Un «ménage» à la tronçonneuse. Si François Legault est porté au pouvoir, les patrons des plus importantes sociétés d'État ainsi que les principaux hauts fonctionnaires à Québec vont vite se rendre compte qu'ils étaient assis sur des sièges éjectables.

Dans l'autocar de campagne de François Legault, entre Montréal et Québec, il y avait de la houle et l'équipement valsait un peu, mais rien à voir avec la secousse qui attend les dirigeants nommés par le gouvernement Charest.

S'il est élu, François Legault compte voir rapidement Michael Sabia, patron de la Caisse de dépôt, et Thierry Vandal, PDG d'Hydro-Québec. «Et je pense que ce sera difficile», a laissé tomber hier le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) avec un sourire entendu, dans un entretien de plus d'une heure accordé à La Presse.

En bras de chemise, manifestement détendu après le stress des débats télévisés, François Legault n'hésite pas à dire ce que les politiciens n'admettent jamais publiquement: l'arrivée d'un nouveau gouvernement entraîne un chambardement pour les hauts fonctionnaires qui occupent des postes stratégiques. «Si on veut faire un changement au Québec, il faut remplacer les personnes qui font de la politique, mais aussi les sous-ministres et les présidents de société d'État qui ne pensent pas comme nous, qui ne sont pas d'accord pour faire ces virages», dit-il.

Il y a selon lui une «dizaine de postes stratégiques» qui doivent être en osmose avec les orientations du gouvernement: les présidents des grandes sociétés d'État, mais aussi les sous-ministres des ministères clés que sont les Finances, le Trésor, la Santé et l'Éducation.

Pour François Legault, on fait le ménage avec des dirigeants qui sont convaincus que c'est la chose à faire. «Il faut donner un mandat clair à quelqu'un qui est d'accord avec le mandat. M. Sabia, en commission parlementaire, a dit qu'il n'était pas d'accord avec l'idée de mettre 20 milliards pour prendre des positions afin de bloquer la vente éventuelle de 25 fleurons québécois!, rappelle le chef caquiste. Si la CAQ prend le pouvoir, il y aura une "bonne discussion" et, s'il continue de penser comme cela... il ne sera pas là longtemps!», lance M. Legault.

Même topo pour Thierry Vandal, patron d'Hydro-Québec. «On veut réduire les dépenses de 600 millions à Hydro-Québec. M. Vandal est-il d'accord avec cela? J'en doute! Et s'il n'est pas d'accord, il va y avoir des changements!»

Sans ambages, il avoue même avoir déjà quelques personnes en tête pour les postes névralgiques. Il se défend bien de préparer une purge. Les principaux intéressés pourront dire en entrevue s'ils adhèrent aux orientations du nouveau gouvernement. «Mais on ne se laissera pas remplir.»

Avant de faire le saut en politique, l'homme d'affaires avait rencontré le président de la Caisse de l'époque, Jean-Claude Scraire. Il lui avait remis une liste de 30 grandes sociétés québécoises qui, à son avis, risquaient d'être vendues. La moitié ne sont plus québécoises aujourd'hui. «Je parle de ça depuis des années!», dit M. Legault. Il n'a pourtant pas démissionné du gouvernement quand Québec a autorisé la vente de Provigo à Loblaw, à l'automne 1998. On ne fait pas un tel geste pour un seul événement, explique-t-il.

«Je sais où je m'en vais. Pauline Marois tente de faire peur avec les syndicats, mais je discutais avec les syndicats à Air Transat. Avoir un environnement efficace, c'est bon pour tout le monde!» Il n'est pas question d'être en guerre avec les enseignants: «J'en ai 12 parmi mes candidats», souligne le chef caquiste. Combien d'enseignants ne sont pas compétents? «Moins de 10%», laisse-t-il tomber.

Ses candidats-vedettes, Jacques Duchesneau et Gaétan Barrette, ne seront pas faciles à gérer, reconnaît-il. «Quand on veut des changements, on s'entoure de gens forts, ça avance pas mal plus vite. Ils sont très déterminés, ont des idées claires, et j'aime ça. Dans un souper, il n'y a personne de plus drôle que Gaétan Barrette.» Avec Duchesneau, «ça a cliqué tout de suite»; les deux hommes sont d'origine modeste et ont dû trimer pour avancer.

François Legault savourait les heures suivant les débats, une chute de stress importante en dépit d'un point de presse agaçant centré sur son rôle dans une éventuelle campagne référendaire. Dans l'atmosphère réglée de son autocar, il reconnaît, candide, avoir trouvé la période des débats difficile. «Il y avait un certain stress, les balles viennent vite, l'intensité est grande. Charest est un très bon débatteur, je n'en avais jamais fait. J'étais moins inquiet avec Mme Marois. Pauline, je la connais, elle est toujours un peu floue, la dernière personne qui la voit l'influence beaucoup.»

Il se défend d'avoir récemment abandonné la barque souverainiste par calcul politique. Son idée était faite en 2009. «Je ne voulais pas partir sur un coup de tête! Mais dans un caucus, j'avais dit qu'il fallait faire le ménage et qu'ensuite on pourrait parler de souveraineté. Toute la gang était bien énervée!»

Déjà, à l'époque, il n'y croyait plus. Lors de sa démission, en juin 2009, sa déclaration a été soigneusement rédigée avec son conseiller perpétuel, Martin Koskinen. «J'ai choisi mes mots pour dire que le problème constitutionnel n'était pas réglé.» Vérification faite, le démissionnaire a tout de même dit: «Je continue à penser que la souveraineté est un projet pertinent.»

C'est tout de même un virage à 180° pour François Legault, qui avait talonné Bernard Landry pendant des années, le pressant de publier un «budget de l'an 1» du Québec souverain et même la «maquette» du futur État.

Sa femme, Isabelle Brais, sera à ses côtés pour le reste de la campagne. Il faut dire que la CAQ a une côte à remonter auprès de l'électorat féminin - seulement 20% de ses partisans sont des femmes, deux fois moins que pour les péquistes.