Il n'y aura pas de référendum «tant que les Québécois ne sont pas prêts», a martelé Pauline Marois, qui affrontait les tirs croisés de ses adversaires dans le cadre d'un débat où la question nationale aura dominé. Elle n'a pu s'engager à ne pas tenir de consultation populaire sur la souveraineté dans un prochain mandat péquiste, mais a-t-elle clairement insisté: «L'enjeu de l'élection est d'élire un gouvernement.»

» Qui dit vrai? Nos journalistes vérifient des déclarations lancées lors du débat

« Tant que les Québécois ne seront pas prêts, il n'y en aura pas de référendum. Le plus urgent est de créer des emplois », de soutenir Mme Marois, dans ce premier de deux débats télévisés entre les chefs de parti. Mme Marois s'est retrouvée sur la sellette à propos de la question de la souveraineté, mais aussi de son candidat vedette, Pierre Karl Péladeau, qui conserverait la propriété de 40 % des médias au Québec, une situation inacceptable, ont soutenu à l'unisson Philippe Couillard, François Legault et Françoise David.

Personne n'a été mis K.O. Mme Marois n'a pas réussi le coup d'éclat susceptible de secouer l'électorat, mais Philippe Couillard n'est pas parvenu à asséner un coup décisif. En fait, c'est François Legault qui aura été le plus combatif, attaquant Mme Marois même quand il croisait le fer avec les deux autres chefs de parti.

Souveraineté: débat mouvementé

Sur la question de la souveraineté, Philippe Couillard et François Legault ont haussé le ton. Rappelant l'entrée de Pierre Karl Péladeau dans la campagne, le chef libéral a souligné : « C'est lui qui est arrivé le poing en l'air, qui a parlé de souveraineté et d'indépendance ! N'essayez pas de nous faire croire que vous ne ferez pas tout pour faire un référendum ! On ne vous croit pas ! Les électeurs ne sont pas dupes, ils connaissent très bien la technique : générer la chicane et faire un référendum. Comme le dit la chanson : Tu penses qu'on s'en aperçoit pas ? », de lancer le chef libéral. C'est François Legault qui avait commencé, en exhortant Mme Marois à clarifier sa position.

Mme Marois n'a pas eu le temps d'aborder la question de la langue, mais elle a marqué des points sur la Charte des valeurs. Philippe Couillard lui a rappelé que la Charte aurait pu être adoptée rapidement s'il n'y avait eu prohibition du port de signes religieux. « Vous avez choisi par pur électoralisme d'aller sur un sujet excessivement délicat. Combien de femmes dans nos hôpitaux et nos écoles voulez-vous faire congédier ? », a lancé le libéral. « La seule femme congédiée, c'est Fatima Houda-Pepin », de répliquer Mme Marois, évoquant l'expulsion du caucus libéral de la seule députée musulmane de l'Assemblée nationale, et candidate indépendante dans La Pinière. « On n'a pas l'intention de congédier qui que ce soit, il y a des phases de transition », a-t-elle poursuivi.

Françoise David ne pouvait compter sur l'effet de surprise du débat de 2012. C'est toutefois elle qui a le plus profité des échanges pour promouvoir le programme de son parti. Elle a maintes fois attaqué Mme Marois, moins progressiste que ne le promettait son programme électoral, selon elle. L'assurance autonomie du Dr Réjean Hébert « n'est pas le projet sympathique qu'il a l'air. Il va étendre le privé dans les services aux aînés », dira la co-porte-parole de Québec solidaire.

Comme MM. Couillard et Legault, elle a soutenu qu'il serait insuffisant que Pierre Karl Péladeau, qui possède 40 % des médias au Québec, se contente de mettre ses actions dans une fiducie sans droit de regard. « C'est une évidence crasse que quelqu'un qui possède 40 % des médias ne peut continuer à les posséder et devenir ministre », a-t-elle lancé. Pour Philippe Couillard Mme Marois devrait forcer le patron de presse à « choisir entre la politique ou les affaires. Ce n'est pas une business », a-t-il dit, remettant en question le jugement de Mme Marois. « Pour le jugement, on repassera », a-t-elle répliqué, « je n'ai pas de leçons à prendre de vous », a lancé le libéral. Pour Mme Marois, le baron de presse va respecter scrupuleusement le code d'éthique adopté sous son gouvernement, et les ordonnances du commissaire.

Le débat est resté passablement respectueux. On n'a pas assisté au « lançage de boue » que laissaient entrevoir les déclarations de Mme Marois et de M. Couillard dans les heures précédentes. M. Couillard a toutefois senti le besoin de préciser les conditions de son départ de la politique en 2008, pour une société qui ne faisait pas affaire avec le gouvernement, a-t-il insisté. Mais il n'a pas voulu reprendre à son compte la proposition de Françoise David de porter à cinq ans la période où un ancien ministre ne peut être embauché par une entreprise. La règle actuelle, « deux ans de silence », lui paraît suffisante.

Du côté de l'économie

Sur les questions économiques, Mme Marois a eu plus de fil à retordre. Fébrile, elle a commis quelques lapsus, inventant un « Institut de la statistique du Canada », confondu exportations et importations, par exemple. La confrontation entre Philippe Couillard et François Legault a suscité quelques flammèches. Pour la chef péquiste, il n'y aura jamais eu autant de Québécois à l'emploi qu'actuellement. Jamais le nombre de bénéficiaires de l'aide sociale n'aura été aussi bas. Mais pour Philippe Couillard le Québec aura perdu 60 000 emplois en un an, pour Mme Marois 40 000 emplois sont apparus. Bref, la guerre de chiffres que se livrent les deux politiciens depuis plusieurs semaines déjà s'est poursuivie. Pour marquer son point, Philippe Couillard a confronté sa rivale « si cela va si bien, pourquoi manque-t-il 900 millions dans les coffres au chapitre de l'impôt sur le revenu ! ».

« À cause de l'inflation », de répliquer la chef péquiste, pour qui la situation au Québec se compare à l'Ontario. « Non, c'est parce que le monde travaille pas. C'est basic, ils ne paient pas d'impôt ! » Sur ces mots, François Legault a renchéri : « Depuis que vous êtes au pouvoir, il ne s'est créé aucun emploi. » Le chef caquiste n'a pas hésité à marteler à de nombreuses reprises la nécessité de baisser les impôts de la famille moyenne. À ses yeux, les subventions à l'énergie éolienne constituent une dilapidation des fonds publics, chaque emploi de 48 000 $ aura coûté 200 000 $ en subvention. Sans ménagement, il a accusé Mme Marois d'avoir trahi sa parole en maintenant une taxe santé pour les salariés qui gagnent plus de 18 000 $ par année.