Après des milliers de kilomètres, autant de poignées de main et des attaques de tous les côtés, les chefs gardent quand même le moral. Et ce, malgré les sondages qu'ils ne commentent pas, mais qu'ils lisent. Nos journalistes qui suivent les chefs des trois principaux partis depuis 30 jours nous livrent leurs impressions de campagne.        

PLQ - Paroles rassurantes et signes inquiétants

Les derniers sondages prédisent que le Parti libéral se dirige vers une défaite aux élections de mardi, mais n'allez surtout pas chercher des signes d'inquiétude chez Jean Charest. Le premier ministre sortant martèle depuis des jours qu'un gouvernement majoritaire est à sa portée, même si des indices portent à croire que son navire prend l'eau.

«Je crois, à partir de ce que je vois, de ce que je sais, et de toute l'information que j'ai, que nous formerons un gouvernement majoritaire», a-t-il déclaré, mercredi.

Le chef libéral a rappelé le taux de participation historique au scrutin par anticipation, un signe selon lui que la «majorité silencieuse» se range derrière son parti.

«Portez attention, a-t-il ajouté. Quelque chose se produit.»

Ces paroles contrastent avec la succession de sondages qui situent le PLQ au troisième rang des intentions de vote, avec un appui particulièrement faible chez les francophones. Mais elles tranchent aussi avec le contexte dans lequel elles ont été prononcées.

Ce jour-là, M. Charest est arrivé à Sherbrooke. C'était sa quatrième visite dans sa ville natale depuis le début de la campagne, la cinquième si l'on tient compte de son investiture qui a eu lieu quelques jours avant le déclenchement des élections. Il y retournera une sixième fois le soir du scrutin.

Jamais M. Charest n'a visité son fief aussi souvent au cours d'une élection. Et jamais il n'avait autant été à la traîne dans un sondage depuis qu'il représente Sherbrooke. Or, deux enquêtes Segma-La Tribune réalisées depuis le début de la campagne l'ont situé à 15 points, puis à 12 derrière le candidat péquiste Serge Cardin.

Pendant la conférence de presse, un panneau placé à gauche du premier ministre sortant détaillait la liste des projets qui ont vu le jour dans la région depuis l'arrivée au pouvoir des libéraux. Logements sociaux, rénovations à l'Hôtel-Dieu, construction d'un complexe sportif, la liste est longue et le premier ministre sortant n'a pas manqué de le souligner.

La même liste s'est retrouvée dans une publicité que la campagne de M. Charest a fait paraître dans La Tribune de Sherbrooke, le lendemain matin.

Aux côtés de M. Charest, mercredi, on trouvait bien sûr son épouse, Michèle Dionne, qui fait campagne à Sherbrooke depuis des semaines. Dans la salle, il y avait quatre conseillers municipaux, des dirigeants universitaires, des gestionnaires d'hôpitaux, des gens d'affaires, même l'ex-gardien de but du Canadien Jocelyn Thibault.

«Il est important pour nous de vous dire qu'on a des partenaires qui ont accepté de venir ici pour témoigner à M. Charest d'une forme de reconnaissance pour son engagement, de son dévouement comme député depuis si longtemps, a dit l'ancien maire de la Sherbrooke, Jean Perreault, qui dirige la campagne locale du chef libéral. On s'adresse à vous comme premier ministre, mais on s'adresse surtout à vous comme député de Sherbrooke.»

Les pessimistes pourraient comparer la scène à un bilan d'adieu.

Quelques minutes plus tôt, une quarantaine de manifestants s'étaient rassemblés près du marché public où M. Charest devait serrer des mains. Le chef libéral devait y prendre un des rares bains de foule de la campagne avant de rencontrer les médias dans un hôtel situé à quelques mètres.

Les manifestants ont brandi un grand carré rouge et scandé des slogans peu flatteurs, voire carrément vulgaires. S'ils avaient été une dizaine de personnes de plus, ils auraient été tenus de fournir leur itinéraire aux policiers à 24 heures d'avis. C'est l'une des clauses de la loi 78, adoptée au printemps pour mettre fin au conflit étudiant.

Jean Charest, pourtant connu pour son entregent, a préféré annuler le bain de foule. En date d'hier, on pouvait compter sur les doigts de la main le nombre d'événements où il s'est mêlé à la foule depuis le début de la campagne.

