Le face à face entre Jean Charest et Pauline Marois, lundi soir, a commencé par une collision frontale sur le thème de la corruption. Les échanges ont été particulièrement corsés, très vifs.

>>> Face à face Charest-Marois: qui sort vainqueur?

Le chef libéral s'est d'abord retrouvé sur la défensive lorsque Pierre Bruneau lui a demandé quelle était sa part de responsabilité dans les affaires qui ont fait les manchettes dans les dernières années. Il a répliqué que son gouvernement avait fait ce qu'il fallait pour contrer les situations «inacceptables».

Il a rapidement tourné ses canons vers sa rivale péquiste, qu'il a accusée d'avoir fait une série «d'accusations non fondées dans le seul but de nuire». «C'est du pur salissage», a-t-il insisté.

Pauline Marois a répliqué que le premier ministre n'aurait pas dû tarder à créer une commission d'enquête. «Vous devez vous en prendre à vous-même», a-t-elle lancé.

Elle lui a reproché de tenir des élections juste avant la reprise des travaux de la commission Charbonneau.

Jean Charest a remis sur le tapis le rapport Moisan, qui date de 2006. «Il y a un cas prouvé (de financement illégal), et c'était lorsque vous étiez aux affaires», a-t-il dit.

Du tac au tac, Mme Marois a répondu: «Vous n'allez pas me donner des leçons d'intégrité. Je n'accepterai jamais qu'un ministre déjeune avec un membre de la mafia. Je n'accepterai jamais qu'on donne des permis de garderie en retour de dons» au parti. «Pour moi, c'est tolérance zéro», a-t-elle ajouté.

Jean Charest a fait valoir qu'une adolescente avait donné 2500$ illégalement à Pauline Marois pour sa campagne à la direction du PQ. Il a ajouté qu'une forte proportion de dons provenaient de membres de firmes de génie. «Je n'accepterai jamais comme premier ministre que vous remettiez en question mon intégrité et celui de mon gouvernement», a-t-il dit.



Vifs échanges sur le conflit étudiant


Jean Charest et Pauline Marois ont ensuite eu des échanges musclés sur la hausse des droits de scolarité, enjeu qui a tenu le Québec en haleine tout le printemps.

Le chef libéral a mené la charge contre sa rivale, qu'il accuse de vouloir plier devant «la rue».

«Vous avez manqué à vos responsabilités. Vous avez abdiqué. Vous avez démontré que vous n'êtes pas à la hauteur de ce qu'on attend d'un premier ministre du Québec, qui doit se tenir debout lorsque des décisions sont prises, qu'elles sont bonnes et qu'elles sont parfois impopulaires.»

La chef péquiste a rétorqué en accusant Jean Charest de n'avoir jamais négocié sérieusement avec les leaders étudiants. Une indifférence qui a entretenu la crise, dit-elle.

«Je pense que M. [Gilbert] Rozon a passé plus de temps avec eux que vous l'avez fait», a affirmé Mme Marois, une référence au président de Juste pour rire, qui a critiqué le mouvement étudiant.

Elle s'est présentée comme la seule à pouvoir désamorcer la crise.

«Je sais, moi, que le 4 septembre prochain, lorsque l'élection aura lieu, la crise sera terminée si on choisit un gouvernement du PQ», a-t-elle affirmé.

Surprise

Jean Charest, qui se dit victime d'insinuations, a sorti une petite surprise de son chapeau, à la fin du débat sur la gouvernance. Il a associé Pauline Marois à un contrat de 110 millions accordé sans appel d'offres à une société de l'homme d'affaires Tony Accurso.

Ce contrat pour la construction de CHSLD a été dénoncé par le vérificateur général sous le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard.

«Si les rôles étaient renversés, vous seriez en train de décrire ce que je viens de décrire à votre sujet comme le plus grand scandale de l'histoire du Québec», a dénoncé le chef libéral.

La chef péquiste n'a guère été ébranlée par la charge de son adversaire

libéral. Elle était ministre de l'Éducation au moment où ce contrat a été accordé, a-t-elle souligné. Elle n'avait donc rien à voir avec l'affaire.

«C'est un contrat qui a été donné tout à fait légalement. [...] Vous connaissez l'intégrité de M. Bouchard, vous savez que M. Bouchard n'aurait jamais permis qu'on agisse comme vous le supposez.»

Quant au secteur de la santé, Jean Charest a dû expliquer pourquoi les délais d'attente sont toujours longs dans certains cas. Il a dit que son gouvernement avait augmenté les budgets. «On répare les dégâts de ceux qui sont passés avant nous», a-t-il dit. Il a ajouté que l'attente a diminué dans le cas de plusieurs interventions. Il s'est retrouvé dans l'embarras lorsque Pierre Bruneau lui a dit qu'il n'était «pas sûr que c'est ce que les gens veulent entendre». L'animateur a rappelé la situation critique dans plusieurs urgences.

Pauline Marois a fait valoir certaines de ses propositions, mais Jean Charest l'a accusée d'avoir adopté des «politiques cruelles» lorsqu'elle était ministre. «Vous n'êtes jamais responsable de rien, a-t-elle lancé. C'est toujours la faute de quelque d'autre. Ça fait neuf ans que vous êtes là.»

