Comment se déroule une campagne électorale du point de vue d'un chef de parti? Pour le savoir, nous avons demandé aux quatre chefs d'admettre notre journaliste, l'espace d'une journée, dans leur autocar de campagne. Dimanche dernier, nous sommes montés dans celui de Françoise David. Récit d'une journée bien remplie, à la manière d'un compte rendu sur Twitter.

«On est sortis des tranchées», dit Joël Gaudreault, responsable de la technique à QS #autobus

Les vétérans de Québec solidaire se souviennent très bien des premières tournées du parti, il y a huit ans. S'entasser dans des fourgonnettes, coucher «chez l'habitant», s'escrimer sur des projecteurs qui marchent une fois sur trois...

«Maintenant, on est sortis des tranchées», blague Joël Gaudreault, responsable de la technique lors des tournées, qui a fait toutes les campagnes de QS.

En 2012, le parti est brusquement sorti de l'anonymat, grâce au débat des chefs. «J'étais la découverte! Mon Dieu, elle existe», rigole Françoise David. Elle se souvient très bien de cette réunion dans un petit café de Rimouski, tenue au lendemain du débat de 2012. Le café était bondé, les gens se pressaient jusque dans la rue pour voir la nouvelle star de la politique québécoise. «C'était hallucinant. Personne n'avait prévu un tel effet du débat.»

En 2013, le parti est bel et bien sorti «de la ligue des amateurs», constate la chef - oups, la co-porte-parole. Les points de presse se font devant un rideau de velours noir, avec des panneaux démontables et un lutrin aux couleurs du parti. QS a même dépensé 40 000$ pour avoir son autobus des médias, dans lequel il n'y a pour l'heure... aucun média. Françoise David, qui fait encore le tour du Québec dans une fourgonnette, décide donc de s'installer, pour aujourd'hui, dans l'autobus théoriquement dévolu aux journalistes.

«Bienvenue dans l'autobus de l'amoooouuurrr!», roucoule Josée Larouche, organisatrice de la tournée de QS, au départ du bus blanc orné d'un grand coeur orange, le logo de la campagne de QS.

Pour la première fois en période électorale, Québec solidaire a atteint le chiffre de 10% des intentions de vote dans un sondage. Conséquence: les attaques, surtout de la part du Parti québécois en déroute, se font plus rudes. «Le PQ est nerveux», constate Françoise David.

«Le dernier qui a mis ce petit casque-là, il en a entendu parler longtemps!», s'exclame Françoise David #gillesduceppe

Dans la fourgonnette, Françoise David relit ses notes sur l'accord de libre-échange conclu par le Canada avec l'Union européenne, qui défavorise les fromagers québécois. C'est le sujet du jour.

Elle lit son document directement sur l'écran de son téléphone: un gros progrès pour cette technophobe avouée. «Je vais vraiment devoir travailler avec ça?», s'est-elle exclamée quand son équipe lui a mis un iPhone dans les mains après son élection dans Gouin en 2012.

Pendant un mois, elle a fait la grève du téléphone intelligent. «Je me suis fait chicaner.» Son équipe lui a donné «un petit cours» et elle s'est laissé gagner par le caractère pratique de l'appareil. «Pour mon deuxième mandat, je vais me mettre à la tablette», promet-elle.

La co-porte-parole a même un compte Twitter, mais tout le monde a bien compris qu'elle ne l'alimentait pas elle-même quand il est resté actif... pendant le débat des chefs.

Un dimanche ensoleillé mais glacial, nous arrivons à la Fromagerie du presbytère, à Sainte-Élizabeth-de-Warwick. L'air embaume les fromages fins. Françoise David s'engouffre dans la salle de bains pour passer ses verres de contact et se repoudrer le nez.

En sortant, elle regarde d'un oeil inquiet le personnel de la fromagerie qui distribue les bonnets en filet que doivent enfiler tous les visiteurs pour parcourir les installations.

«Le dernier qui a mis ce petit casque-là, il en a entendu parler longtemps!», s'exclame-t-elle. Lors de la campagne fédérale de 1997, l'ancien chef du Bloc, Gilles Duceppe, a enfilé un bonnet semblable pour visiter une fromagerie... lequel bonnet l'a suivi pendant au moins 10 ans dans les caricatures.

Jean Morin, le fromager en chef, la rassure: image oblige, il fera une exception aux strictes règles de salubrité en vigueur pour Mme David et ses deux candidats...

«Tu ne me feras pas manger de poutine!», dit-elle #vivelequinoa

Nouvel arrêt de la tournée, autre fromagerie. Celle de Victoriaville, spécialisée dans le fromage en grains. Et qui dit fromage en grains, dit évidemment... poutine.

Françoise David est horrifiée. «Tu ne me feras pas manger de poutine!», dit-elle à son attachée de presse. Maude-Alex St-Denis, l'autre organisatrice de la tournée, a prévu le coup: «Si jamais tu n'as pas le temps de manger, je t'ai préparé une petite salade de quinoa», dit-elle.

Et pourquoi n'aurait-elle pas le temps de manger? Parce que ce restaurant a été choisi pour un «bain de foule» par son équipe, pardi. «Donc, il n'y a aucune chance que je passe inaperçue?», dit la candidate. «Françoise, on ne fait pas une tournée pour que tu passes inaperçue!», rétorque Josée Larouche.

Mme David n'a manifestement pas l'habitude du bain de foule. Elle se lance néanmoins à l'assaut des convives, attablés en plein territoire caquiste: la députée locale est Sylvie Roy, un pilier du caucus de la CAQ. Certains regardent la chef de Québec solidaire d'un oeil noir, mais la plupart l'accueillent avec un sourire.

«Vous êtes une grande dame, lui dit Jean Sauvageau. Je salue votre cohérence.» La chef de QS lui présente la candidate locale. «Donc, je compte sur vous! répond-elle. Moi, je ne peux pas me présenter dans 125 comtés!»

Une fois Françoise David partie vers une autre table, M. Sauvageau explique qu'il va voter... pour les libéraux. «J'admire Françoise David, il faut qu'elle soit à l'Assemblée nationale, mais je ne partage pas nécessairement ses idées.»

C'est la malédiction qui afflige la chef de QS: «Ils m'aiment, ils m'aiment, ils m'aiment... mais ils ne votent pas pour moi!»

«Est-ce qu'on doit se sentir coupables de voter pour vous?», demande Louis McComber, militant QS #gouvernementlibéral

Partout où elle va, Françoise David se fait poser la même question par ses militants: un vote pour Québec solidaire pourrait-il contribuer à l'élection d'un gouvernement libéral?

À la cabane à sucre, dernier arrêt de la journée, c'est Louis McComber, un militant QS convaincu, qui lui pose directement la question entre deux bouchées de jambon. «Mme David, est-ce qu'on doit se sentir coupable de voter pour vous?»

Sur Facebook, les «amis» péquistes font pression sur les militants de QS, observait une militante quelques heures plus tôt, à Granby. «Ça frise parfois l'intimidation», souligne Ginette Moreau. «Des interventions comme celles de Jacques Lanctôt [qui a qualifié QS de «nuisance»], ça m'a perturbée», dit Hélène, qui milite pour QS depuis plusieurs années.

Les péquistes calculent que le vote solidaire a soutiré 15 circonscriptions au Parti québécois à l'élection de 2012. Et cette division du vote pourrait contribuer, en 2014, à l'élection des libéraux.

«La base péquiste, c'est du monde de coeur, des socio-démocrates. Ils nous ressemblent», croit Louis McComber. Mais le gouvernement péquiste «a choisi la droite et il a perdu la gauche», dit-il en même temps. L'homme est décidé: même si la situation «le chicote», il va voter pour Québec solidaire.

À ces militants, Françoise David offre toujours la même réponse: «Ce n'est pas nous qui avons déclenché des élections, dit-elle. On ne va quand même pas s'excuser d'exister!»

«Je ne peux pas oublier la corruption libérale, le gaz de schiste, la bataille des droits de scolarité. Non, je ne leur souhaite pas de gagner, ajoute-t-elle. Mais est-ce qu'un gouvernement péquiste majoritaire serait vraiment une meilleure nouvelle? Un gouvernement qui fonce droit vers le pétrole? Qui veut augmenter les frais de garde de 28%?»

Et elle, au matin du 7 avril, se sentirait-elle coupable de l'élection d'un gouvernement libéral? «Je ne me sentirais pas coupable. Mais un peu triste.»

«Le fruit n'est pas mûr», constate Françoise David #réalisme

Non, QS ne formera pas le prochain gouvernement. Ce qui semble une évidence pour le commun de mortels est une sorte de tabou qu'aucun chef de parti ne franchit normalement en campagne électorale. Sauf Françoise David.

Elle l'admet franchement. «Le fruit n'est pas mûr.» Dans combien de temps le sera-t-il? «Il a fallu 30 ans au Parti des travailleurs pour faire élire Lula au Brésil. S'ils s'étaient découragés après huit ans, ils n'auraient jamais gagné.»

En attendant, elle fait son travail de députée dans le monde «frénétique» de la politique. Elle adore travailler dans la circonscription et abhorre l'exercice éminemment partisan de la période de questions. «Ça n'est pas bien rigolo. Mais c'est trois quarts d'heure trois fois par semaine...»

Et que répond-elle aux souverainistes qui rétorquent qu'il faut faire le pays avant de décider si on gouvernera à droite ou à gauche? «Ça a l'air logique, comme ça, sur papier, mais dans les faits, ça ne marche pas», croit-elle. La transition de province à pays prendra du temps, et pendant cette période, il faudra gouverner, choisir des orientations. «De toute façon, je ne crois plus que la seule mention du mot pays soulève les foules. Les Québécois ne voudront pas de pays à moins qu'on leur propose un projet emballant.»