Bulldozer et rassembleur. Craint et adulé. On l'aime et on le déteste. Le Dr Gaétan Barrette,  candidat libéral dans La Pinière, ne laisse personne indifférent.

Automne 2006. Le Dr Gaétan Barrette vient de prendre la tête de la Fédération des médecins spécialistes du Québec au moment où un bras de fer est engagé depuis plusieurs mois avec le gouvernement. Québec a imposé la rémunération et les conditions de travail des médecins spécialistes avec une loi d'exception. Ces derniers ne le digèrent pas. Les tensions sont vives. «C'est inacceptable et invivable», lance le Dr Barrette dès sa première conférence de presse à titre de président. Il promet des moyens de pression «de la plus grande ampleur». Le ton est donné. Le coloré médecin arrachera finalement la plus importante hausse de rémunération consentie aux médecins spécialistes. Son adversaire dans ce dossier est le ministre de la Santé de l'époque, Philippe Couillard. Celui-là même qui vient de le recruter, huit ans plus tard, comme candidat libéral. Voici un portrait du Dr Barrette en deux temps.

«Fighter et workaholic total»

Gaétan Barrette traîne une image de matamore qui ne s'en laisse pas imposer. «Un peu comme s'il se levait chaque matin en disant au bon Dieu qu'il peut aller se recoucher, qu'il est levé maintenant», lance un ancien gestionnaire du réseau.

Batailleur de ruelle, col bleu des médecins, bulldozer. Les qualificatifs pleuvent pour décrire le flamboyant radiologiste. Il faut dire qu'il ne fait jamais dans la dentelle, quitte à brasser la cage et à déranger au passage.

Quand la crise du cancer du sein a éclaté, en 2009, le Dr Barrette a affirmé que ce n'était que «la pointe de l'iceberg». Une étude avait révélé des erreurs dans les laboratoires de pathologie, entraînant la reprise de tests pour le cancer du sein et de l'inquiétude pour des milliers de patientes. Il a vilipendé le gouvernement, taxant au passage l'intervention du ministre de la Santé d'alors, le Dr Yves Bolduc, d'«amateurisme». Ce même Yves Bolduc qu'il vient de rejoindre chez les libéraux.

Gaétan Barrette aime se retrouver sous les projecteurs. «C'est un fighter», affirme un médecin qui le connaît bien. «Il carbure au pouvoir. C'est un gars extrêmement convaincant, un workaholic total, un adversaire coriace.»

Il ne met jamais de gants blancs. Il aime les déclarations qui ont du punch. Il n'hésite pas à user de jurons quand il le juge nécessaire.

La méthode pour lui faire face, c'est le judo, affirme Rémy Trudel. L'ancien ministre de la Santé dans le gouvernement Landry a négocié avec le Dr Barrette le dossier de la modernisation des appareils de radiologie dans les hôpitaux au début des années 2000.

«Il faut prendre ce qu'il dit et le tourner à son avantage. Il faut faire du judo», illustre M. Trudel. «Sauf que lui, il n'en fait pas. C'est une force brute. Il fonce.»

«Il est franc. C'est un bulldozer. Par sa force physique, mais aussi par sa présence, il en impose», commente l'ancien président et directeur général de l'Agence de santé de Montréal, David Levine.

Le coloré personnage dérange. Par ses propos qui peuvent être blessants, par son attitude parfois cavalière, par son argent aussi. Même s'il s'est toujours défendu de figurer parmi les radiologistes les mieux payés, il habite une maison cossue de Mont-Royal et se le fait rappeler régulièrement.

Ses détracteurs l'accusent d'en faire trop. «S'il t'a ciblé comme ennemi, il ne te lâchera pas», lance un médecin.

À l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, où le Dr Barrette a fait la majeure partie de sa pratique, il laisse derrière lui des cicatrices encore vives. Une chicane entre sa conjointe - également radiologiste dans cet hôpital - et les autres membres du département a dégénéré au point de se retrouver devant les tribunaux. Chacun s'accusait de harcèlement.

L'épouse du Dr Barrette a été condamnée à verser à ses collègues quelques centaines de milliers de dollars, un jugement qu'elle a porté en appel.

Personne n'est sorti indemne de ce conflit. «Même s'il n'en a rien laissé paraître, ce fut une période extrêmement difficile pour lui sur le plan personnel», confie son ami, le Dr Michel Lallier, chirurgien pédiatrique à l'hôpital Sainte-Justine.

Pourtant, le Dr Barrette est loin d'être un intimidateur, comme certains voudraient le faire croire, affirme le Dr Lallier.

«J'ai eu assez de discussions houleuses avec Gaétan, la porte fermée, pour le dire. On peut discuter de n'importe quoi avec lui, mais il faut argumenter. Et il n'a pas la langue dans sa poche.»

Tous les moyens sont bons pour faire avancer la cause à laquelle il croit. Même le spectacle. Comme en 2008, quand l'ex-président de la FMSQ a dirigé une campagne contre le nouveau CHUM. Il estimait que le projet - élaboré sous la gouverne de Philippe Couillard - n'était pas assez gros.

En pleine conférence de presse, il a déchiré d'un geste théâtral la belle brochure en papier glacé montrant le futur CHUM. «Un coup de génie», estime le Dr Paul Perrotte, président du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens du CHUM. «On a récupéré 72 lits de plus, principalement pour nos missions chirurgicales.»

Ses manières sont souvent frustes. «Il risque de briser quelques pièces de porcelaine s'il est élu», commente le porte-parole du Conseil pour la protection des malades, Paul Brunet, qui le côtoie dans le réseau depuis des années.

