Les sondages annonçaient un tout autre dénouement à la soirée électorale d'hier. La Coalition avenir Québec (CAQ) a récolté six points de plus que ce que prévoyait le dernier sondage Ipsos-La Presse-Global News, alors que le Parti libéral du Québec (PLQ) a glissé six points sous les prédictions. Pourquoi les nombreux coups de sonde des dernières semaines n'ont-ils pas su prévoir le triomphe caquiste ?

« Il s'agit de la pire erreur des sondages depuis le début des sondages », a lâché Claire Durand, professeure au Département de sociologie de l'Université de Montréal, experte en méthodologie de sondage, alors que les derniers résultats du scrutin étaient dévoilés.  

Aux yeux de l'experte, hier, rien n'expliquait qu'un tel fossé sépare les prédictions extraites des coups de sonde et les résultats du vote. 

« S'il y avait seulement certains sondeurs qui s'étaient trompés, je ne dis pas, mais au moins quatre méthodologies différentes ont été utilisées et tout le monde s'est gravement trompé », a-t-elle soulevé. 

Le taux de participation un peu en baisse n'est pas l'explication, selon elle, car « il aurait fallu que seuls les libéraux se soient abstenus ». 

Pour la professeure, il faudra réaliser une étude indépendante à la suite des élections d'hier, à laquelle participeront les sondeurs, pour « tenter de comprendre ce qui s'est passé ». La surprise du raz-de-marée caquiste provoquera sûrement une perte de confiance chez les électeurs face aux sondages, croit Mme Durand. 

Mais les sondages gardent leur place dans le processus électoral, a-t-elle ajouté. « L'interdiction de la publication des sondages serait le pire qui pourrait arriver. Les gens continueraient de faire des sondages et seuls les grands partis avec des moyens pourraient savoir l'opinion publique, ce qui serait inacceptable. »

Selon Sébastien Dallaire, directeur général de la firme Ipsos, « le fait que tous les sondeurs se soient trompés montre que les gens nous ont tous dit la même chose », mais que la tendance observée ne s'est pas rendue jusqu'aux urnes. 

« Les électeurs libéraux sont restés à la maison, a déclaré le directeur général d'Ipsos, qui pense qu'il s'agit là d'une des raisons expliquant les erreurs de sonde. Le PLQ n'a pas réussi à mobiliser sa base, et la CAQ a profité du désir de changement. » 

Cette envie de renouveau a été observée même avant le début de la campagne et n'a jamais disparu », a-t-il également observé. M. Dallaire maintient toutefois que les sondages restent des outils « généralement précis ».

Les résultats annoncés ces dernières semaines se sont avérés en ce qui concerne le parti gagnant, ainsi que la place du Parti québécois (PQ) et de Québec solidaire (QS), dit-il, mais « la force du désir de changement a été sous-estimée ». 

L'industrie du sondage doit maintenant « retourner à sa planche à dessin pour mieux estimer comment les gens vont aller voter selon différentes circonstances », croit M. Dallaire. « Il va falloir beaucoup d'analyse pour comprendre toutes les causes de ce qui s'est passé », a-t-il conclu.

Capsule  : Bernard Motulsky, professeur au Département de communication sociale et publique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM)

Bernard Motulsky, professeur au Département de communication sociale et publique de l'UQAM, avoue avoir été extrêmement surpris après une demi-heure de dépouillement lorsqu'il a vu l'écart se creuser entre la CAQ et ses adversaires. 

« Il y a quelque chose que les sondeurs n'ont pas vu, a constaté M. Motulsky. Il y a eu un phénomène qu'on n'a pas été capable d'appréhender, une vague qui nous a surpris. 

Il s'est passé un changement majeur, qui arrive rarement. » Pour lui, bien que les sondages soient habituellement assez fiables, il faudra à l'avenir mieux considérer l'impact du comportement des citoyens sur les résultats finaux. 

« Il y a ce que vous dites et ce que vous faites, a-t-il résumé. Pour comprendre ce qui s'est passé, je pense qu'il faudra voir qui est allé voter et qui n'y est pas allé. » 

Selon Bernard Motulsky, un « scepticisme un peu plus sain » envers les sondages risque de s'installer, ce qui est une bonne chose, car l'avenir ne peut être prédit avec précision, comme l'ont prouvé les résultats d'hier. Il ne faut surtout pas tourner le dos à ces « outils qui restent très utiles », croit-il toutefois.