De toujours acquise au Parti québécois, la circonscription de Pointe-aux-Trembles est cette fois le terrain d'une lutte serrée avec la Coalition avenir Québec. À la mairesse d'arrondissement Chantal Rouleau, porte-couleurs de la CAQ archiconnue dans l'est de l'île, le PQ oppose Jean-Martin Aussant, étoile du parti. La Presse a suivi les deux candidats dans leur course aux appuis.

Jean-Martin Aussant: à la défense du château fort

Depuis la première fois que le nom du Parti québécois (PQ) a figuré sur les bulletins de vote, en 1970, jamais les électeurs de Pointe-aux-Trembles n'ont fait confiance à une autre formation politique.

Alors même s'il n'est pas issu de cette circonscription de la pointe de l'île de Montréal, Jean-Martin Aussant ne se retrouve pas exactement en terrain hostile.

En ce samedi matin, le candidat péquiste fait campagne en famille. Avec sa conjointe Catherine, il a soigneusement choisi les lieux visités afin qu'Eva et Maximilien, leurs jumeaux de 7 ans, ne trouvent pas le temps trop long - épluchette de blé d'Inde avec jeux gonflables, arrêt crème glacée, festival d'art numérique à la place du village...

Sur son chemin, l'accueil est favorable. Plusieurs personnes reconnaissent ce visage familier qu'ils ont vu à la télévision. Mais les souverainistes saluent surtout le successeur de Nicole Léger, qui tire sa révérence après 22 ans comme députée de l'endroit (hormis un hiatus de 2006 à 2008).

« Mme Léger a été très proche des gens, ils sont habitués de la voir souvent. C'est le genre de député que j'étais quand j'étais à Nicolet, et je compte recommencer là où j'ai laissé la dernière fois. » - Jean-Martin Aussant, entre deux poignées de main

« La dernière fois », c'était de 2008 à 2012, lorsque M. Aussant a représenté le PQ dans Nicolet-Yamaska avant de claquer la porte du parti et fonder Option nationale en 2011. Défait aux élections générales suivantes, il quittera la politique (et le Québec) en 2013 avant d'accepter deux ans plus tard la direction générale du Chantier de l'économie sociale. Revenu au PQ en février dernier comme conseiller spécial du chef Jean-François Lisée, il tente désormais de se faire élire dans Pointe-aux-Trembles, « un excellent fit » avec son parcours, selon lui.

« Il y a de la belle job à faire ici... J'ai travaillé toute ma vie en finances, en économie, ce qui, je trouve, est très approprié dans une circonscription comme celle-ci, énumère M. Aussant. L'est de Montréal, c'est l'endroit dans l'île qui a le plus grand potentiel de développement économique. »

AU TOUR DE L'EST

La formule fait consensus auprès des candidats péquistes, caquistes et solidaires dans cette portion de Montréal : c'est au tour de l'Est de recevoir de l'amour de la part du prochain gouvernement.

Dans Pointe-aux-Trembles, le thème des transports en commun est omniprésent.

Dans son Grand déblocage, plan de transports collectifs présenté comme une option de rechange au REM, le Parti québécois promet un « tram de l'Est » qui relierait la pointe de l'île à la station de métro Radisson ainsi qu'à la future ligne bleue. À la clé, un service de bus rapide parcourrait le boulevard Saint-Jean-Baptiste dans un axe nord-sud d'une rive à l'autre.

« C'est vraiment un projet plus intelligent que le REM, qui n'a rien pour l'Est. Il faut que les gens puissent se rendre facilement à leur boulot sans leur voiture. » - Jean-Martin Aussant

Sur le plan du développement économique, Pointe-aux-Trembles peine toujours à se relever du départ des sociétés pétrolières, qui ont laissé derrière elles des millions de pieds carrés de terres contaminées qui tardent à trouver preneur.

Le PQ propose de créer un fonds « substantiel » consacré à la décontamination des terrains dans ce secteur.

« L'est de Montréal a longtemps été un pôle important avec les raffineries ; il faut convertir ce poumon économique en pôle d'énergies vertes et renouvelables », dit-il.

COURSE À SUIVRE

Si la notoriété péquiste dans Pointe-aux-Trembles n'est plus à faire, l'élection n'y est pas une formalité pour autant. La Coalition avenir Québec (CAQ) y a désigné Chantal Rouleau, mairesse de l'arrondissement de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles depuis huit ans.

Même s'il se dit « très confiant », le candidat péquiste s'attend à une course « plus serrée qu'à l'habitude », loin des majorités écrasantes obtenues par Nicole Léger.

Il reconnaît que Chantal Rouleau profite d'une notoriété qui est difficile à égaler.

