Il y a les circonscriptions bleues, les circonscriptions rouges, et les autres. Mais la réalité, d'un village à l'autre, d'une rue à l'autre, est beaucoup plus nuancée. Pour comprendre pourquoi la péquiste Agnès Maltais ne mettra pas toutes ses énergies dans le quartier Montcalm, à Québec, pourquoi François Legault mise sur L'Assomption plutôt que sur son ancien fief de Rousseau ou pourquoi le porte-à-porte est populaire dans Laval-des-Rapides, il suffit de jeter un coup d'oeil sur notre nouvelle carte interactive.

Une image, en effet, vaut bien des mots, des chiffres, des pourcentages, des prédictions, des analyses...

En couplant la nouvelle carte électorale et l'ancienne avec les résultats du scrutin de 2008 dans chacune des sections de vote, notre collaborateur Cédric Sam a mis au point une carte interactive qui donne un portrait précis des luttes régionales qui se dessinent au Québec.

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Les bastions se détachent avec leurs couleurs franches. Mais beaucoup de circonscriptions apparaissent ainsi comme une courtepointe, leurs électeurs ne faisant de toute évidence pas tous les mêmes choix. C'est ce que remarque tout de suite le politologue Guy Lachapelle en étudiant l'île de Laval. Lui-même ancien candidat péquiste dans Fabre en 2007, il se souvient avoir utilisé de telles cartes pour cibler les endroits où aller convaincre des électeurs. «Tous les partis utilisent ces cartes», dit-il.

La lutte s'annonce chaude notamment dans Laval-des-Rapides, où les trois partis misent sur des candidats-vedettes (l'ex-président de la Fédération étudiante collégiale du Québec Léo Bureau-Blouin, l'ex-présidente de l'Ordre des ingénieurs Maud Cohen et le député sortant libéral Alain Paquet). «Habituellement, c'est une lutte à deux, dit M. Lachapelle. Mais je pense qu'à plusieurs endroits, et surtout à Laval, ce sera une lutte à trois.» Sans parler des tiers partis - Québec solidaire a tout de même obtenu 15% dans certains quartiers lavallois aux dernières élections, rappelle-t-il.

Selon le chercheur Marc-André Bodet, de la chaire sur la démocratie et les institutions parlementaires de l'Université Laval, la circonscription de Taschereau sera particulièrement intéressante. «C'est probablement le redécoupage le plus coûteux pour un député sortant, dit-il. Agnès Maltais a perdu une bonne partie de Limoilou [fortement péquiste et au profil socioéconomique idéal pour le Parti québécois] et gagné des sections de vote fortement libérales. Maltais a dit qu'elle concentrerait ses efforts dans certaines parties de la circonscription et c'est une sage décision. Le taux de participation sera à surveiller. Maltais doit faire sortir son vote traditionnel pour l'emporter.»

Le redécoupage des circonscriptions et l'arrivée en force d'un troisième parti feront naître de nouveaux bastions, observent les chercheurs. «On remarque un clivage sociologique de plus en plus important entre Montréal et les régions, dit Guy Lachapelle. On sent que l'élément régional sera plus important.» Pourtant, note Marc-André Bodet, les enjeux nationalistes et économiques prennent encore plus de place que les enjeux régionaux dans le discours électoral.

D'autres circonscriptions sont nettement bigarrées, comme Richmond, L'Assomption et Gouin. D'autres particularités régionales font sourire, comme cette zone bleue au coeur d'Outremont-la-rouge: l'Université de Montréal. Et l'ancienne circonscription de Rivière-du-Loup, toute verte avec son fort appui à l'Action démocratique du Québec et son ancien chef Mario Dumont.

Toute? Non. Au milieu du fleuve, ces électeurs qui ont voté bleu vivent dans une île au nom ironique dans le contexte: l'île Verte.

La ligne orange

À Montréal, l'est de l'île est bleu et l'ouest est rouge. Et au centre, il y a la «ligne orange», du nom de la ligne de métro qui, du nord au sud, traverse cinq circonscriptions et les quartiers Villeray, La Petite-Patrie et le Plateau-Mont-Royal jusqu'à l'UQAM.

«C'est probablement, observe Marc-André Bodet, l'unité géographique la plus diversifiée du Québec.»

Beaucoup d'étudiants, de jeunes familles, de communautés culturelles, de locataires, de riches et de moins riches. En 2008, on y a voté Parti québécois et Québec solidaire. Cette année? Après avoir vibré au son des casseroles, la «ligne orange» se fait courtiser...