Martin Croteau

PHOTO RYAN REMIORZ, LA PRESSE CANADIENNE

Jean Charest

CAQ - Le retour de l'homme d'affaires

«C'est toi, le Gros Boring?», blague François Legault à un ouvrier qui manoeuvre une machine du même nom dans une usine de plastique de la Beauce. Le travailleur s'esclaffe, surpris par la bonhommie du politicien pourtant habillé en veston avec mouchoir.

Le chef de la Coalition avenir Québec a tiré un trait sur son passé péquiste. C'est le retour de l'ancien patron d'Air Transat, en version politicienne.

Il dirige les conversations avec affabilité. Ses mots sont simples, clairs et directs. Il parle de deal et de bidder pour créer une économie de propriétaires. Il se vante de compter la plus grande proportion de gens d'affaires parmi ses candidats. Son nationalisme est devenu économique. Il est devenu très peu à l'aise dans les arcanes du débat constitutionnel.

Ce sujet, il l'abhorre aujourd'hui. Mais dans presque chaque conférence de presse, il doit réexpliquer son ninisme - ni fédéraliste, ni souverainiste. Aussi ni de gauche, ni de droite. Son approche, c'est celle de la résolution par problème. Comme dans un plan d'affaires, il a identifié un nombre limité de priorités: s'attaquer au décrochage, dégraisser Hydro-Québec et donner un médecin de famille à chaque Québécois. Les obstacles: la CSQ pour les enseignants, la FTQ pour Hydro-Québec et le syndicat des omnipraticiens pour la santé.

La santé reste l'enjeu prioritaire pour plus de deux Québécois sur cinq. La CAQ martèle sa promesse. Son candidat vedette Gaétan Barrette a fait quatre conférences de presse depuis le premier débat pour répéter ses promesses déjà connues. D'un ton frondeur, il a assuré être diplomate. Sinon, il n'aurait pas survécu à la tête de la Fédération des médecins spécialistes, a-t-il lancé.

Il y a aussi le balai qui apparaît depuis quelques jours sur les pancartes de la CAQ. Celui qui doit nettoyer le Québec de la corruption, Jacques Duchesneau, est plus discret depuis ses déclarations sur les ministres qu'il nommerait, ou les libéraux apparemment invités sur le yacht de Tony Accurso qu'il ne nomme pas.

M. Legault assure être demeuré le patron. Il s'est taillé un parti sur mesure pour ses idées. Et il les défend sans essayer de plaire à tout le monde. La culture? Lui aussi en parle peu. Et il parle encore moins d'environnement. Des groupes écologistes lui ont décerné la pire note, tout juste derrière les libéraux. Il a réagi sans se défiler: «On veut être le parti des entrepreneurs.» Cette idée, il la colporte dans ses bains de foule. Dans un restaurant du Vieux-Limoilou, c'est d'ailleurs ce qu'il a spontanément demandé à un garçon d'environ 10 ans: «Rêves-tu d'être entrepreneur comme tes parents?» Le chef de la CAQ n'est pas une coqueluche. Il surprend néanmoins les journalistes par son aisance quand il parle aux citoyens. Mais il n'en rencontre pas beaucoup. Ce n'est pas qu'il les fuit. Il ne les trouve pas. Dans les 125 circonscriptions du Québec, son jeune parti compte moins de 20 locaux d'association. Jeudi, la caravane caquiste s'est rendue de Montréal à Québec, en passant par Laurier-Station, Saint-Georges-de-Beauce et Montmagny dans le Bas-Saint-Laurent. Total de kilomètres: plus de 700. Nombre de personnes rencontrées dans les restaurants et usines où il s'arrêtait: moins de 100.

Depuis le début de la campagne, le chef a passé une journée en Outaouais, un après-midi au Saguenay, en plus de faire une saucette dans le Bas-Saint-Laurent. Pour le reste, son autobus se promène entre Québec et Montréal et bourdonne dans le 450, où plusieurs luttes serrées se dessinent.

Contrairement aux machines péquistes et libérales, il lui manque de budget pour prendre l'avion. Ses deux autobus média sont aussi très modestes. Ils recréent l'expérience de la haute mer dans le réseau de nids-de-poule québécois. On les a baptisés «Gravol-o-bus». S'il y a un gouvernement minoritaire, à en juger par son impatience, M. Legault pourrait ne pas trop attendre avant de reprendre la route.