« Ce n'est pas parce qu'elle est connue qu'elle est avantagée. On est dans un bastion souverainiste. Ça m'étonnerait beaucoup que tout le monde soit soudainement devenu fédéraliste comme c'est le cas pour Mme Rouleau. » - Jean-Martin Aussant

La mairesse d'arrondissement a en effet donné 100 $ au PQ, somme maximale prévue par la loi, chaque année de 2014 à 2017.

Alors qu'il reste encore plus de trois semaines à la campagne, celui qui se décrit comme un « souverainiste pragmatique » se donne comme objectif de « voir le plus de monde possible ». Relativement discret jusqu'ici en dehors de sa circonscription, il sera des prochaines offensives nationales du PQ, dit-il.

« Ceux qui suivent la politique de près me connaissent, probablement mieux que Chantal Rouleau, mais beaucoup de monde ne sait pas encore qui je suis », reconnaît-il.

« Pour l'instant, je veux connecter avec le monde dans Pointe-aux-Trembles. C'est ça qui est important. »

Chantal Rouleau : en quête d'une première percée caquiste

La scène aurait été chorégraphiée qu'elle n'aurait pas été différente.

Un chauffeur de taxi immobilise sa voiture au milieu de la voie, ouvre la fenêtre côté passager et s'étend de tout son long pour serrer la main d'une passante et lui souhaiter bonne chance.

Cette passante, c'est Chantal Rouleau, candidate caquiste dans Pointe-aux-Trembles, mais surtout mairesse depuis huit ans de l'arrondissement qui englobe également Rivière-des-Prairies.

La Presse a accompagné Mme Rouleau pendant quelques heures afin de prendre le pouls de sa première campagne sur la scène provinciale. Partout où elle passe, des citoyens l'interpellent, qui pour lui signifier leur appui, qui pour discuter d'un enjeu municipal qui les tracassent.

« Bien oui, je suis connue », reconnaît-elle.

« Je connais le territoire, j'y travaille, j'y vis, je connais les gens... C'est peut-être ce qui me différencie le plus de mon principal adversaire. » - Chantal Rouleau, dans une très rare allusion à Jean-Martin Aussant

Le 1er octobre prochain, Mme Rouleau pourrait réaliser l'exploit d'arracher ce bastion souverainiste. Mais à plus forte raison, elle a l'occasion de planter un tout premier - et vraisemblablement rare - drapeau de la Coalition avenir Québec dans l'île de Montréal.

Ce n'est toutefois pas tant le parti de François Legault que les électeurs semblent soutenir, mais bien leur mairesse d'arrondissement, à qui ils ont donné 57 % des voix aux élections municipales de 2017 malgré la débandade de son parti et de son chef Denis Coderre.

« Moi, je ne vote pas pour la CAQ, je vote pour Chantal », résume Chada Chaabi, directrice d'un centre de répit pour aidants naturels.

Lorsque La Presse a souligné à la dame voilée que cette formation politique comptait interdire le port de signes religieux aux personnes en position d'autorité de même qu'aux enseignants, Mme Chaabi a réitéré sa confiance en Mme Rouleau.

UNE EX-PÉQUISTE CONTRE LE PQ

En s'invitant en territoire péquiste, Chantal Rouleau se mesure au parti pour lequel elle a toujours voté par le passé.

Elle ne renie d'ailleurs pas son passé souverainiste. C'est Louise Harel qui l'a convaincue de se lancer en politique municipale en 2010. Le Bloc québécois lui avait aussi fait de l'oeil.

N'empêche, Mme Rouleau insiste : elle se décrit d'abord comme nationaliste, ce qui est en phase avec les valeurs de la CAQ, selon elle.

« Quand François Legault parle de se libérer de la péréquation, ça veut dire qu'on veut un Québec assez riche, assez fort pour ne pas en avoir besoin. Se tenir droit, être fiers... Je suis assez d'accord avec ça. » - Chantal Rouleau

Peu encline à la partisanerie - « je me vois d'abord comme une députée » -, elle dit avoir trouvé dans la CAQ le parti qui lui « répond le mieux ». Elle a rencontré François Legault il y a cinq ans alors qu'il travaillait sur son projet Saint-Laurent, qui misait sur le fleuve comme vecteur de développement au Québec. Les deux ont alors développé des atomes crochus.

POUR MONTRÉAL

En tentant de faire le saut au provincial, Chantal Rouleau désire avant tout se faire le porte-voix de l'est de Montréal, si ce n'est de l'île en entier. « Je crois beaucoup à la force de la métropole, ça lui prend une voix forte », dit-elle.

En tête des dossiers qu'elle veut faire cheminer à Québec, on retrouve aussi le développement des transports collectifs. Elle rêve ouvertement du « tramway de l'Est » annoncé par son parti, qui relierait la pointe de l'île au centre-ville en passant par la rue Notre-Dame, et qui apparaîtrait comme un complément au train de l'Est.

