Pour séduire les Québécois qui valsent depuis 40 ans entre libéraux et péquistes, souvent déçus, François Legault a trouvé le message qu'il martèlera dans la dernière ligne droite de la campagne électorale: «Essayez-nous! Vous l'avez fait pour les vieux partis. Vous jugerez dans quatre ans», lance l'ancien souverainiste désormais prêt à parier sur le fédéralisme renouvelé.

Dans une longue entrevue, accordée hier à la table éditoriale de La Presse, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) précise son plan de match. Avec l'opposition officielle à portée de main, selon les sondages, il croit même avoir suffisamment de temps pour atteindre le pouvoir. «Mon défi est de convaincre les gens que ce qu'on propose se fera. Les gens se sont fait remplir avec les promesses de Jean Charest en 2003», lance-t-il. Même minoritaire, il foncerait avec son programme. «Il y a une urgence pour des changements au Québec. Je ne serai pas très patient de continuer le statu quo pendant deux ans juste pour ne pas replonger le Québec en élections. Ce n'est pas vrai que, comme premier ministre, je vais m'installer dans le statu quo», laisse-t-il tomber.

François Legault appuyait à l'époque le programme de re-structuration du gouvernement libéral. L'erreur des libéraux a été de frapper dans toutes les directions. «En affaires, j'ai appris qu'on doit être ciblé», observe-t-il. La Coalition avenir Québec, quant à elle, vise trois cibles: combattre le décrochage scolaire, fournir à tout le monde un médecin de famille et trouver 600 millions d'économies à Hydro-Québec. Le reste attendra. On peut lui suggérer de privatiser la Société des alcools ou de faire le ménage dans les programmes d'aide sociale. «Ce n'est pas des priorités, se contente-t-il de dire. On va réussir parce qu'on se concentre à trois endroits.»

Il se veut rassurant. «Les groupes de pression vont crier fort dans les sept prochains jours. Ils ont beaucoup d'intérêt à défendre le statu quo», prédit-il. De grands changements seront lancés dans les 100 premiers jours d'un mandat. «Pas de chaos. Les gens disent qu'on va sortir la hache, alors que ce qu'on propose se fera sur une période très raisonnable», insiste Legault. Il sera facile de discuter avec les enseignants avec une augmentation de salaire à la clé. Les échanges avec la FTQ quand viendra le temps de réduire les 4000 postes à Hydro-Québec seront plus difficiles, prévoit-il. Pour les médecins, il y a une carotte, 500 millions de plus en masse salariale. Mais le bâton n'est pas loin: ceux qui refuseront de prendre en charge 1000 patients auront une diminution de salaire.

Au sujet de la souveraineté, il soutient qu'il n'y aura pas de référendum; il l'a dit 100 fois. L'ex-péquiste mène clairement une opération de séduction auprès des libéraux déçus, des partisans du fédéralisme renouvelé. «Je fais un pari: si, dans 10 ans, le Québec paie de la péréquation au lieu d'en recevoir, cela pourrait complètement changer la dynamique canadienne!» Dans 10 ans, François Legault sera ailleurs. «Ceux qui seront là verront quel bord ils prennent, et s'ils repartent la chicane... Il faut laisser les horizons ouverts», observe-t-il. Il se revendique même de Robert Bourassa et ressort la célèbre phrase prononcée à la suite de l'échec de l'accord du lac Meech, en juin 1990: «Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, le Québec est une société distincte. On dirait une nation aujourd'hui, libre de choisir son avenir! Ça veut dire libre de choisir entre renouveler le fédéralisme ou la souveraineté du Québec.»

Il n'est par ailleurs pas question de chercher la collision avec le gouvernement Harper. Élu, François Legault rencontrerait rapidement son homologue fédéral. «Je prévois avoir de bonnes relations avec M. Harper», dit-il en ajoutant toutefois que les questions fédérales-provinciales sont loin de ses priorités. On trouve bien des convergences entre son plan de match et la volonté des conservateurs de réduire la taille de l'État, observe-t-il. La connivence s'arrête là. Sur les questions comme le registre des armes à feu, le mariage gai ou l'environnement, il est «mal à l'aise». «Il faut être prudent avec la «droite morale»», observe le chef de la CAQ. Une chose est sûre, les anciens adéquistes, toujours sympathiques aux conservateurs au Québec, devront modérer leurs ardeurs. «Ils doivent faire des compromis», résume M. Legault.

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La Presse reçoit cette semaine en rencontre éditoriale les chefs des trois principaux partis. Les rendez-vous ont été fixés selon les disponibilités de chacun des chefs, par leur organisation. Aujourd'hui, nous vous présentons les entretiens avec François Legault et Pauline Marois. Vendredi, ce sera le tour de Jean Charest.