Depuis trois jours, la bataille pour conquérir l'électorat québécois est engagée. Les partis peaufinent leurs stratégies, les chefs fourbissent leurs armes. Quelles sont les forces et faiblesses des candidats? Quels thèmes devraient-ils exploiter, quels pièges éviter? Notre chef de bureau dresse le portrait des cinq protagonistes.

JEAN CHAREST

Forces C'est devenu un cliché: le chef libéral est excellent en campagne électorale, alors qu'il peut paraître léthargique quand il n'est pas au combat. La partie d'échecs qui a conduit au déclenchement des élections sur la loi et l'ordre plutôt que sur ses neuf ans de pouvoir montre aussi ses qualités de stratège. Après neuf ans comme premier ministre, il profite du prestige associé au poste. Sa campagne peut aussi s'alimenter des réflexions et des statistiques de la machine gouvernementale, que le candidat absorbe comme une éponge. Le PLQ ne manque ni d'argent ni de conseillers expérimentés, ce qui produit un plan de campagne serré, centré sur son message, qui paraît imperméable aux imprévus.

Faiblesses Le chef libéral a paru hargneux en tout début de parcours et s'efforce depuis d'avoir l'air plus détendu. Il reste impulsif, et cache souvent mal son impatience. Après neuf ans comme premier ministre, il incarne aussi l'usure du pouvoir, à la tête d'une équipe qui, au fil des ans, a perdu ses principales vedettes. Les nouvelles figures sont peu nombreuses, et moins connues que celles des partis adverses. L'intégrité de son gouvernement a été durement mise en doute.

Thème de prédilection Jean Charest veut transformer la campagne en plébiscite, demander aux électeurs de choisir entre la stabilité «d'un gouvernement responsable» et «des référendums et la rue», l'incertitude incarnée par le Parti québécois, qui a cautionné le mouvement étudiant du printemps dernier, et qui n'écarte pas un référendum sur la souveraineté du Québec.

Pièges à éviter Sa campagne s'appuie sur un élément qu'il ne contrôle pas. Une trêve des étudiants pour la rentrée du mois d'août désamorcerait un volet important de sa campagne. Les nombreux débats télévisés peuvent paraître une opportunité pour cet excellent débatteur, mais la décision trahit aussi un excès de confiance -il sera au centre de toutes les attaques. Bien des députés n'étaient pas enthousiastes à s'engager en campagne, ce qui risque de transparaître si les choses tournent mal.

PAULINE MAROIS

Forces La chef péquiste dégage une image d'empathie et de modération. Elle ne s'est jamais associée à l'aile la plus radicale de son parti. Les crises successives qu'elle a traversées à la tête du PQ lui confèrent une image de grande résilience, de détermination tranquille. Elle a su remporter des victoires électorales à des moments décisifs, dans les élections complémentaires de Kamouraska et d'Argenteuil. Après avoir occupé les ministères les plus importants, on lui reconnaît l'expérience nécessaire à la plus haute fonction. Son intégrité personnelle n'a jamais été mise en doute. Elle a pu recruter le plus grand nombre de vedettes comme candidats. Elle peut compter sur une équipe de conseillers expérimentés, qui lui est totalement acquise.

Faiblesses Elle n'a pu se dégager totalement de l'image de «grande bourgeoise», propriétaire d'un château sur L'Île-Bizard. Elle a des problèmes à jongler avec les chiffres, ce qui accentue l'impression qu'elle n'est pas préoccupée par l'économie. Elle a réussi sa prestation au débat de 2008, parce que les attentes à son endroit étaient plus basses. Elle peut faire des faux pas, elle a été forcée de revenir sur ses déclarations quant aux hausses d'impôts pour compenser des hausses réduites pour les droits de scolarité. Elle paraît parfois hésiter sur les stratégies: arborer ou non le carré rouge, par exemple. Elle aura de la difficulté à clouer le bec aux gros égos: les Drainville, Duchesne et Lisée lui donneront du fil à retordre.

Thème de prédilection Pauline Marois fera de l'intégrité le thème de sa campagne. Elle promet de «faire le ménage» en remplaçant un gouvernement souvent éclaboussé par les questions d'éthique.

