À l'échelle du Québec, la lutte électorale se fait à trois. Mais Taschereau, la circonscription qui recoupe les quartiers de la basse-ville de Québec, est le théâtre d'une vraie lutte à cinq. La forteresse péquiste détenue depuis 16 ans par le Parti québécois pourrait-elle tomber aux mains des libéraux? Des caquistes? De Québec solidaire, ou même d'Option nationale? Les paris sont ouverts.

À deux semaines du scrutin, le diagnostic électoral de la circonscription de Taschereau ne fait pas l'unanimité. Duel PQ/PLQ? Lutte à trois PQ/PLQ/CAQ? Bataille des souverainistes ou forteresse péquiste imprenable? Au coeur de la capitale, l'irréductible château fort péquiste voit s'affronter cinq candidats très motivés.

«Bonjour, je m'appelle Serge Roy, je suis candidat de Québec solidaire! Québec solidaire, ça vous dit quelque chose de positif?»

Rue Richelieu, derrière la porte qui s'ouvre sur le trottoir, l'interlocuteur répond à regret.

«Oui, mais je vais être honnête avec vous: j'aimerais pas ça qu'un libéral prenne la place d'Agnès Maltais. Même si je suis plus proche de vos idées que de celles du PQ, je vais voter pour Mme Maltais.»

Liste d'électeurs en main, Marie-Josée Dufour, membre du comité de campagne de M. Roy, s'interroge sur le sigle à apposer à cette adresse.

«I» pour indécis? «S» pour sympathisant?

«On va le mettre indécis», tranche-t-elle, avant de poursuivre le porte-à-porte.

Dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, accroché entre la haute-ville et la basse-ville, l'élection d'un libéral dans Taschereau semble un scénario catastrophe.

Représentée depuis 1998 par le PQ, Taschereau a résisté aux vagues adéquistes et libérales. À Québec, c'est ici que s'est joué le printemps étudiant. Tout naturellement, c'est l'une des rares circonscriptions hors de Montréal où Québec solidaire place ses espoirs.

Serge Roy, ancien syndicaliste aux airs de Jacques Languirand, y croit. Il a obtenu à peine plus de 8% des voix en 2007 et en 2008. Mais cette année, il espère réaliser un score «historique». «Il y a une ébullition», dit-il, le carré rouge épinglé sur la poitrine.

Cette année, pourtant, Québec solidaire risque de se faire doubler sur sa gauche par Option nationale.

«On observe un certain engouement pour Option nationale chez les jeunes, et surtout chez les péquistes. Option nationale arrive avec le même discours de gauche, en pigeant une bonne partie de son programme dans Québec solidaire», regrette-t-il.

«Mais on sent que l'objectif de gagner Taschereau n'est pas inatteignable. On travaille dans la perspective d'être élus.»

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Si Option nationale, jeune parti fondé par Jean-Martin Aussant, devait avoir une vedette, ce serait sans doute sa candidate dans Taschereau, Catherine Dorion.

La jeune femme n'a rien d'une «parachutée»: elle a grandi au coeur de la capitale et y vit toujours.

Mais c'est une vidéo faite par ses soins et devenue virale qui l'a fait connaître, il y a deux semaines.

Comédienne, écrivaine, bardée de diplômes d'ici et d'ailleurs, Catherine Dorion séduit les gens par son franc-parler, son caractère bien trempé et son humour. Rares sont les apprentis politiciens qui, comme elle, qualifient de «bandante» leur plateforme électorale.

Pour cette amie de Jean-Martin Aussant, la souveraineté est l'objectif numéro 1.

«On pourrait dire qu'on est tous les deux des jusqu'au-boutistes. On veut être en accord avec nos convictions», dit-elle. Elle pourfend les partis qui embrouillent les électeurs et les laissent confus, «comme une fille mêlée dans les explications de son chum manipulateur».

«Les gens sont gênés d'être souverainistes. Mais si on arrive avec cette façon claire et directe de parler, ça apporte un souffle, un soulagement.»

Catherine Dorion compte sur le bouche à oreille pour propager ses idées et celles de son parti.

Elle remet ainsi au goût du jour les assemblées de cuisine. Le soir où nous la rencontrons, elle présente Option nationale à une dizaine de connaissances recrutées par Facebook, installées dans le jardin de l'une de ses amies.

Ses interlocuteurs sont des trentenaires intellos et politisés. Ils veulent croire en leurs convictions.

«Je ne veux pas voter stratégique. Je l'ai fait et ça ne fait que me décevoir», dit François-Philippe, ingénieur de 32 ans.

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C'est dans la coquette rue Cartier, en haute-ville, que Clément Gignac a installé son local électoral.

Élu dans Marguerite-Bourgeoys, à Montréal, après la défection de Monique Jérôme-Forget en 2009, le ministre des Ressources naturelles a créé la surprise en choisissant de se présenter dans un fief péquiste.

«Ce n'est pas une balade au parc», admet-il.

On pourrait penser qu'il part au casse-pipe, mais Clément Gignac calcule que le redécoupage de Taschereau, qui englobe maintenant une partie de la circonscription voisine d'Yves Bolduc, son collègue de la Santé, lui sera favorable.