Mme Rouleau s'enorgueillit du projet-pilote de navette fluviale qui a connu un vif succès au début de l'été et pour lequel elle a mis tout son poids politique. Mais dans ce dossier, « comme mairesse d'arrondissement, j'ai atteint ma limite », dit-elle.

« Je suis interpellée par les leaders économiques et communautaires qui me disent qu'il est temps qu'on se démarque », explique la candidate.

« On a connu la pétrochimie, on regarde maintenant vers l'écologie industrielle. Ça vient changer complètement la dynamique de l'est de Montréal. » - Chantal Rouleau

Comme mairesse, Mme Rouleau se dit fière de ses réalisations, notamment sur le plan culturel. Elle veut continuer à contribuer à donner aux résidants « une réelle qualité de vie ».

Et surtout, elle ne veut plus que personne, jamais, ne voie l'est de l'île comme « la poubelle de Montréal », triste référence aux sols contaminés du secteur.

« Je les ai connues, les raffineries, l'époque où on se bouchait le nez en passant sur la rue Notre-Dame. »

« Des gens me disent qu'ils sont déçus de me perdre comme mairesse. Ce qu'ils veulent, c'est que je continue de travailler pour eux. Et c'est ce que je compte faire. »

MAIRESSE ET CANDIDATE

Les adversaires de Chantal Rouleau lui reprochent ouvertement d'avoir conservé ses fonctions de mairesse d'arrondissement pendant la campagne provinciale. Elle s'est retirée de ses fonctions officielles et ne préside plus les réunions du conseil d'arrondissement ni les assemblées publiques, mais elle continue de participer à des rencontres de travail, notamment pour l'élaboration du budget de l'arrondissement, qui sera adopté bientôt. Elle s'est engagée à verser son salaire d'élue pour les 39 jours de la campagne à un organisme de charité et démissionnera de son poste si elle l'emporte le 1er octobre. « Avant de me lancer, j'ai consulté le conseiller à l'éthique de la Ville de Montréal et il m'a écrit que c'était correct, dit-elle. Ça se peut que ça dérange des gens, mais c'est légal. » Jean-Martin Aussant ne voit pas les choses du même oeil. « Se mettre en valeur, ça va mieux quand on est assis à la mairie que pour un citoyen ordinaire. Ce n'est pas parce que c'est légal qu'on ne devrait pas se poser de questions. »



Les autres candidats

ERIC OUELLETTE, PARTI LIBÉRAL DU QUÉBEC



Col bleu à la Ville de Montréal et représentant syndical du SCFP-301, Eric Ouellette se décrit comme « le seul véritable syndicaliste » parmi les candidats de la circonscription, selon une présentation publiée sur le site du Parti libéral. Natif et résidant de Pointe-aux-Trembles, il estime que « nous devons impérativement développer notre force économique » afin de « créer des emplois payants pour notre population ». « Mais en même temps, nous devons nous assurer que la justice sociale soit une valeur que nous appliquons », ajoute-t-il.

CELINE PEREIRA, QUÉBEC SOLIDAIRE



« Plus je vais à Pointe-aux-Trembles, et plus je sens que cette circonscription est proche de moi : humble, mais pleine de coeur et débordante de potentiels à développer », exprime Celine Pereira sur le site de Québec solidaire. Selon sa page Facebook, elle s'occupe depuis 2013 de l'accueil d'artistes et d'étudiants internationaux, de la coordination des communications et de la gestion administrative du projet international de recherche-création Immediations à l'Université Concordia/SenseLab. Les candidates solidaires Marlène Lessard, dans Bourget, Marie-Josée Forget, dans Anjou-Louis-Riel, et elles se surnomment les Battantes de l'Est, un trio qui « [lève] le poing, le regard fier aux idées claires ».

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POINTE-AUX-TREMBLES EN CHIFFRES

Population : 53 045

Langue maternelle

Français : 84,4 % (78,9 % au Québec)

Anglais : 2,1 % (7,6 % au Québec)

Principales autres langues parlées : espagnol, créole, arabe

Ménages à loyer : 42,9 % (38,6 % au Québec)

Taux de chômage : 6,7 % (7,2 % au Québec)

Revenu moyen des ménages : 70 349 $ (77 306 $ au Québec)

Source : DGEQ, d'après les données du recensement 2016 de Statistique Canada

RÉSULTATS ÉLECTORAUX

Députée sortante : Nicole Léger, Parti québécois

2014

Parti québécois : 43,2 % (majorité : 5329 voix)

Coalition avenir Québec : 24,1 %

Parti libéral du Québec : 22,4 %

Québec solidaire : 7,8 %