Les traits tirés, épuisés par une interminable campagne électorale qui aura duré 39 jours, les chefs de parti n'ont plus désormais qu'à attendre le verdict des électeurs, qui tombera en soirée ce lundi.

Au fil de la soirée électorale et des annonces de victoires et de défaites pour leur formation aux quatre coins du Québec, ils n'auront qu'un seul chiffre en tête : 63.

C'est le chiffre magique pour exercer le pouvoir sans partage, à la tête d'un gouvernement majoritaire.

Or, tout indique, si on se fie aux divers sondages publiés en fin de course, que le paysage politique sortira certes transformé de cette élection, mais qu'aucun parti en lice ne réussira à remporter au moins 63 des 125 sièges de l'Assemblée nationale, soit le minimum requis pour former un gouvernement majoritaire.

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Selon les estimations publiées samedi par le site de projection Qc125, qui cumule les données de différents sondages et calcule des moyennes, François Legault, chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), est celui qui aurait le plus de chance de former le prochain gouvernement et de porter le titre convoité de premier ministre du Québec.

La CAQ pourrait ainsi espérer gagner 61 sièges, soit juste un peu en dessous de la barre de la majorité, reléguant l'opposition officielle au Parti libéral du Québec (PLQ) de Philippe Couillard, qui devrait se contenter de 44 sièges.

Mais cette projection ne tient pas compte de la traditionnelle « prime à l'urne » qui avantage habituellement le PLQ, grâce au vote d'électeurs « discrets » qui l'appuient. Elle ne tient pas compte non plus de la machine libérale, qui a prouvé son efficacité à faire sortir son vote et à coiffer la CAQ, éventuellement, de justesse, au fil d'arrivée.

Toujours selon le calcul de probabilité effectué par Qc125, le Parti québécois (PQ) de Jean-François Lisée se dirigerait vers sa plus cuisante défaite des dernières décennies, avec seulement 12 sièges, soit le strict minimum pour être un parti reconnu à l'Assemblée nationale.

Québec solidaire et sa co-porte-parole Manon Massé fermeraient la marche avec 6 sièges, soit le double de ce que le parti compte actuellement.

Si ce scénario s'avère, parmi les quatre chefs de parti, certains vont jouer leur avenir politique dans les heures qui viennent, laissant présager des courses au leadership dans un futur proche.

Une première depuis 1976 ?

Le paysage politique québécois risque donc de changer en profondeur.

Au moment de sa dissolution de la Chambre, le 23 août, l'Assemblée nationale cédait 68 sièges au Parti libéral du Québec (PLQ), qui formait depuis avril 2014 un gouvernement majoritaire, l'opposition officielle était formée par le Parti québécois (PQ), avec 28 sièges. La Coalition avenir Québec (CAQ) de François Legault, devenait le deuxième groupe d'opposition avec 21 sièges, tandis que Québec solidaire en avait trois. Cinq députés étaient indépendants.

Si la CAQ est proclamée gagnante lundi soir, ce sera la première fois depuis 1976 qu'un parti n'ayant jamais formé le gouvernement remporte la victoire. La CAQ a été créée en 2011.

Lors du dernier scrutin, le 7 avril 2014, le PLQ avait accaparé 41 % du vote populaire avec 70 sièges, contre 25 % au PQ (30 sièges) et 23 % à la CAQ (22 sièges), tandis que QS n'avait obtenu l'appui que de 7 % des électeurs, raflant trois sièges.

Après 2007 et 2012, 2018 ?

Si les Québécois se lèvent mardi matin avec un gouvernement minoritaire, ce ne sera pas une première. Ce fut le cas à deux reprises récemment, en 2007 (avec un gouvernement libéral comptant 48 sièges et 33 % du vote) et en 2012 (avec un gouvernement péquiste comptant 54 sièges et 31,9 % du vote).

Plus difficile à gérer, un gouvernement minoritaire dure en moyenne 18 mois.

En ce cas, c'est donc dire que, malgré la loi sur les élections à date fixe aux quatre ans, les Québécois pourraient en théorie se retrouver en campagne électorale au printemps 2020.

Pas de « question de l'urne »

Durant toute la campagne, les leaders politiques se sont disputés à savoir quelle devait être « la question de l'urne », c'est-à-dire l'enjeu dominant de la campagne, celui en fonction duquel les électeurs risquent d'orienter leur vote.

Or, traditionnellement au Québec, depuis des décennies la fameuse « question de l'urne » finissait toujours par tourner autour de la question nationale, opposant souverainistes et fédéralistes.

Mais compte tenu de l'engagement pris par le PQ de ne pas tenir de référendum sur la souveraineté dans un premier mandat, la présente campagne électorale a paru se dérouler sans véritable fil conducteur, sans « question de l'urne » de remplacement.

En misant sur le taux élevé d'insatisfaction de la population envers le gouvernement exprimé dans les sondages, le chef caquiste François Legault a bien tenté d'imposer le thème du « changement », en en faisant même le slogan de sa campagne.

Mais c'est plutôt la question de l'immigration qui l'a rattrapée et lui a fait perdre des points. Il a fait la démonstration qu'il maîtrisait mal le processus menant à admettre des immigrants au Canada. Il s'est aussi empêtré pendant plusieurs jours dans ses tests de valeurs et de français à imposer aux candidats à l'immigration, sans jamais dire clairement s'ils allaient être expulsés en cas d'échec.

Le chef libéral Philippe Couillard a tenté d'imposer le thème de la pénurie de main-d'oeuvre, avec plus ou moins de succès. Il s'est attiré des critiques en déclarant qu'une famille de trois personnes pouvait s'alimenter pendant une semaine avec 75 $.

Un tournant de la campagne du chef péquiste Jean-François Lisée s'est produit quand il a attaqué Québec solidaire et sa co-porte-parole Manon Massé, qui chercheraient à dissimuler la véritable structure décisionnelle de leur parti et les visées extrémistes de leur programme.

Par la suite, Mme Massé a admis, puis a nié que Québec solidaire était d'allégeance marxiste. Elle a été critiquée pour s'être réclamée de l'héritage du fondateur du PQ, René Lévesque.

Mme Massé avait connu un mauvais départ en affirmant erronément que l'anglais était une langue officielle au Québec.

Malgré ces quelques couacs, pour la première fois depuis sa création il y a une douzaine d'années, Québec solidaire pourrait faire une percée hors de Montréal, selon ce qu'indiquent les sondages. QS a des visées à Québec (Taschereau), en Estrie (Sherbrooke) et en Abitibi (Rouyn-Noranda).

Taux de participation

Il reste à savoir si la population va se rendre en masse dans les bureaux de scrutin, un élément qui pourrait aussi faire une différence sur le résultat de l'élection.

En 2014, seulement 71 % des électeurs s'étaient prévalus de leur droit de vote. Dans un passé récent, le taux le plus bas avait été enregistré en 2008, avec 57 %. Ce phénomène risque de s'aggraver à l'avenir par le fait que la génération montante affiche une indifférence croissante envers le processus électoral. Parmi les jeunes âgés de 18 à 24 ans, près de la moitié (45 %) des citoyens avaient boudé le processus électoral en 2014.