelle.

«J'ai tout tenté pour me trouver un emploi, mais chaque fois, on me disait que je ne parlais pas français», raconte l'ex-professeur de mathématiques et d'histoire à l'Université autonome de Ciudad Juárez, à la frontière du Texas.

Sa quête d'emploi aura été une quête de dignité, un long parcours semé d'embûches et de refus sans justifications.

«Je n'avais même pas d'argent pour m'acheter une passe d'autobus», se souvient l'homme de 51 ans qui a accepté de se confier à La Presse dans son logement près du boulevard Saint-Michel, où les murs de gypse sont fissurés.

Il n'y a ni meubles ni table de cuisine, le frigo est vide et un petit matelas en fin de vie est posé par terre. C'est là qu'il a passé ses deux dernières années, dans un «demi-sous-sol» avec une porte donnant sur le stationnement de l'immeuble résidentiel.

«Je n'ai pas besoin de beaucoup de choses pour être heureux», concède-t-il.

Travailleur d'agence

Ce n'est pas sans efforts et bonne volonté qu'il a tenté de s'intégrer au marché du travail. Deux jours par semaine, il a suivi des cours de français dans un centre pour immigrants d'Ahuntsic-Cartierville.

«Ça me prenait plus de deux heures pour m'y rendre et autant pour revenir chez moi», raconte-t-il. Parallèlement, il faisait du bénévolat dans son quartier au sein d'un organisme communautaire.

À la fin de son parcours, il a dû se résoudre à se tourner vers les agences de placement de personnel. Ce qu'il a fait en se rendant au métro Saint-Michel, tôt le matin, espérant être embauché «à la journée».

Le point de «rencontre» se trouvait à 45 minutes de chez lui. Et puisque marcher était devenu une nécessité, un mode de survie pour ce travailleur mexicain...

Il a travaillé «quelque part à Laval» dans une entreprise alimentaire à «emballer des sandwichs», puis on l'a fait monter à bord d'une fourgonnette pour aller planter des oignons en Montérégie, aux côtés de travailleurs qui ne posaient pas de questions.



La déportation

Il y a quelques semaines, son rêve de poser ses valises à Montréal s'est évanoui. Il savait déjà que les services de l'Immigration avaient rejeté sa demande d'en appeler d'un premier refus, en vue d'obtenir le statut de réfugié. Il a été déporté le 24 mai après avoir épuisé tous ses recours.

«C'est beaucoup plus difficile qu'avant de faire une demande d'asile en invoquant des risques pour sa sécurité, et c'est ce qu'a fait mon client, qui a vu sa demande rejetée, malheureusement», a brièvement commenté son avocat, Me Anthony Karkar.

Il affirme que le dossier de son «client» - qui a bénéficié de l'aide juridique pour défendre sa cause - était sans tache. «Mais les demandes d'asile provenant du Mexique sont davantage scrutées à la loupe, précise son avocat. Il y a eu, dans le passé, des abus qui nuisent maintenant aux vrais demandeurs d'asile.»

Une poignée de dollars

Quand il a pris l'avion d'Aeroméxico, à Montréal-Trudeau, à destination de Mexico, Teo avait un peu plus de 200 $ dans ses poches. Ces billets verts lui avaient été donnés par une connaissance, touchée par sa situation. Une des agences pour lesquelles il avait travaillé, une semaine avant son départ, ne lui avait pas encore versé son salaire.

«J'ai besoin de cet argent pour payer de vieilles dettes au Mexique, et pour payer mon transport une fois rendu dans mon pays d'origine», avait-il alors confié à La Presse.

Il était déjà de retour au Mexique quand le patron de l'agence a finalement remis l'argent - qu'il devait à ce travailleur d'infortune - à une des connaissances de Teo, qui avait promis de le lui acheminer.

Il aurait voulu rester à Montréal.

«J'ai aimé votre ville, je m'y suis senti bien accueilli, dit-il. Mais je n'ai pas réussi à convaincre les gens de l'Immigration qui m'ont demandé pourquoi j'étais venu ici.»

Il ajoute: «J'ai voulu leur dire que je fuyais la violence dans mon pays et ils m'ont répondu que j'aurais pu aller vivre dans un autre État moins violent.»

Il n'est pas retourné à Ciudad Juárez.

Pour sa sécurité, il n'a pas voulu nous dire où il tentera de refaire sa vie. Encore une fois.