Dans une circonscription qu'il a représentée pendant 28 ans, même des détracteurs de Jean Charest ont eu un petit pincement au coeur en apprenant sa défaite, mardi soir. Et même ses adversaires les plus déterminés se sont gardés de crier victoire trop vite, tant le premier ministre a souvent déjoué ceux qui prédisaient sa mort politique.

«Je trouve ça triste, a confié Julie, qui travaille dans l'immeuble où se trouve le bureau du député Jean Charest et qui dit avoir gagné ses élections. Ça faisait 28 ans. C'est une personne qui s'est dévouée pour sa circonscription et, du jour au lendemain, comme ça... c'est comme un message personnel.»

Ce n'était pas de tout repos d'être voisin du bureau d'un premier ministre en exercice. Pendant le conflit étudiant, une alerte au bacille du charbon a forcé l'évacuation de l'immeuble.

«Les gens sont juste tannés, a affirmé Christine Tremblay, partisane de M. Charest. Ils pensent qu'ils vont avoir du changement positif, mais c'est le contraire qui va se produire.»

L'ancien maire de Sherbrooke, Jean Perrault, dirigeait la campagne locale de M. Charest. La femme du premier ministre sortant, Michèle Dionne, a activement participé à la campagne pendant que son mari sillonnait le Québec. Et Jean Charest a lui-même visité sa circonscription cinq fois avant le jour du vote.

«Il n'a jamais gagné par des marges de plusieurs milliers de personnes», a rappelé M. Perrault.

Aux yeux de l'ancien maire, Jean Charest laisse un bel héritage à Sherbrooke. Dans les années 90, la ville a été frappée par la fermeture de nombreuses industries textiles et métallurgiques. Jean Charest a joué un rôle de premier plan dans la relance économique de la région, estime M, Perrault. Son gouvernement a aussi débloqué des millions pour rénover l'Hôtel-Dieu et favoriser la venue dans la ville des Jeux du Canada, l'an prochain.

Un adversaire de taille

Jean Charest n'a jamais perdu une élection dans Sherbrooke, malgré plusieurs batailles serrées. Mais cette fois, il s'est frotté à un candidat aux états de service presque aussi longs que les siens dans la région. Serge Cardin s'est bâti une notoriété importante, d'abord en politique municipale, puis en politique fédérale avec le Bloc québécois.

«Je le suivais de près, en quelque sorte, a relaté M. Cardin, hier. J'ai été douze ans au conseil municipal de Sherbrooke et douze ans et demi au fédéral. Donc je n'étais pas loin derrière.»

À la fin de la soirée électorale, M. Cardin avait une avance de 2500 votes sur le premier ministre sortant. Même si son organisation savait la victoire acquise, on a attendu plus d'une heure avant d'entamer le discours devant les militants. On craignait une répétition des élections de 2007, lorsque Radio-Canada avait erronément annoncé que M. Charest était battu dans son fief.

«Je ne suis pas libéral et je ne le serai jamais, mais M. Charest reste un politicien exceptionnel, une vraie bête, a observé Sébastien Aubé, qui a dirigé la campagne de M. Cardin dans Sherbrooke. Chaque fois qu'on a pensé que sa carrière se terminait, il a toujours rebondi.»

M. Aubé croit que l'expérience de Serge Cardin lui a permis d'aller chercher l'appui de plusieurs électeurs normalement acquis à Jean Charest et au Parti libéral, notamment chez les personnes âgées.

Lors du passage de La Presse, hier, quelques bénévoles s'activaient à vider le modeste bureau électoral du premier ministre sortant. On pouvait voir son visage sur des pancartes appuyées au mur. Des tables et des chaises repliées étaient entassées près d'une fenêtre. Et au fond de la pièce, une affiche blanche, couchée sur le côté, énumérait les réalisations de M. Charest dans la circonscription.