Il y a cinq ans, Jacques Duchesneau, alors haut fonctionnaire fédéral, est intervenu auprès du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qu'il avait dirigé, pour sortir de l'embarras un ami de longue date, le culturiste Ben Weider, mort en 2008.

L'ancien patron du SPVM a d'abord joué un rôle d'intermédiaire entre la police municipale et l'octogénaire, déclaré «suspect» dans une affaire de délit de fuite. Par la suite, il a tenu à être présent lors de l'interrogatoire de M. Weider par les policiers, tenu au bureau de l'homme d'affaires et non au poste de police.

Joint en début de soirée hier, M. Duchesneau, en campagne avec François Legault, a expliqué que les policières l'ont prévenu d'emblée qu'il n'y aurait pas d'accusations, que le père de l'enfant heurté n'allait pas porter plainte. Le garçonnet de 8 ans, «frôlé» par la Lexus noire selon un témoin, n'avait pas subi de blessures.

«J'ai dit: s'il y a une possibilité qu'il y ait quelque chose de criminel, je ne peux pas être là, on va appeler son avocat.» Les policières ont aussi soutenu, selon lui, ne pas avoir de problème avec la présence de l'ancien patron du SPVM lors de leur interrogatoire de M. Weider. «Pensez-vous que si on n'était pas en campagne électorale, on ferait grand plat de cette affaire?», a lancé M. Duchesneau hier.

Mais pour des policiers toujours en poste au SPVM, l'intervention de l'ancien patron était pour le moins inusitée, bien que tout le corps de police sache depuis longtemps que MM. Weider et Duchesneau étaient très liés. M. Weider avait même offert au SPVM un gymnase pour l'entraînement des membres de l'escouade d'intervention tactique, rue Hochelaga. M. Duchesneau est même l'exécuteur testamentaire de M. Weider.

Le rapport de police, que La Presse a obtenu, indique que M. Duchesneau a insisté pour aider son ami. On note qu'après avoir tenté de joindre M. Weider au téléphone, c'est M. Duchesneau qui a rappelé et laissé comme message «qu'il voulait qu'on l'appelle», dans ce dossier. Après quelques jours, les enquêteurs ont convenu d'un rendez-vous au bureau du culturiste. «M. Duchesneau veut être présent», a écrit l'agente Michèle Bernier.

Lors de l'interrogatoire, en présence de M. Duchesneau, les deux policières ont vite tiré un trait sur l'affaire. M. Weider a signé une déclaration dans laquelle il attestait qu'il n'avait pas eu connaissance d'avoir «heurté un enfant». On a obligé l'homme d'affaires, qui avait 85 ans à l'époque, à subir un nouvel examen de conduite.

Devoir de réserve

Selon le criminaliste Jean-Claude Hébert, «quelqu'un qui a occupé une fonction importante dans un organisme doit avoir un devoir de réserve. Il a une autorité morale et cela peut intimider les enquêteurs qui ont un travail à faire, qui se sentent moins à l'aise». Il s'empresse de nuancer, toutefois, que la proximité de MM. Weider et Duchesneau et la vulnérabilité du suspect compte tenu de son âge expliquent la décision de M. Duchesneau d'intervenir. «Mais, normalement, M. Duchesneau aurait dû dire: prenez-vous un avocat. Ils connaissaient sûrement des avocats. Mais M. Duchesneau a pu être motivé par la nécessité de rendre service à ce monsieur», observe l'avocat.

Il est vrai que normalement les enquêteurs ont un protocole, selon lequel les interrogatoires se passent au poste de police et sans la présence d'une tierce personne, mais sur cet aspect, «il n'y a pas de quoi fouetter un chat, il n'y a pas d'irrégularité», ajoute Me Hébert.