Robert Lepage a qualifié sa campagne de «wagnérienne», mais après 24 jours de chevauchée, la Walkyrie était bien fatiguée. Depuis quelques jours, les faux pas s'accumulent: valse-hésitation autour du projet de loi sur l'identité, flou artistique quant à la portée des référendums d'initiative populaire de son programme.

Pauline Marois en a vu bien d'autres. Elle sourit aux hyperboles, les surnoms de dame de béton ou même d'acier inoxydable. Elle a l'humilité de la survivante. Elle en a l'assurance, aussi.

Au cours de l'entrevue de près d'une heure accordée à La Presse, à bord de son autocar de campagne, la chef péquiste met cartes sur table et convient que les derniers jours n'ont pas été faciles. Un désordre de bon aloi règne autour de ses confortables fauteuils de cuir aménagés dans son autocar: des fruits, des journaux, des documents, le roman Arvida qui attend qu'elle ait quelques heures libres. Au cours des derniers jours, sa campagne «n'a pas dérapé... mais cela aurait pu», admet-elle. «Mais ce serait un peu gros de dire qu'on a frôlé le précipice.» Il importait de clarifier les choses, et rapidement.

Cinq ans après son arrivée à la tête du Parti québécois, après un parcours politique de 30 ans, elle avoue que le doute l'habite encore sur l'issue de cette aventure. «Il y a toujours une part de doute, c'est normal. Je suis calme, sereine, j'ai confiance parce que j'ai donné le meilleur de moi-même, j'ai une expérience immense, de la maturité. Je ne peux pas en faire plus que ce que j'ai fait...»

Face-à-face laborieux

Au sortir des débats, jeudi, Mme Marois admet qu'elle a frappé le mur. Dans une rare saute d'humeur, elle a montré son agacement devant le flot de questions sur la tuyauterie des référendums d'initiative populaire, elle qui voulait parler de ses annonces en culture.

Le dernier débat télévisé, avec François Legault mercredi, s'est mal terminé - elle n'a pas tout de suite fermé le verrou sur le caractère «consultatif» des référendums d'initiative populaire. «J'aurais pu mieux expliquer à la fin du débat, être plus vive... Je m'étais fait un plan de match» et, clairement, ce référendum d'initiative populaire n'était pas sur le tableau de bord, convient-elle aujourd'hui. Pourtant, François Legault avait rodé ces mêmes attaques dès dimanche soir.

Elle avait déjà dit que ces référendums déclenchés avec une pétition signée par 15% de la population pouvaient lier le gouvernement. «J'avais dit oui, cela pourrait être exécutoire, mais en y regardant de plus près, c'est toujours l'Assemblée nationale qui garde l'initiative, c'est un risque positif que l'on prend», résume-t-elle.

Plus tôt, elle avait embrouillé tout le monde sur la portée du projet de loi déposé il y a cinq ans par le PQ; on y prévoyait que le droit de se porter candidat à des élections supposait une connaissance fonctionnelle du français. Mais seuls les nouveaux arrivants seraient visés, pas les citoyens qui vivent déjà ici. «C'est ma mémoire qui a fait défaut, c'est ma responsabilité. Avant le point de presse, j'aurais dû relire ma loi, je ne l'ai pas fait. C'est aussi bête que cela», laisse-t-elle tomber.

Franchise, candeur, naïveté? La seule femme aspirante au poste de premier ministre est aussi la plus transparente. Ses adversaires masculins, quant à eux, semblent imperméables au doute, en apparence du moins.

Hier, François Legault était partout sur la une des journaux, prédisant le couperet aux hauts fonctionnaires et présidents de sociétés d'État. Pauline Marois est plus conciliante, en apparence toutefois: «Le premier critère est la compétence, mais ils [les dirigeants] doivent être capables de vivre avec l'orientation souverainiste du gouvernement.» La fonction publique sous Jean Charest, selon elle, «s'est truffée d'anciens employés de cabinets politiques». «On ne fera pas de chasse aux sorcières», promet-elle toutefois.

Selon elle, François Legault, «très têtu», «veut jouer les matamores» en brandissant constamment son balai annonciateur d'un «grand ménage». Les gens veulent avant tout «qu'on arrête de diviser les Québécois». «Ce que les gens veulent, c'est un gouvernement ferme, cohérent, qui s'attaque à la corruption, qui va alléger le poids [de la fiscalité] qui pèse sur la classe moyenne et régler quelques problèmes majeurs, la question des personnes âgées, les jeunes familles sans service de garde, les enseignants qui crient au secours. Je pense que les dirigeants doivent avoir un peu de sérénité, d'empathie, régler les problèmes sans se mettre tout le monde à dos.»

À l'approche du scrutin, elle va «travailler pour être majoritaire». «Si c'est minoritaire, je verrai à respecter le choix des Québécois. On sait qu'on a un effort à faire d'ici la fin de la campagne pour nous assurer d'être majoritaires. Je ne voudrais pas être majoritaire de quelques sièges...», confie-t-elle. Mais l'Assemblée nationale fonctionnera sans heurts, assure-t-elle. François Legault était bien plus menaçant au débat télévisé.

Marois n'hésite pas à rappeler cette période difficile de 2007, où elle avait remplacé André Boisclair au pied levé. Le PQ venait de subir une raclée. Or, Legault, critique aux Finances, voulait renverser le gouvernement libéral, fraîchement élu. «François Gendron [chef parlementaire du PQ] m'appelait en braillant; Legault voulait faire tomber le gouvernement! Est-ce qu'on est tombé sur la tête, on venait d'avoir une élection! Les gens nous auraient battus à plate couture!» Pendant des années, François Legault a harcelé ses chefs pour qu'ils enclenchent la souveraineté. «Ce n'était jamais assez... c'en était déplaisant!»

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE