Le chef du Parti libéral du Québec, Philippe Couillard, a eu un compte bancaire dans un paradis fiscal dans les années 90, alors qu'il travaillait comme neurochirurgien en Arabie saoudite et qu'il n'était plus un résident à des fins fiscales du Québec. Une stratégie fiscale parfaitement légale, selon le principal intéressé et trois fiscalistes consultés par La Presse, mais cette révélation de Radio-Canada a fait fortement réagir ses adversaires politiques.

Quand il est parti travailler comme neurochirurgien en Arabie saoudite en 1992, Philippe Couillard a coupé tous ses liens fiscaux avec le Canada et le Québec, fermant ainsi ses comptes de banque au Canada. Pour recevoir son salaire de son employeur en Arabie saoudite, il a ouvert un compte à la succursale de la Banque Royale à Jersey, un paradis fiscal en Europe.

« Alors qu'il résidait et travaillait à l'étranger à la fin des années 90, le salaire de M. Couillard, comme celui de la plupart de ses collègues canadiens présents, était versé à une succursale de la banque à charte canadienne Banque Royale du Canada à Jersey », a indiqué le PLQ dans un communiqué de presse, à la suite d'un reportage diffusé hier par Radio-Canada.

Selon KPMG, l'Arabie saoudite n'impose pas les salaires de ses résidents fiscaux, ce qui était la situation fiscale de M. Couillard entre 1992 et 1996. À son retour au Québec en 1996, M. Couillard a conservé son compte bancaire à Jersey, mais il a divulgué aux autorités fiscales québécoises et canadiennes l'existence de ce compte. Il fut dès lors imposé sur les revenus d'intérêt et de placements de ce compte comme si l'argent avait été transféré dans un compte bancaire au Canada.

« Ce compte était public, déclaré et les impôts dus ont été acquittés. Les lois fiscales québécoises et canadiennes ont toujours été respectées », a indiqué le PLQ hier par communiqué. M. Couillard n'est plus propriétaire de ce compte depuis 2000, à la suite d'un jugement de séparation.

En clair, M. Couillard n'a pas payé d'impôts sur son salaire gagné en Arabie saoudite (qui n'impose pas les salaires de ses résidents), ni sur ses revenus de placements durant son séjour en Arabie saoudite, mais il dit avoir payé de l'impôt au Québec sur les revenus de placement de ce compte entre 1996 et 2000.

Une stratégie «légale»

Les trois experts en droit fiscal consultés par La Presse estiment que la stratégie fiscale de M. Couillard est légale.

« Pour devenir non-résident fiscal du Canada, il faut couper tous ses liens, incluant les comptes de banque. Sinon, un non-résident canadien [le cas de M. Couillard entre 1992 et 1996] aurait dû payer un impôt de 25 % sur les revenus de placements d'un compte canadien durant son séjour à l'étranger. Selon les informations qui sont publiques, il n'a pas payé d'impôts en Arabie saoudite, il n'a pas payé d'impôts à Jersey. C'est de la saine planification fiscale. Au sens du droit fiscal, il aurait été bête de faire autrement », dit André Lareau, professeur en droit fiscal à l'Université Laval.

« Je ne vois rien de répréhensible, dit Daniel Sandler, professeur en droit fiscal à l'Université Western et fiscaliste chez Couzin Taylor à Toronto. Il n'était plus résident canadien, il n'avait pas d'obligation de payer des impôts au Canada. Ce n'est pas une question de droit fiscal canadien, mais une question de droit fiscal en Arabie saoudite. »

La fiscaliste Brigitte Alepin, auteure de plusieurs livres dénonçant les paradis fiscaux, reconnaît que M. Couillard a respecté les lois fiscales canadiennes, mais elle ne conseillerait pas à un client d'avoir un compte bancaire à Jersey, un pays désigné jusqu'à récemment comme un paradis fiscal.

« Ce n'est pas une bonne idée, dit-elle. C'est la même chose pour Paul Martin. Les pays occidentaux s'en vont vers des crises fiscales. Peut-être qu'en 2000 [et dans les années 90], les choses se faisaient différemment. Mais de nos jours, je ne conseillerais jamais ça, surtout à une personne qui a des aspirations en politique. Quand on s'en va vers des crises fiscales, la notion de bon contribuable est importante pour tout le monde, surtout pour un chef d'État. »

Est-ce moral d'avoir agi ainsi ? Le fiscaliste Daniel Sandler sourit. « J'ai participé récemment à une conférence avec des juges de la Cour suprême, de la Cour fédérale d'appel et de la Cour canadienne de l'impôt, et ils disaient que les lois fiscales ne pouvaient pas s'interpréter selon la moralité », dit-il.