Pauline Marois veut augmenter la nationalisme économique à la Caisse de dépôt et placement du Québec. De passage dans Chicoutimi, le Parti québécois a proposé un «virage majeur».

Il compte trois mesures. Changer la Loi de la Caisse pour «rétablir sa mission de développement économique du Québec». Créer un fonds d'investissement stratégique de 10 milliards de dollars pour «protéger les sièges sociaux» et soutenir le «développement de nouveaux secteurs stratégiques». Et enfin, changer la Loi sur les sociétés par actions.

On y augmenterait les responsabilités des administrateurs de société, qui devraient tenir compte des intérêts des employés, créanciers, et fournisseurs, et non pas seulement ceux de leurs actionnaires. «Des dispositions de ce type existent déjà dans la loi fédérale», a rappelé le porte-parole du PQ en matière de Finances, Nicolas Marceau. L'autre changement: on protégerait davantage les administrateurs contre les offres d'achat hostiles.

La conférence de presse se déroulait d'ailleurs symboliquement dans le stationnement du Rona de Chicoutimi. La société a récemment fait l'objet d'une telle offre par la chaîne américaine Lowe's. Plusieurs acteurs québécois se sont opposés à cette transaction. Rona a déjà dit non.

Les actifs nets de la Caisse de dépôt s'élèvent à 159 milliards. Ceux au Québec sont de 41 milliards. Avec ce nouveau fonds, ils seront de 51 milliards. La portion québécoise passerait ainsi de 20% à 25%.

D'où viendraient ces 10 milliards? Mme Marois répond qu'elle le prendrait dans les autres actifs. Il faudrait donc faire un nombre important de transactions. Elle n'a pas précisé dans quel délai ces transactions devraient se faire.

Pour lancer ce fonds, il faudrait obtenir l'accord des déposants de la Caisse, a reconnu Mme Marois.

Cette nouvelle contrainte ne nuira pas au rendement du bas de laine des Québécois, a-t-elle insisté. Elle se dit «choquée» qu'on oppose le nationalisme économique au rendement. «Les placements de la Caisse au Québec et au Canada (...) ont toujours été meilleurs», a-t-elle affirmée. Comme les gestionnaires connaissent mieux les marchés locaux, ces investissements sont donc moins risqués, soutient-elle.

M. Marceau ajoute que d'autres pays ont lancé des fonds similaires. Le projet du PQ s'inspire du Fonds stratégique d'investissement créé en France en 2008, explique-t-il. Ce fonds est doté d'une enveloppe de 20 milliards $ d'euros. On y trouve entre autres des actions d'Alcatel et de Renault. Il vise aussi à lancer et développer des entreprises qui ne réussissent pas à se financer adéquatement sur les marchés.

Sabia pour piloter ce virage?

Le PQ croit-il que l'actuel patron de la Caisse, Michael Sabia, est la meilleure personne pour piloter ce virage? «Je ne veux pas porter de jugement sur Michael Sabia, a prudemment répondu Mme Marois. On a vu que dernièrement, il a été plus sensible à la nécessité d'investir au Québec. Il a pris des décisions qui vont dans ce sens-là.»

Mais elle a précisé que le patron de la Caisse devra «endosser» ce nouveau mandat. «Que ce soit Michael Sabia ou quelqu'un d'autre, ce qui sera important, c'est qu'on accepte d'endosser cette orientation. (...) Je crois qu'elles sont majeures. Nous, nous y tiendrons résolument», a-t-elle prévenu.

En février 2010, la chef du PQ avait sévèrement critiqué M. Sabia. «M. Sabia n'est pas un gestionnaire du risque. Il a été prudent. Trop prudent. Il a éliminé le risque plutôt que de le gérer», critiquait-elle. La nomination de M. Sabia avait été une «mauvaise décision», disait-elle. «Mais je ne réclame pas la tête de M. Sabia, je réclame qu'il réussisse», avait-elle déclaré.

Si elle est élue, Mme Marois promet de rencontrer les dirigeants des grandes sociétés d'État pour s'assurer qu'ils «partagent sa vision».

Largement insuffisant, dénonce Legault

La proposition de Pauline Marois n'a guère impressionné François Legault. Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) soutient que la politique proposée par le PQ ne permettrait pas de protéger les sociétés québécoises d'une prise de contrôle étrangère. Selon ses calculs, il faudrait investir deux fois plus.

«Je comprends que Mme Marois propose la moitié de notre mesure, a-t-il raillé. Je pense qu'elle aurait dû la copier au complet.»

Un gouvernement de la CAQ ordonnerait à la Caisse d'investir 20 milliards dans 25 «fleurons» de l'économie québécoise, par exemple CGI ou Bombardier. L'objectif serait que le bas de laine des Québécois détienne une «minorité de blocage», c'est-à-dire une participation suffisante pour contrecarrer une offre d'achat hostile.

La Caisse détient des actions, des titres à revenus fixes et investit dans l'immobilier. M. Legault souhaite que cette répartition reste la même, mais il exigerait que le portefeuille d'actions réduise ses positions dans des entreprises étrangères.

M. Legault estime que cette formule permettra de ménager le risque et le rendement. Et elle permettra d'éviter d'autres prises de contrôle comme celles de Molson et d'Alcan, achetées respectivement par l'américaine Coors et l'anglo-australienne Rio Tinto au cours des dernières années.

À ses yeux, il faut maintenir au Québec les sièges sociaux. Leur présence donne du travail à des milliers de fournisseurs, souvent de petites et moyennes entreprises (PME), qui auraient du mal à transiger avec des multinationales basées à l'étranger.

«C'est important un siège social, parce que c'est là que se trouvent les emplois payants, a ajouté M. Legault. Allez faire un tour au siège social d'Alcan, et vous verrez qu'il y a pas mal moins d'employés qu'il y en avait.»