L'ancien journaliste avait réprouvé énergiquement la manoeuvre. «Il est clair qu'il y a plus d'affolement que de stratégie et plus de prétextes que de programme dans les quatre minutes d'allocution préfabriquée que M. Bourassa vient de nous servir [...] bien à l'abri des questions indiscrètes», avait soutenu René Lévesque, chef du Parti québécois.

C'était le soir du 25 septembre 1973, Robert Bourassa avait fait distribuer au souper, dans plus de 20 stations de télévision du Québec, des cassettes vidéo où il annonçait le déclenchement des élections. Tout était synchronisé; les messagers avaient l'ordre de livrer le message du premier ministre aux studios à 17h55, cinq petites minutes avant les bulletins de d'informations.

Ainsi, Bourassa n'avait pas eu à expliquer pourquoi il déclenchait les élections bien avant la fin de son mandat. «Notre couverture avait été extraordinaire» avait résumé Ronald Poupart, directeur général du PLQ, chef d'orchestre de cette opération. «C'était l'air du temps, le marketing politique à l'américaine», a expliqué hier le sénateur Jean-Claude Rivest, l'alter ego de M. Bourassa. Le PLQ voulut reprendre la formule en 1976, mais dans plusieurs salles de rédaction, l'idée ne passa pas la rampe. L'expression les «cassettes à Bourassa» fit son entrée dans le lexique politique québécois.

Stupéfiante, l'idée des stratèges péquistes de faire en sorte que la chef péquiste Pauline Marois ne réponde pas aux questions de la presse au lancement des élections lui a fait perdre la première journée de campagne. «Marois sur la défensive» résumait Le Soleil en manchette. L'obsession de passer un message sans filtre aura coûté bien cher - les premières heures de campagne sont déterminantes.

D'entrée de jeu, Paul Journet, le président de la Tribune de la presse - l'organisation regroupant les courriéristes parlementaires à l'Assemblée nationale a interpellé Mme Marois hier. «Il faut remonter aux années 70, avec Robert Bourassa, pour trouver un premier ministre qui a refusé de parler aux médias nationaux la journée du déclenchement de la campagne électorale. La Tribune de la presse le déplore. Est-ce que l'accès aux médias va s'améliorer pour le reste de la campagne?», lui a-t-il demandé.

Bien sûr Mme Marois a tenté de payer les pots cassés et le point de presse d'hier a duré 43 minutes au lieu des 10 prévues à l'origine. Elle s'est engagée à se prêter à un échange quasi quotidien. Mais la décision de la garde rapprochée de Pauline Marois illustre on ne peut plus clairement son insensibilité aux principes de transparence qui devraient guider tous les élus.

On a comparé la stratégie de Pauline Marois, mercredi, à la «méthode Harper» qui, à Ottawa, entrave le travail des journalistes en limitant les questions et sélectionnant à l'avance ceux qui mériteront une réponse du patron. Ironiquement, à l'époque, le président de la Tribune de la presse qui avait dénoncé ces pratiques était Pierre Duchesne, devenu depuis ministre péquiste. Déjà depuis des semaines, Mme Marois montrait ses couleurs, refusant toutes les questions sans lien avec l'annonce du jour.

Le même gouvernement, il y a moins d'un an, avec bien des déclarations solennelles de Bernard Drainville, a fait adopter une loi sur les élections à date fixe, promettant de mettre le scrutin à l'abri des stratégies de coulisses, des calculs partisans, avant le déclenchement des élections. L'automne dernier, comme au cours des dernières semaines, c'est ce même gouvernement qui a joué au chat et à la souris avec la date des élections.

Drainville, ancien journaliste aussi, a fait en sorte que les mémoires de la Commission des droits de la personne, du Barreau du Québec et de la Ville de Montréal ne soient jamais présentés à la consultation sur son projet de charte de la laïcité. Depuis le début, dans les coulisses péquistes, on savait bien que le déclenchement des élections interviendrait avant qu'on ait pu entendre ces groupes présenter leur opposition, au projet du gouvernement. Mais il a préféré entendre l'Association des druides du Québec.