«Les gens de Québec sont fiers de voir qu'un ministre libéral quitte un château fort pour Québec, ajoute-t-il. Ça frappe l'imagination.»

Autre avantage en sa faveur: Clément Gignac se dit le seul candidat «fédéraliste à temps plein».

Il est aussi l'homme du Plan Nord, une tête d'affiche du gouvernement Charest, qui espère tirer profit des ruines du conflit étudiant.

«C'est délicat de parler [du conflit étudiant], mais il est vrai que je me fais beaucoup accrocher par des gens qui font partie de la majorité silencieuse, des travailleurs à qui ce brassage a tapé sur les nerfs», glisse-t-il.

Arrivé sur le tard en politique après une fructueuse carrière d'économiste, Clément Gignac aborde de toute évidence cette campagne avec une certaine sérénité.

«Je ne suis pas un politicien de carrière. Je suis indépendant financièrement et intellectuellement», dit-il. Et de sourire. «Je ne travaille pas sur le scénario que je vais perdre!»

Chose certaine, M. Gignac recueille des encouragements sur son passage. Comme ceux d'un ancien électeur péquiste et adéquiste, qui lui donnera sa voix le 4 septembre.

«M. Gignac a de grosses chances ici, pense Richard, 61 ans. Si les gens croient qu'un gouvernement libéral va rentrer, ils vont voter pour lui. Ici, les gens ont soif de pouvoir.»

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Autrefois pauvre, aujourd'hui pimpant. Saint-Roch, en basse-ville, a changé de visage en une décennie. Son embourgeoisement, après l'arrivée de l'École nationale d'administration publique et d'entreprises de nouvelles technologies, a peut-être pris son essor sous le règne libéral, mais c'est le PQ qui lui a donné son impulsion, précise la députée sortante, Agnès Maltais.

Solidement ancrée dans sa circonscription, Agnès Maltais connaît la vie culturelle et économique de Taschereau, mais aussi ses besoins sociaux. Plus de la moitié des organismes communautaires de la région de Québec sont concentrés dans Taschereau. Leurs besoins sont grands.

«Ça m'oblige à une compréhension fine des enjeux», reconnaît-elle.

Sur ses adversaires, elle part avec une bonne longueur d'avance. «Ici, les gens me connaissent comme une fonceuse qui défend son monde», revendique-t-elle. Si son soutien au projet de loi 204, dans le dossier de l'amphithéâtre de Québec, a pu irriter certains de ses électeurs, elle affiche sa confiance.

Serge Roy, de Québec solidaire? «Je l'ai vaincu deux fois. À mon avis, je vais le vaincre une troisième fois.»

Le PLQ? Elle sourit. «On oublie deux choses: je suis connue, et le Parti libéral a quatre ans de scandales derrière lui», lance-t-elle.

Dans l'entrée de son local électoral sont affichées les trois pancartes de ses précédentes campagnes. Le soir de la victoire, dit-elle, elle ajoutera à sa collection sa dernière pancarte.

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À Taschereau comme dans le reste de la province, la CAQ espère jouer les trouble-fêtes.

Mario Asselin, ancien directeur d'école devenu expert du web, se voit engagé aux côtés de Mme Maltais et de M. Gignac dans une lutte à trois.

«C'est devenu évident pour tout le monde», assure-t-il.

Certes, l'ancêtre de la CAQ, l'ADQ, n'a jamais percé dans Taschereau: au plus fort de la vague adéquiste, en 2007, l'ancien parti de Mario Dumont traînait six points derrière le PLQ et le PQ.

Mais Mario Asselin ne s'est pas lancé dans un «défi kamikaze».

Il a quitté son travail et vendu les parts de son entreprise pour porter les couleurs de la CAQ ici. Et il compte s'appuyer sur son réseau personnel, issu de ses années d'école, ici même. «L'effet Mario Asselin», estime-il, peut lui amener de 5 à 6% des voix. Et ce, sans compter son travail de terrain, depuis son investiture, en mai.

Il travaille fort. «Je ne suis pas du genre à faire une campagne pépère», précise-t-il.

Entre le PQ et le PLQ, il se voit comme le «meilleur des deux mondes».

«Je suis un gestionnaire et un éducateur», assure-t-il.

Son pari attise la curiosité. Notamment celle des jeunes électeurs qui, entre le PQ et le PLQ, ne savent plus à quel parti se vouer.

Bon pédagogue, Mario Asselin continue de multiplier les rencontres et assemblées citoyennes pour présenter le projet de son parti.

«La lutte est périlleuse. C'est difficile de savoir qui va gagner. Mais je pense que la personne qui sera élue ici sera au gouvernement.»

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TASCHEREAU: 62 551 habitants

28% des logements sont occupés par leur propriétaire, contre 60,1% à l'échelle de la province.

2,1% de la population est anglophone (contre 7,8% pour la province).

7,4% de la population est immigrée, contre 11,5% dans l'ensemble du Québec.

Taschereau compte 8,2% d'artistes dans sa population active, contre 3,2% à l'échelle du Québec.

Taschereau compte presque deux fois plus de diplômés de l'université que l'ensemble du Québec (45,2% contre 26,2%).

Source: Données du DGE