Le défunt premier ministre Robert Bourassa revient hanter les maisons de sondage en ce surlendemain d'élections. Sa théorie de la «prime à l'urne» lui a donné raison, encore une fois, sur la sous-estimation des appuis au Parti libéral du Québec (PLQ) dans les sondages.

La fameuse «prime» avait pratiquement disparu des écrans radar depuis quelques années, mais voilà qu'elle refait surface. Les trois principales maisons de sondage ont en effet nettement sous-estimé les appuis du PLQ, cette année.

Au dernier coup de sonde, CROP et Léger Marketing accordaient en effet 26% et 27% au PLQ, qui a finalement obtenu 31%. Pour sa part, Forum Research, de Toronto, avait prédit 29% au parti de Jean Charest.

Quelle est donc cette théorie de Robert Bourassa? Selon lui, les libéraux sont généralement plus discrets avec les sondeurs et préfèrent réserver leur décision pour le moment ultime, dans l'isoloir. «Il y a une certaine gêne de la part d'une frange de l'électorat de se dire libérale au téléphone. C'est ce que Bourassa appelait la prime à l'urne», explique Alain Giguère, président de la maison CROP.

Pendant des années, les firmes de sondage ont adapté leurs calculs de répartition des indécis pour tenir compte notamment de cette prime à l'urne. La méthode a toutefois été abandonnée il y a 10 ans. Depuis ce temps, les sondeurs répartissent les indécis entre les divers partis dans la même proportion que les répondants qui ont fixé leur choix.

Jean-Marc Léger, président de Léger Marketing, explique que cette prime est accentuée quand l'enjeu référendaire est plus présent dans la campagne électorale, comme ce fut le cas cette année. «Plus l'élection est référendaire, plus la prime à l'urne est forte», dit-il.

Claire Durand, professeure à l'Université de Montréal, explique que les électeurs sont généralement moins enclins à annoncer leurs couleurs aux sondeurs lorsque leur choix s'oriente vers un parti impopulaire dans les médias. Or, le PLQ était effectivement très impopulaire et boudé par une certaine élite.

De plus, «dans la littérature internationale, on a constaté que les sondages sous-estimaient les partis de droite dans 90% des cas», précise Mme Durand.

Jean-Marc Léger invoque deux autres éléments qui ont compliqué la tâche des sondeurs: la forte proportion d'indécis et les nombreux partis très engagés dans la course (six). En fin de campagne, 28% des personnes sondées par Léger affirmaient pouvoir changer d'idée, contre 15 à 20% dans les autres élections.

Même constat chez CROP: les indécis de la firme représentaient encore 18% quelques jours avant les élections - trois fois plus que d'habitude. Ces indécis, explique Alain Giguère, formaient un groupe d'électeurs généralement moins instruits, au revenu plus faible que la moyenne, inquiets sur le plan économique et réfractaires à l'idée de souveraineté. «Dans l'isoloir, l'insécurité économique a favorisé le Parti libéral par rapport aux sondages», dit-il.

Les dirigeants de CROP et de Léger font tout de même valoir que leurs résultats ont été fiables pour les autres partis. La firme Forum Research, que nous n'avons pu joindre, a été un peu plus juste dans ses prévisions pour le PLQ, mais elle a été trop optimiste pour le PQ, dont elle avait estimé les appuis à 36%. Sur cette base, un quotidien torontois a même prédit 72 circonscriptions et un gouvernement majoritaire au PQ.

Quoi qu'il en soit, les déclarations de l'ex-premier ministre Bourassa continuent de faire jaser...