Le processus de nomination du directeur de la Sûreté du Québec doit être revu, croit Philippe Couillard. Un comité d'experts devrait recevoir des candidatures et suggérer des noms au gouvernement, formule qui pourrait aussi valoir pour les grandes sociétés d'État.

Comme si on lui avait enlevé une chape de plomb, Philippe Couillard était détendu dans l'autocar de campagne qui l'emmenait vendredi de Blainville à Québec pour un rassemblement militant en soirée. Le second débat télévisé derrière lui, il écarte rapidement les analyses des commentateurs voulant que François Legault l'a emporté. Un sondage, non scientifique, sur Canoe, auquel 11 000 personnes ont participé, le déclare gagnant, avec l'appui de 35 % des répondants, contre 30 % pour Legault et 29 % pour Marois. Cela lui suffit.

L'avez-vous trouvé bon, Legault? «Il a été insistant, mais avec lui, les bonnes idées sont courtes. Ce sont des clips. Quand on les analyse, ça ne tient pas la route», soutient Couillard en discutant à bâtons rompus avec le reporter de La Presse. L'autocar fonce sur l'autoroute. Avec ses pattes d'ours, M. Couillard peine quelque peu à ouvrir sa canette de Coke Diet. «Je pourrais encore opérer, mais je serais moins bon qu'avant», dit-il, évoquant des interventions de «10, 12 heures, sur une toute petite surface» - ses doigts décrivent un cercle de la taille d'un 25 cents. «Et après les gens me demandent: ''Comment tu fais pour rester calme!''»

M. Couillard termine un point de presse où on lui a demandé à nouveau des comptes sur son compte. Celui de Jersey. Il a aussi lancé dans la mêlée un avis juridique démontrant que sa société avec l'infréquentable Arthur Porter n'avait jamais été réellement mise sur pied. Finalement, il a dû serrer les boulons au sujet de ses déclarations ambiguës de la veille sur la nécessité d'être bilingue quand on travaille sur une chaîne de montage, au cas où un client américain débarquerait.

La Sûreté du Québec

Il prend bien garde pour ne pas attaquer la direction à la Sûreté du Québec. Le directeur actuel, Mario Laprise, a été nommé rapidement après l'arrivée de Pauline Marois au pouvoir. Mais les gouvernements Bourassa, Parizeau, Bouchard et Charest avaient tous voulu choisir le chef de la police peu après leur élection.

«Il faut regarder ça, rendre le processus plus transparent, plus indépendant. Directeur de la SQ, c'est un poste très important, il ne faut même pas qu'il y ait une perception d'influence politique sur le travail», indique Couillard. Ce qu'il propose s'apparente au mécanisme mis en place depuis longtemps pour la nomination des juges. La formule pourrait aussi s'appliquer au choix des présidents des grandes sociétés d'État comme la Caisse de dépôt. Les changements devraient être plus profonds, selon lui, car la loi sur la gouvernance prévoit que c'est le conseil d'administration qui choisit le directeur général dans ces sociétés commerciales.

Le processus actuel, essentiellement le choix du conseil des ministres après recommandation du responsable de la sécurité publique, est «à la fois insuffisant et risqué. Il n'y a pas assez d'indépendance dans la perception, il n'y a pas assez de correspondance entre l'expérience de la personne et la nomination», soutient le chef libéral. Pas question de déclencher une chasse aux sorcières, dit celui qui avait nommé un adversaire, l'ancien ministre péquiste de la Santé David Levine, à la tête de la Régie de la santé à Montréal. Mais il veut une adéquation accrue entre «le poste et le curriculum», et le nouveau système s'appliquera aux personnes en place «dans le respect des individus». La solution prônée par François Legault, faire défiler ces candidats devant une commission parlementaire, est un piège, le vote à l'Assemblée nationale aussi. Dans l'un et l'autre cas, les candidats deviennent malgré eux l'objet de tractations politiques.

Les fuites policières calculées pour favoriser un parti, «je ne veux pas croire ça. Parce que si le lien de confiance entre la police et la population est rompu, c'est très grave pour notre société démocratique», lâche le chef libéral.

Il se dit convaincu de former un gouvernement majoritaire. Les prochaines élections auront lieu en octobre 2018, comme le veut la loi sur les élections à date fixe. S'il est minoritaire, il ne s'engage toutefois pas à ne pas déclencher lui-même un scrutin, comme l'a fait Pauline Marois. La prérogative reste au premier ministre, même dans la loi de juin 2013, rappelle-t-il.

Dons de charité

M. Couillard est clairement embarrassé quand on lui rappelle qu'un article de La Presse du matin relève qu'il n'a donné que 155 $ à des oeuvres caritatives en 2012, sur un salaire de 200 000 $. Avec un salaire trois fois moindre, Françoise David a donné dix fois plus. M. Couillard semble repentant: «Ouain... ça devrait être plus que cela. Il faut faire plus d'efforts, je suis le premier à le reconnaître.» «Les francophones, on est en retard là-dessus», plaide-t-il.

À l'évidence, le chef de l'opposition avait changé de ton, de niveau de langage, au moment du lancement des élections. Le cérébral Couillard déclarait tout à coup «détester» l'adversaire, parlait de «cennes et de piasses» et jurait de «ne pas se faire manger la laine sur le dos».

Son nouveau discours lui est venu spontanément, et non pas à la suggestion des faiseurs d'image, assure-t-il. «La politique n'est pas une profession comme les autres. Quand j'étais médecin, je devais garder une distance émotive avec le patient et la famille», explique-t-il d'abord.

Puis, à l'approche des élections, comme sous l'inspiration du Saint-Esprit: «Ça s'est fait de façon naturelle. C'est sorti à partir du moment où j'ai voulu mettre tout ce que je suis sur la table, et non seulement le côté intellectuel. C'est arrivé au moment où l'élection commençait...», dit-il.

La météo lui joue des tours. Elle complique la campagne et, surtout, reporte ses premières parties de pêche. À la Journée nationale des patriotes, ce sera le doré et la ouananiche. En juillet, il compte aller au saumon en Gaspésie, «avec un ami de ma région», précise, amusé, l'ancien compagnon de pêche d'Arthur Porter.