Paul Journet

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

François Legault

PQ - La caravane finit là où elle a commencé

«Il va falloir limiter les questions, parce que là, ça tire tous azimuts.»

Pauline Marois a lâché ce commentaire en sortant d'une conférence de presse pénible où les journalistes l'ont mitraillée de questions sur son projet de citoyenneté québécoise. Elle ne se doutait pas qu'en plus de son entourage, un journaliste de La Presse se trouvait tout près.

Elle venait de déclarer qu'un gouvernement péquiste interdirait aux anglophones de souche et aux autochtones de se porter candidat aux élections s'ils n'ont pas une connaissance appropriée du français. Le lendemain, les journalistes ont reçu un communiqué en provenance d'«Acapulco» - le nom que les péquistes ont donné à leur quartier général. La mesure que le parti a présentée pour la première fois en 2007 ne toucherait bel et bien que les nouveaux arrivants. Mme Marois ne s'en souvenait pas. Le parti a dû la corriger.

Dans les jours suivants, la chef a fait volte-face sur le référendum d'initiative populaire... pour ensuite être contredite par Bernard Drainville! Elle a trébuché au sujet des «conservateurs souverainistes». À ces faux pas s'est ajoutée une pelure de banane: l'appui de Jacques Parizeau au chef d'Option nationale, Jean-Martin Aussant.

Alors la caravane péquiste a voulu éviter de nouveaux dérapages à l'approche du fil d'arrivée. On a «limité» les questions, comme le voulait la chef. Avant les débats, Pauline Marois donnait le plus souvent deux points de presse par jour. Ce n'est plus qu'un depuis. Et encore: elle s'est contentée d'un court scrum - une mêlée de presse - au cours des quatre derniers jours. C'est inhabituel.

Pauline Marois a aussi limité ses sorties. Elle a levé le pied un peu durant la deuxième moitié de la campagne, alors qu'elle a mené sa première à fond de train.

Moins nombreuses, ses sorties ont toutefois témoigné de sa stratégie résolument offensive. Elle a même jeté l'encre dans L'Assomption, où se présente François Legault. Une règle non écrite veut qu'on ne fasse pas campagne dans la circonscription d'un autre chef. François Legault n'était pas un élu au moment du déclenchement des élections, réplique-t-on au PQ. Mme Marois a fait escale dans plusieurs circonscriptions libérales comme Verdun, Saint-Henri-Sainte-Anne, Rouyn-Noranda-Témiscamingue... À quatre jours du scrutin, elle est allée jusqu'à faire une virée en Outaouais, région traditionnellement acquise aux libéraux. Mais elle a aussi dû se rendre dans le Centre-du-Québec et le 450, où des députés sortants sont menacés par la CAQ.

C'est bien là la preuve que les choses peuvent changer vite pendant une campagne électorale. Pauline Marois était montée à bord de son autocar le 1er août avec un thème principal: il faut changer le gouvernement Charest, «usé et corrompu». Mais elle s'est trompée d'adversaire. François Legault est subitement apparu dans son rétroviseur.

Elle a donc tourné ses canons vers le chef caquiste. On l'a rarement vue sortir de ses gonds comme elle l'a fait en entrevue éditoriale à La Presse. Elle s'est vidé le coeur au sujet de son ancien compagnon d'armes au PQ qui, selon elle, a un parcours semé de trahisons. Et elle s'est prêtée à un exercice d'équilibriste: vanter ses engagements «progressistes» tout en se définissant comme un leader «raisonnable» avec le dépôt - tardif - de son cadre financier.

Un nouveau mot est apparu dans les discours de Pauline Marois en fin de campagne: «majoritaire». Elle ajoute systématiquement ce qualificatif quand elle demande aux électeurs d'élire un gouvernement péquiste. Les plus récentes publicités du PQ vont dans le même sens: «Je vote majoritaire.» Les politiciens ne commentent pas les sondages, mais ils les lisent... Le PQ est toujours en tête après 30 jours de campagne, mais les intentions de vote pour le PQ n'ont pas changé alors que celles pour la CAQ ont gonflé.

La caravane péquiste affiche 8500 km au compteur. Mais en réalité, elle finit la campagne là où elle l'a commencée.

Tommy Chouinard

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Pauline Marois