Les stratèges libéraux avaient prévu des images bucoliques de Jean Charest, devant le fleuve, au domaine Cataraqui. Mais la mèche a été éventée. Par crainte de voir des manifestants perturber le lancement de la campagne électorale du Parti libéral (PLQ), on a décidé de faire le point de presse à l'aéroport de Québec, un lieu facile à verrouiller.

Jean Charest et ses candidats ont donc rôti au soleil pendant un bon moment sur le tarmac, dans le vacarme des décollages, avec pour tout fond de scène l'autocar de campagne. La campagne ne sera pas facile pour Jean Charest, qui sollicite un quatrième mandat.

Pas l'ombre d'un manifestant mercredi, donc. Mais la partie de cache-cache durera 35 jours - les organisateurs de la campagne du PLQ ne divulgueront qu'au tout dernier moment les points de chute de la tournée Charest. Même absents sur le bitume, les acteurs de la crise étudiante seront toutefois bien en évidence... dans le discours du chef libéral.

Sa question référendaire, un choix entre «l'ordre et la stabilité» ou «les référendums et la rue», a été transmise au Parti québécois (PQ) dès le mois de juin, par un agent double, à l'issue d'une réunion stratégique au Palais Montcalm. Depuis des semaines, le PQ a donc l'essentiel du plan de match du PLQ qui avait été expliqué aux attachés politiques par Jean Charest et Karl Blackburn, directeur général du parti. À ce moment, M. Charest soutenait encore qu'il serait «ignoble» de prendre prétexte du conflit étudiant pour déclencher des élections.

Mercredi, il est devenu évident que la grève étudiante sera l'enjeu principal de la campagne du chef libéral. «La rue a fait beaucoup de bruit, c'est maintenant au tour des Québécois de parler, et de trancher cette question», a-t-il soutenu. Il fait un grand pari en misant autant sur une donnée qu'il ne contrôle pas. Si, à la mi-août, les péquistes et les centrales syndicales convainquent le mouvement étudiant d'éviter le grabuge, Jean Charest se trouvera dans l'embarras, sa campagne manquera d'oxygène si elle reste centrée sur un plébiscite non avenu.

Avec les informations qu'elle a obtenues sous le manteau, l'équipe péquiste n'aura guère de surprise en suivant quotidiennement le parcours de la caravane libérale. Ainsi, elle prévoit même une attaque, aussi dure que personnelle, à l'endroit de Mme Marois.

Minoritaire?

M. Charest n'a pratiquement pas attaqué la Coalition avenir Québec (CAQ) de François Legault. Et pour cause. Le PLQ ne récolte jusqu'ici qu'environ 30% d'appuis dans les sondages. Une enquête Léger Marketing lui a accordé mercredi 31%, soit exactement le taux de citoyens «satisfaits» de son gouvernement. Devant ce bloc, immuable depuis des mois, le PQ est en avance de quelques points, mais sur le terrain, les candidats de François Legault sont susceptibles de faire recette parmi ces électeurs mécontents. Si la CAQ s'effondrait, les libéraux seraient subitement condamnés à n'avoir que Mme Marois comme adversaire. En 2003, Bernard Landry pensait se faufiler entre Jean Charest et Mario Dumont. Ses chances se sont évanouies avec la chute de l'ADQ.

En ce début de campagne, il semble même bien possible que les Québécois élisent, le 4 septembre, un autre gouvernement minoritaire. Depuis des semaines, les sondages montrent les trois partis au coude à coude et une proportion importante d'électeurs avouent qu'ils pourraient changer d'idée. Libéraux et péquistes surtout s'échangent la première place. Chez les francophones, le match se fait entre le PQ et la CAQ. Au PQ, on mise sur l'avance confortable de Mme Marois dans cet électorat. Chez les libéraux, on plaide que circonscription par circonscription, les auspices restent favorables à Jean Charest. On s'attend à des gains dans la région de Québec. À la CAQ, on a tout misé sur le «changement» relevé par les groupes de discussion, et on rappelle que personne n'avait pu prévoir la performance du Nouveau Parti démocratique au Québec en mai 2011.

En 2007, la montée subite de Mario Dumont - l'ADQ avait remporté 41 sièges - avait donné un gouvernement minoritaire, une première en plus d'un siècle. Les Québécois n'ont plus peur d'avoir à Québec un gouvernement sous haute surveillance, une gouvernance de «cohabitation». C'était la formule lénifiante qu'avait su accréditer Jean Charest, avant de subitement couper le courant sur ce régime bancal qui n'était pas même capable d'amender le Code de la route.

Ce gouvernement sera-t-il péquiste ou libéral? Une embardée, une gaffe et tout peut déraper. Avec quatre débats télévisés à l'horizon, à compter du 19 août, les parieurs devraient se retenir un peu.

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Un débat et une série de «face-à-face»

Première dans une campagne électorale québécoise, les électeurs pourront assister à pas moins de quatre débats télévisés entre les chefs de parti.

Un consortium formé de Radio-Canada et de Télé-Québec propose pour le dimanche 19 août la tenue du débat habituel entre les chefs de parti. Le débat se ferait à quatre, Françoise David représenterait Québec solidaire, mais Jean-Martin Aussant, d'Option nationale, ne serait pas invité.

TVA a fait une proposition distincte, qui semble faire l'affaire de Jean Charest, de Pauline Marois et de François Legault. Dans les jours suivant le premier débat, TVA diffusera trois face à face en autant de soirs entre les chefs des trois principaux partis. Le 20 août, Jean Charest affronterait Pauline Marois, le 21 août, François Legault ferait face à M. Charest et le 22 août, Mme Marois croiserait le fer avec M. Legault.