Saurait-il être apprécié comme politicien? «Les gens me catégorisent. Pourtant, je m'adapte, je me moule à la fonction qu'on me donne», rétorque-t-il en entrevue, rappelant qu'il n'a jamais agi avec ses patients comme il l'a fait à la tête d'un syndicat de 8000 spécialistes. C'est-à-dire avec son approche un peu bulldozer.

Capable aussi de compromis

En 2006, au plus noir de l'automne, le moral est bas chez les médecins spécialistes, en conflit ouvert avec le gouvernement. Gaétan Barrette prend les rênes de l'organisation de 8000 membres comme un général rassemble ses troupes pour la bataille.

Il négocie et obtient la plus importante hausse de rémunération jamais consentie aux spécialistes. Huit ans plus tard, plusieurs soulignent encore cet épisode comme un grand fait d'armes.

«C'est un rassembleur», lance le Dr Paul Perrotte, médecin au CHUM, qui a siégé avec lui au conseil d'administration de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). «Il est loyal à la cause. Il va prendre tous les moyens pour la défendre, avec la personnalité flamboyante qu'il a.»

«Il est capable de confrontation, mais aussi de compromis», souligne son collègue le Dr Jacques Lévesque, aujourd'hui président de l'Association canadienne des radiologistes. De fait, Gaétan Barrette a obtenu une hausse... en faisant accepter à ses membres de l'étaler sur une période de 10 ans. Une pilule qui avait été plus difficile à avaler.

Avant de poser une action, l'homme de 57 ans soupèse la question. Il aime en débattre. Jamais les assemblées de médecins spécialistes n'ont été aussi longues que sous sa présidence. Les discussions sont enflammées, parfois houleuses. Il se fait varloper autant qu'il confronte. Il veut entendre la position de chacune des 34 associations médicales qu'il représente.

S'il y a du chialage à faire, c'est pendant la réunion. Quand elle se termine, tout le monde avance dans la même direction.

«Il a cette capacité à sentir la salle, cette faculté de lire une foule», louange l'un de ses proches, le Dr Michel Lallier, chirurgien pédiatrique à Sainte-Justine.

Le Dr Barrette s'est d'abord fait connaître à la présidence de l'Association des radiologistes. De tous les présidents d'associations, c'est lui qu'on entendait le plus.

Quand il a voulu obtenir du financement pour renouveler les équipements vétustes de radiologie dans les hôpitaux, il n'a pas hésité à passer par-dessus la tête de la FMSQ pour négocier directement avec le gouvernement.

Le ministre de la Santé de l'époque, Rémy Trudel, a goûté à sa médecine. «Quand il prend une cause, il la défend avec un 2 par 4», déclare l'ancien ministre.

Quand le Dr Barrette est devenu président de la FMSQ, beaucoup se sont demandés s'il allait défendre l'ensemble des spécialistes avec autant de vigueur qu'il avait défendu les radiologistes. La réponse est oui.

«C'est un clientiste, lance Rémy Trudel. Il prend une cause et la défend pour ses clients.»

Cette défense bec et ongles peut toutefois faire des dommages collatéraux. Le Dr Barrette ne fait pas l'unanimité dans le réseau de la santé. Il prend beaucoup de place, estiment certains.

«Les médecins l'aiment parce qu'il leur a obtenu des augmentations pharaonesques, lance un ancien gestionnaire du réseau. Il y a comme une aura, autour du Dr Barrette, qui est inappropriée et injustifiée. Il semble avoir plus de pouvoir que le ministre de la Santé lui-même.»

Le principal intéressé affirme mener sa barque judicieusement. «On peut mettre en exergue mes sorties ostentatoires, il n'en reste pas moins que quand arrive le temps de gérer et de prendre les décisions, je pense que j'ai réussi à rassembler, à trancher et à arbitrer de la bonne façon.»

Le Dr Barrette a de l'ambition et il aime le pouvoir. Mais c'est un médecin avant tout. Formé comme spécialiste de pointe en radiologie vasculaire et interventionnelle, il a des nerfs d'acier. Il est habitué de travailler sous pression. Son travail consiste à déboucher des artères, drainer des abcès, traiter des tumeurs. Avoir la vie d'un patient entre ses mains, ça, c'est stressant, a-t-il déjà dit.

Il connaît bien le système de santé. Il a été marqué par la mort de son père alors qu'il n'avait que 11 ans, et la médecine s'est présentée rapidement comme une voie à suivre. Se retrouvant seule avec trois enfants à sa charge, sa mère s'est retroussé les manches. Elle est retournée aux études pour devenir infirmière auxiliaire.

La famille n'est pas riche. À La Tuque, où le Dr Barrette passe son enfance, ses deux frères et lui partagent la maison avec des pensionnaires. La famille déménage ensuite à Sherbrooke. Le Dr Barrette n'a pas 16 ans qu'il travaille déjà à l'hôpital. Il touchera à tous les métiers: secrétaire, concierge, préposé.

Ça lui sert quelques décennies plus tard quand il organise, avec le Ministère, une tournée des blocs opératoires pour trouver une façon d'en améliorer l'efficience. «Personne ne peut le bullshiter parce qu'il connaît leur travail», lance le Dr Michel Lallier en riant.

Comme dans sa bataille pour une hausse de la rémunération, il obtient des résultats. Les changements apportés en chirurgie ont fait en sorte, dans les premières années du moins, de réduire quelque peu les listes d'attente.