Des économistes québécois critiquent sévèrement les cadres financiers du Parti libéral du Québec et de la Coalition avenir Québec, qui ont tous deux financé une partie de leurs promesses électorales en prévoyant une croissance économique plus forte que celle prévue par le ministère des Finances du Québec.

À terme pour l'exercice 2022-2023, les libéraux ont ainsi financé 63 % de leurs promesses électorales et les caquistes 26 % de leurs promesses électorales grâce à cette décision comptable.

« On [les] voit agrandir un peu le filet, donc c'est plus facile de marquer des buts. [...] C'est la voie facile pour faire apparaître des recettes gouvernementales », dit le fiscaliste Luc Godbout, titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke.

« Nous ne sommes pas d'accord [avec cette approche]. Ça brouille les pistes, ça empêche la comparaison stricte et objective des cadres financiers. Tout le monde pourrait ainsi justifier [des promesses électorales] : "Moi aussi, je vais rajouter des milliards parce que la croissance économique est plus forte." Tous les partis devraient partir sur la même base », dit Yves St-Maurice, président du comité des politiques publiques de l'Association des économistes québécois.

Le professeur Luc Godbout et l'Association des économistes québécois sont d'autant plus déçus que pour la première fois, le ministère des Finances du Québec avait produit un rapport préélectoral (validé par la vérificatrice générale du Québec) qui établit des prévisions de croissance économique et de revenus gouvernementaux jusqu'en 2022-2023. Ce rapport a été produit avec l'objectif que tous les partis politiques chiffrent leurs promesses en fonction des mêmes prévisions de croissance économique.

Or, tant le Parti libéral du Québec (PLQ) que la Coalition avenir Québec (CAQ) ont choisi de financer une partie de leurs promesses électorales en moussant les perspectives économiques - et par conséquent les revenus générés par Québec.

Pour l'ensemble du mandat, le PLQ a fait passer, dans ses prévisions, le taux de croissance moyen du PIB réel de 1,6 % à 1,7 % - ce qui donne 1,56 milliard de dollars de plus en revenus pour le gouvernement du Québec en 2022-2023. Le PLQ a chiffré le coût de ses engagements électoraux à 2,45 milliards en 2022-2023.

La CAQ a aussi utilisé la même stratégie comptable, mais dans une moindre mesure. Pour les deux dernières années d'un éventuel mandat (2021-2022 et 2022-2023), la CAQ estime qu'elle pourra faire croître le PIB d'un demi-point de pourcentage supplémentaire, soit de 1,3 % à 1,8 % - ce qui engendrerait des revenus supplémentaires de 350 millions en 2021-2022 et 700 millions en 2022-2023.

La CAQ a chiffré le coût de ses engagements électoraux à 2,7 milliards en 2022-2023.

« C'est quelque chose d'un peu présomptueux de dire que ton gouvernement va avoir un impact quantifiable sur la croissance économique. C'est correct de le penser, mais il ne faut pas le prévoir en dépenses », dit Luc Godbout, professeur à l'Université de Sherbrooke. En 2014, les libéraux de Philippe Couillard avaient aussi estimé que leur élection provoquerait une croissance économique plus grande, rappelle M. Godbout.

« Ce n'est pas juste »

Dans le rapport préélectoral du ministère des Finances dévoilé le 20 août, le ministre des Finances du Québec Carlos Leitão écrit que ce rapport « constitue également une référence et une base commune, à l'aube de la prochaine élection ». Le PLQ et la CAQ n'ont pas suivi cette « base commune ».

« Je trouve ça très dommageable alors qu'il y a un exercice rigoureux et non partisan du ministère des Finances, approuvé par la vérificatrice générale du Québec. Que les partis fassent les promesses qu'ils souhaitent, nous n'avons pas comme observateurs à nous immiscer là-dedans, mais dire que la croissance économique va être plus élevée [que les prévisions du ministère des Finances], c'est quand même un peu particulier », dit le professeur Luc Godbout.

« Ce n'est pas juste, tout le monde devrait partir de la même croissance économique, dit l'économiste Yves St-Maurice, de l'Association des économistes québécois. On espérait que ça n'arrive pas parce qu'on avait justement un rapport préélectoral qui mettait des bases communes pour tout le monde. »

Le Parti québécois doit présenter son cadre financier aujourd'hui. Québec solidaire a utilisé les prévisions de croissance économique du rapport préélectoral du ministère des Finances.

Luc Godbout et Yves St-Maurice ont été tous deux membres de la commission d'examen sur la fiscalité québécoise (la commission Godbout) en 2014 et 2015. Cette commission avait été créée par le gouvernement Couillard.

PHOTO IVANOH DEMERS, archives LA PRESSE

Le fiscaliste Luc Godbout, titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke

5,2 milliards

Revenus de l'État québécois sur cinq ans (soit l'ensemble de son cadre financier), selon les prévisions à la hausse du PLQ