Lorsqu'ils abandonnent la vie publique, les politiciens sont nombreux à justifier leur décision par l'impossible conciliation travail-famille. Ont-ils raison? Rencontre avec des parents qui ont décidé de faire le saut... ou de regarder passer la caravane.

Dans le temps où Alexis Deschênes était journaliste, ses reportages n'ont jamais causé d'insomnie à sa conjointe. Son travail, c'était de rapporter des faits et les opinions d'autrui, et puis voilà. Elle-même journaliste, Pénélope Garon prévoyait qu'une campagne électorale les ramènerait tout simplement à cette vie publique avec laquelle elle avait longtemps composé. Erreur.

«Je n'avais pas mesuré que la charge émotive est tout autre quand c'est ton conjoint qui est cité ou attaqué personnellement.»

La campagne électorale du candidat péquiste Alexis Deschênes a d'ailleurs commencé sur les chapeaux de roues. Une fuite dans les médias a tout précipité, à commencer par la recherche assez urgente d'un appartement à Trois-Rivières alors que la famille - qui compte trois garçons en bas âge - habite à Québec.

Puis, la bombe. Pierre Karl Péladeau, son ancien patron chez Québecor, se porte candidat. Aussitôt, bien au-delà de sa circonscription à Trois-Rivières, Alexis Deschênes est sollicité de toutes parts, appelé à s'expliquer sur les raisons qui l'ont fait abandonner son poste convoité de journaliste à TVA.

Tout cela a causé un stress certain à sa conjointe, selon Alexis Deschênes. «Un stress qui n'est peut-être pas étranger au fait que son dos ait totalement lâché en début de campagne.»

Les parents de la Gaspésie ont été appelés en renfort. Le père de Mme Garon est ensuite venu donner un coup de main, suivi de sa soeur.

«On s'organise, mais c'est difficile, dit Alexis Deschênes, qui savait pertinemment que ça ne serait pas du gâteau. En tant que journaliste, j'ai couvert deux campagnes électorales. Je sais ce que c'est. Ça dure une trentaine de jours, sept jours par semaine. Il faut attacher sa tuque solide, puis passer au travers. C'est ma conjointe, là-dedans, qui est courageuse.»

«En même temps, il ne faut pas exagérer ce que c'est, dit Mme Garon. Il y a plein de mères monoparentales au Québec qui, en plus, en arrachent financièrement. Moi, j'ai mon travail [...] et des gens autour de nous qui nous appellent et qui nous disent spontanément: «Je cuisine en fin de semaine. Je fais de plus grosses portions pour vous en donner? "»

Il y a la campagne électorale et il y a la maison électorale, a résumé l'un des garçons du couple, «et c'est tout à fait cela, poursuit Mme Garon. À la maison, il faut que ça roule».

Il reste que l'absence du père, qui a toujours été très présent dans la vie des trois garçons jusque-là, est durement ressentie. Skype, ç'a ses limites...

«Pour eux, c'est un sacrifice, dit M. Deschênes, mais c'est aussi une expérience humaine intéressante. Je dis toujours à mes enfants qu'ils doivent mener leur vie de façon à ne pas avoir de regrets, quitte à prendre des risques, alors...»

«Les gens disent souvent qu'ils s'empêchent de faire telle ou telle chose parce qu'ils ont des enfants. Moi, j'aime l'idée d'envoyer le message qu'il y a moyen de les intégrer», dit Mme Garon, tout à fait consciente que son discours et celui de son conjoint seront peut-être différents dans quatre ans si Alexis Deschênes est élu.

Valérie Assouline, candidate caquiste, mère de trois filles et d'un garçon, dit qu'elle ne s'est pas portée candidate malgré le fait qu'elle a des enfants, mais plutôt précisément parce qu'elle en a. «Le fait que je sois mère de trois filles m'a encore plus poussée à faire de la politique. Je veux leur montrer que les femmes y ont leur place.»

Il y a cela, puis il y a cette Charte de la laïcité qui, telle que rédigée, l'ulcère profondément. Arrivée avec sa famille du Maroc il y a 40 ans, Mme Assouline se souvient d'avoir été très bien accueillie au Québec et se désole que les choses risquent maintenant de changer.

Mais comment arrive-t-elle à faire campagne avec des enfants de 2 ans, 6 ans, 9 ans et 10 ans? D'abord, il y a cette nanny des Philippines qui passe cinq jours et cinq nuits par semaine à la maison.

Les fins de semaine, les grands-parents prennent la relève. Et, en tout temps, le mari de Mme Assouline, David Janowski, s'implique à fond, s'occupant à la fois des enfants et de la campagne de sa femme. Il s'occupe de son agenda, fait du pointage, multiplie les coups de fil, accompagne souvent sa femme dans son porte-à-porte (les candidats, par mesure de sécurité, ne se présentent jamais seuls).

«Derrière toute grande femme se trouve un grand homme», lance-t-il avec un sourire.

Journées chargées

En gros, résume Valérie Assouline, «on se lève à 6h le matin, on part à 7h de la maison pour déposer les enfants à l'école. Je rentre ensuite vers 23h avec un bref intermède de 17h à 19h pour manger en famille et superviser les devoirs. Ça, j'y tiens, même si je n'y arrive pas toujours.»

Valérie Assouline s'occupe elle-même de la préparation des repas, mais souligne que depuis le début de la campagne, le menu «pizza-frites» revient beaucoup plus souvent qu'à l'habitude.

«Mes enfants sont plutôt impressionnés de voir leur mère sur les pancartes. Ma plus vieille m'a aussi accompagnée pour la prise de photo, et ça l'amusait bien de jouer ma styliste.»

Entre ses congés de maternité, Valérie Assouline, avocate en droit de la famille, a toujours beaucoup travaillé. Si ce n'est du garçon de 6 ans qui fait quelques crises inhabituelles, les enfants ne sont donc pas trop déstabilisés par les nouvelles activités de leur mère, qui dit s'être sentie prête à se lancer maintenant que sa famille est terminée et qu'elle est indépendante financièrement.

Mais même quand le moment est bien choisi et que l'on peut compter sur un entourage très attentionné, il faut composer avec le streptocoque de l'une et le mal de ventre de l'autre...

Photo François Gervais, archives Le Nouvelliste

Le candidat péquiste Alexis Deschênes en compagnie de sa conjointe, Pénélope Garon.