Pièges à éviter Se laisser entraîner dans un débat sur la démarche souverainiste, sur la stratégie d'affrontement avec Ottawa prévue au programme du PQ. Elle ne doit pas non plus se laisser identifier au courant plus radical chez les étudiants qui veulent continuer le mouvement de contestation musclé du printemps dernier. Sa campagne mise gros sur une rentrée dans le calme, alors que son organisation n'a pas su construire de ponts avec la CLASSE.

FRANÇOIS LEGAULT

Forces Il incarne à la fois le renouveau et l'expérience. Il avait pris un recul salutaire de l'arène politique, mais a tout de même occupé des ministères importants. Son intégrité n'a jamais été mise en cause. Il peut capitaliser sur la lassitude des électeurs envers les anciens partis. Il est issu du milieu des affaires, une rareté chez les politiciens au Québec, ce qui donne de la crédibilité à son programme économique. Il est parvenu à convaincre des candidats de prestige, comme Gaétan Barrette, Dominique Anglade, Maud Cohen et probablement Jacques Duchesneau. Il est bien conseillé du point de vue stratégique et rend bien les formules-chocs qu'on lui propose.

Faiblesses C'est un orateur ordinaire, ce qui donne l'impression qu'il ne peut sortir du cadre pré-établi. Il manque de sens de la répartie, et laisse tomber des réponses évasives, «on verra», autant de munitions pour ses adversaires. Ses qualités de débatteur sont toujours à démontrer: il peut être dominé par sa nervosité. Des collaborateurs stratégiques, la responsable du contenu de la campagne et son agent officiel lui ont fait faux bond à la dernière minute. Son parti n'a pas de trésor de guerre. Ses conseillers n'ont jamais dirigé d'élections au Québec. Il doit conjuguer trois cultures: les anciens adéquistes, les ex-libéraux fédéraux et son bataillon de fidèles, issus du Parti québécois. Ses adversaires libéraux et péquistes vont relever qu'il était, dans le passé, le plus pressé des souverainistes.

Thème de prédilection Officiellement, c'est l'éducation, mais «le changement» est le vecteur principal de sa campagne contre un gouvernement qui est au pouvoir depuis neuf ans.

Pièges à éviter Des candidats sans expérience politique, souvent désignés à la dernière minute, risquent de le mettre dans l'embarras. L'empressement peut faire commettre des erreurs -les listes de donateurs erronées par exemple. Il doit éviter l'erreur commise lors de sa prise de position dans la crise étudiante. Une prise de position trop similaire à celle du gouvernement. Il doit se démarquer également du PQ, sans quoi il risque d'être éjecté de l'arène par la polarisation traditionnelle de la scène politique québécoise.

JEAN-MARTIN AUSSANT

Forces Il a l'image d'un politicien fidèle à ses convictions. Il jouit d'une crédibilité sur le plan des positions économiques, tout en montrant une sensibilité sociale. Il maîtrise bien les médias sociaux.

Faiblesses Très faible notoriété. Il n'a pas la stature d'un leader charismatique qui serait nécessaire pour aller au-delà de la marginalité.

Thèmes de prédilection La souveraineté du Québec. Possiblement l'équité dans le droit de parole des partis politiques si les réseaux publics de télévision maintiennent leur décision d'exclure Option nationale du débat télévisé.

Piège à éviter Oublier de faire campagne dans sa circonscription, où sa réélection est loin d'être acquise.

AMIR KHADIR - FRANÇOISE DAVID

Forces Leurs convictions ne peuvent être mises en doute. Leur parcours qui s'étend sur plusieurs années a toujours été cohérent. Ils bénéficient tous deux d'une rare éloquence.

Faiblesses Des positions qui, toujours, laissent une impression de radicalisme, de dogmatisme. Amir Khadir, sans balises, peut commettre des bévues. Le parti n'a guère de moyens financiers, mais compense par sa présence dans les médias sociaux.

Thèmes de prédilection Gratuité des études supérieures, étatisation de l'industrie pharmaceutique et souveraineté du Québec. Dans l'ensemble, Québec solidaire veut s'opposer au grand capital, aux multinationales.

Piège à éviter Ne pas se concentrer suffisamment sur les circonscriptions montréalaises où Québec solidaire a des chances de l'emporter.