Pour la toute première fois, les contribuables versent des millions de dollars aux partis pour les aider à faire campagne. C'est le prix à payer pour assainir les moeurs du financement électoral.

Maintenant que Pauline Marois a déclenché des élections générales, le directeur général des élections du Québec a distribué hier tout près de 6 millions de dollars aux partis. La cagnotte - 1$ par électeur inscrit - est partagée en fonction des résultats au scrutin de 2012. Par exemple, le PQ touche 1,9 million de dollars. Plus un parti a eu de votes, plus il reçoit de l'argent de l'État.

La formule résume assez bien la nouvelle donne créée par la Loi sur le financement des partis politiques adoptée en décembre 2012. Pour réduire l'influence des donateurs et lutter contre les prête-noms, le financement public des partis est devenu beaucoup plus généreux. En ce qui concerne les dons, ils sont maintenant limités à un maximum de 100$ par électeur. Le plafond augmente à 200$ lors d'une année électorale. Et c'est fini, l'argent comptant: les contributions doivent être versées par chèque au DGE, qui remet l'argent aux partis après vérifications. Cette mesure avait été adoptée par le gouvernement Charest lors d'une première réforme en 2012.

C'est un système de financement unique. «Au fédéral, ils vont exactement à l'opposé de ce qu'on fait. Ils sont en train d'éliminer complètement le financement public aux partis», observe une conseillère de la CAQ, Brigitte Legault, qui abandonnera ses fonctions à la fin de la campagne. Elle a déjà travaillé au Parti libéral du Canada et y retournera vraisemblablement.

Au moment d'adopter la loi, le ministre Bernard Drainville plaidait que les changements se feraient «à coût nul» pour le contribuable, puisque le crédit d'impôt pour contributions politiques est aboli. Or, depuis la réforme, les contribuables versent aux partis environ un million de dollars de plus qu'avant, et encore davantage lors d'une année électorale. Les 6 millions distribués par le DGE lors d'un scrutin sont en effet une nouvelle dépense pour les contribuables.

Moins de golf et de méchouis

Les nouvelles règles de financement ont changé les pratiques des partis. Les tournois de golf sont plus rares, et ont disparu dans certains cas. Avec un don maximum de 100$ par personne, «tu ne vas pas bien loin lorsque tu tiens compte des frais pour organiser l'activité. Tu ne peux pas faire un tournoi de golf qui va te revenir au coûtant à 80$. Il va te rester juste 20$ à la fin!», explique Brigitte Legault.

«Dans mon comté, je faisais un méchoui chaque année. Maintenant, je n'en fais plus. Ça coûte 40$ par personne, un méchoui», indique le député de Saint-Jean, Dave Turcotte, président de la campagne de financement du PQ. Chaque association de circonscription se limite bien souvent à un cocktail de financement par année. «Nos efforts sont concentrés sur cette grosse activité. Avec mon cocktail de financement [du 27 février], j'ai pratiquement atteint mon objectif pour l'année», soit 14 000$, note M. Turcotte.

Au PQ, les associations de circonscription conservent maintenant 85% de chaque dollar qu'elles récoltent; le reste va au bureau national. Auparavant, elles devaient retourner 100% des contributions au «national» jusqu'à ce qu'elles aient atteint leur objectif - elles conservaient 80% de chaque dollar par la suite. «Maintenant, les associations peuvent ramasser davantage d'argent rapidement pour leurs activités politiques et leur fonds électoral», fait valoir Dave Turcotte, dont le parti a récolté le plus de dons en 2013.

QS «dans la game»

De son côté, la CAQ a créé le «club des bâtisseurs», qui permet aux donateurs de 100$ d'avoir accès à des activités en présence du chef, François Legault. C'est une façon d'inciter le contributeur à donner le maximum permis. Mais Brigitte Legault reconnaît que la CAQ a connu des difficultés de financement l'an dernier. Québec solidaire a fait une meilleure récolte de dons.

La hausse du financement public donne d'ailleurs à ce parti des fonds beaucoup plus importants qu'auparavant. Il s'offre même un autocar de campagne. «C'est la première fois qu'on est vraiment dans la game!», lance l'attachée de presse Stéphanie Guévremont.

Au Parti libéral, les activités de financement sont «probablement aussi nombreuses», mais elles ont surtout pour but d'aller chercher le plus de donateurs possible, indique la directrice des communications, Gabrielle Collu. Car avec le plafond imposé aux dons, l'important n'est plus le nombre de zéros inscrit sur le chèque, mais le nombre de chèques.

Frénésie préélectorale

Le PLQ comptait autrefois sur les donateurs les plus généreux, qui pouvaient contribuer pour au-delà de 1000$. Il doit donc s'adapter. Depuis l'adoption des nouvelles règles, le PLQ fait davantage de «campagnes de lettres», des envois pour solliciter membres et sympathisants. Les partis ont d'ailleurs lancé de telles campagnes dès le déclenchement des élections.

Au PQ, on faisait un «blitz» dans 30 circonscriptions les 22 et 23 février. Les bénévoles téléphonaient aux membres et sympathisants ou faisaient du porte-à-porte. Tous les partis veulent garnir leurs coffres en vue des élections.

Le DGE sent bien cette frénésie. «On est obligé d'embaucher du personnel supplémentaire pour être capable de répondre à nos obligations et aux engagements qu'on a pris auprès des partis, c'est-à-dire de verser dans leurs comptes [les contributions par chèques] pratiquement dans les 48 heures», affirme le DGE, Jacques Drouin.