Sur les finances publiques, Jean Charest a indiqué qu'un gouvernement libéral n'alourdirait pas le fardeau des contribuables. «On ne va pas augmenter les impôts, on ne va pas augmenter les taxes», a-t-il indiqué.

Pauline Marois l'a accusé d'avoir haussé les tarifs et les impôts de 6 milliards de dollars pendant ses années au pouvoir. «Vous voulez augmenter les tarifs du bloc patrimonial d'Hydro-Québec de 1,6 milliard», a-t-elle tonné. Elle a promis d'éliminer la taxe santé adoptée par le gouvernement Charest.

Le chef libéral a souligné de son côté que le revenu disponible des ménages avait augmenté depuis 2003, en particulier chez ceux qui ont de plus faibles salaires. Il a reproché à Pauline Marois de vouloir hausser les impôts pour compenser l'annulation de la hausse des droits de scolarité et de la taxe santé. La chef péquiste s'est défendue en disant que ce sont les contribuables les plus riches, ceux qui gagnent plus de 130 000 $, qui seraient appelés à payer plus d'impôt.

Les deux chefs ont eu un échange vif sur la question de la dette. Ils se sont accusés mutuellement d'avoir utilisé la carte de crédit de façon abusive.

Marois veut revoir le Plan Nord

Pauline Marois a promis de réinventer le Plan Nord proposé par le gouvernement libéral. Elle a aussi promis de hausser les redevances minières afin que chaque société minière paie un minimum. Elle souhaite de plus encourager la transformation du minerai.

Jean Charest a rétorqué que le Québec transforme davantage de minerai que l'Ontario et Terre-Neuve.

Le chef libéral a accusé sa rivale de se contredire puisque le gouvernement péquiste a déjà accordé un congé de redevances de 10 ans à la minière Raglan afin qu'elle ouvre une mine dans le Nord.

«Pendant 10 ans, ils n'ont pas payé d'impôt. Et aujourd'hui, vous prétendez avoir une position qui est différente de celle-là.»

La chef péquiste a rétorqué que, à l'époque, le cours des métaux était beaucoup plus bas qu'il ne l'est aujourd'hui.

Les chefs se sont également affrontés sur le rôle qu'ils souhaitent donner à la Caisse de dépôt et placement. Mme Marois souhaite qu'elle investisse 10 milliards pour protéger les fleurons de l'économie québécoise contre les prises de contrôle étrangères.

«C'est exactement le contraire de ce qu'il faut faire pour préserver l'indépendance de la Caisse, a affirmé Jean Charest. La maison de cotation de crédit Standard and Poor's a dit au mois de décembre que si ça arrivait, ça allait mettre en péril la cote de crédit.»

Mais Mme Marois a répliqué que le gouvernement avait présidé à la pire année de la Caisse de dépôt et placement, en 2008. Cette année-là, dans la foulée de l'investissement désastreux dans les papiers commerciaux adossés à des actifs (PCAA), la Caisse a perdu 40 milliards.

«Vous avez changé la vocation et ils ont perdu 40 milliards parce qu'ils ont pris trop de risques, a-t-elle tonné. Et ça, c'est votre décision de changer la vocation de la Caisse.»

Accommodements raisonnables et question nationale



Au cours du bloc portant sur la question nationale et l'identité, les chefs ont croisé le fer sur l'enjeu des accommodements raisonnables.

«Ce n'est pas parce qu'il y a accalmie que c'est réglé. Et quand on ne règle pas les choses, quand on les laisse traîner, ça salit», a dit Mme Marois. Elle a de nouveau promis l'instauration d'une charte de la laïcité. Jean Charest a affirmé de son côté que son gouvernement avait mis en oeuvre 80% des recommandations du rapport Bouchard-Taylor. Il a blâmé Pauline Marois pour avoir proposé une loi qui vise à enlever le droit de se présenter aux élections aux nouveaux arrivants qui ne prennent pas des cours de français dans un délai prescrit. «Ce que je n'aime pas, c'est vos politiques de division», a-t-il dit.

«Vous n'avez pas beaucoup pratiqué le rassemblement dernièrement, vous avez divisé les Québécois», a répondu Mme Marois. La chef péquiste a affirmé que le français recule à Montréal et que Jean Charest devrait «aller plus souvent dans la rue afin de voir que des gens sont choqués» quant à la situation linguistique.

Le débat s'est terminé sur la question nationale. Est-ce que Mme Marois promet oui ou non de tenir un référendum dans un premier mandat? La chef péquiste a d'abord esquivé la question pour ensuite dire qu'il y en aurait un lorsqu'elle aurait l'assurance de pouvoir le gagner. Pierre Bruneau a dû lui poser la même question à quelques reprises. «Je souhaiterais qu'il y en ait un, a-t-elle indiqué. On ne fera pas ça en cachette.»

«Vous n'êtes pas franche du tout. Vous ne répondez pas», a pesté Jean Charest. Il lui a reproché de placer une «épée de Démoclès» (sic) au-dessus de la tête des Québécois.

«Elle vient de donner une réponse pas pour les Québécois mais pour elle-même», a-t-il ajouté. Selon lui, Mme Marois pose un «risque inacceptable dans un contexte économique instable».