Le maire de Saguenay, Jean Tremblay, a attaqué la candidate péquiste dans Trois-Rivières, Djemila Benhabib, parce qu'elle est d'origine algérienne. Et le maire de Trois-Rivières, Yves Lévesque, cautionne cette charge en prétendant que son collègue parle au nom de la «majorité silencieuse».

«Ce qui me choque, ce matin, c'est de voir que nous, les mous, les Canadiens français, on va se faire dicter comment se comporter, comment respecter notre culture par une personne qui arrive d'Algérie, et on n'est même pas capable de prononcer son nom», a lancé le maire Tremblay en interview, mercredi matin, avec Paul Arcand au 98.5.

«Des fois, (le maire Tremblay) va un petit peu loin», a réagi M. Lévesque plus tard à la même station. Il croit tout de même que les Québécois partagent son avis. «Ça donne un portrait un peu de la situation de ce qu'une majorité des gens pensent de façon silencieuse au Québec, par rapport à tout au niveau de la charte sur la laïcité», a-t-il dit.

En tant que militante laïque, Mme Benhabib s'est déjà prononcée contre le crucifix à l'Assemblée nationale. Depuis qu'elle est candidate, elle a décidé de se rallier à la position du PQ, même si elle n'a pas changé d'avis. Ce combat reste toutefois secondaire pour elle. Ce qui est urgent, a-t-elle précisé hier, c'est d'adopter une charte de la laïcité. Le PQ en propose une.

Cette charte énoncerait que le Québec est «laïc» et «neutre par rapport aux croyances ou non croyances». Elle  hiérarchiserait aussi certains droits. L'égalité entre les hommes et les femmes primerait la liberté de religion. Elle vise aussi à baliser les demandes d'accommodements raisonnables dans la fonction publique.

La charte interdirait en outre au maire Tremblay de commencer la réunion du conseil municipal par une prière. En interview à la radio, il a répété que ce qui le choquait le plus, ce n'était pas cette interdiction. C'est le fait que Mme Benhabib approuve cette interdiction, comme le font pourtant tous les autres candidats péquistes. La raison: Mme Benhabid est d'origine algérienne. Elle est arrivée au Québec dans les années 90.

«Ce qui me choque, ce matin, ce n'est pas Mme Marois, a-t-il répété. C'est de voir qu'une personne de l'extérieur comme celle que vous venez d'interroger - je ne sais pas son nom, je ne suis pas capable de le dire...

«Ben-ha-bib», a dit l'animateur pour l'aider.

M. Tremblay a continué d'attaquer la candidate avec virulence. Il a insisté sur ses origines étrangères et a confondu son engagement pour la laïcité avec une forme de prosélytisme.

«Notre culture du Québec, nous autres, là, notre drapeau du Québec, là, elle le sait-tu que c'est la croix chrétienne qu'il y a là-dessus?», a-t-il demandé.

M. Tremblay a prétendu que Mme Benhabib voulait «enlever les croix des villes». Ni Mme Benhabib ni le programme du PQ n'ont jamais dit cela. Ils précisent plutôt le contraire.

«Ils vont faire disparaître la religion et notre culture de partout. Vous ne vous rendez pas compte de ça», a-t-il néanmoins poursuivi.

Le maire a ensuite affirmé que la chef du PQ, Pauline Marois, songe à retirer le crucifix du Salon bleu, ce qui est faux. Il a aussi accusé Mme Benhabib de vouloir «établir les règles». L'animateur lui a rappelé que Mme Benhabib n'a fait que reprendre la position de son parti, qui a été votée démocratiquement par ses membres.

«Y a juste elle qui prend ça à coeur de même», a rétorqué le maire.

Paul Arcand lui a demandé s'il ne serait pas raciste.

«Pas du tout, a-t-il répondu. Je n'aime pas que ces gens-là viennent ici et nous établissent leurs règles. Elle est de quelle religion, elle? On ne le sait pas.»

Il s'est inquiété de la voir siéger à l'Assemblée nationale. «Je les vois aller, là. Elle va arriver au Parlement. Le Parlement, là, ça applaudit ça. Je les vois faire, là.»

Le maire Tremblay n'a jamais été un allié de la famille souverainiste. Aux dernières élections fédérales, il avait appuyé les conservateurs.

Lévesque en remet

Yves Lévesque s'est déjà aussi battu pour commencer la réunion du conseil municipal par une prière. Un citoyen s'est plaint en invoquant la Charte québécoise des droits et libertés. Il a gagné. «Nos lois sont un peu stupides», a-t-il lancé.

«C'est pas les immigrants, souvent, c'est les gens de chez nous (qui défendent la laïcité», a-t-il ajouté.

Le maire de Trois-Rivières a été particulièrement critique envers celle qui pourrait devenir sa députée. Les militants péquistes locaux ne voulaient pas de Mme Benhabib, a-t-il prétendu, sans donner de sources.

«Sur le coin de la rue, les gens sont étonnés de voir qu'il y avait de bons candidats pour représenter le PQ à Trois-Rivières et on a dû faire venir quelqu'un de l'extérieur pour représenter la région», a-t-il dit.

Il a parlé cette fois de la «masse silencieuse», qui est «un peu offusquée de la situation».

«On dirait que votre jupon dépasse. Etes-vous libéral ?», lui a demandé l'animateur ?

Il a répondu en disant que la députée libérale l'a toujours bien servi depuis son élection en 2008.

Benhabib ne veut pas commenter

Mme Benhabib n'a pas voulu alimenter cette controverse. «Je n'ai rien à lui répondre. Je ne souhaite pas que le débat se cristallise sur ma petite personne et il n'est pas question de me laisser distraire, pendant cette campagne électorale, par des événements comme celui-là», a-t-elle indiqué ce matin alors qu'elle avait convoqué la presse pour présenter ses orientations en matière de santé.

Tremblay «a dérapé», dénonce Legault

Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault croit pour sa part que Jean Tremblay «a dérapé». Ses commentaires étaient «inacceptables» et il doit maintenant s'excuser.

«Je pense que la candidate du PQ ne méritait pas de tels propos, a-t-il dit lors d'un passage à Montmagny. Tous les Québécois sont égaux, donc ils doivent être traités de la même façon. Quand j'entends des phrases comme "ces gens-là", c'est déplacé.»

Mais le chef caquiste estime que son rival libéral est lui aussi responsable du dérapage.

«Je pense que M. Charest, en voulant mettre le dossier des accommodements raisonnables en dessous de la table, a créé ce genre de réaction», a-t-il dénoncé.

À ses yeux, le gouvernement libéral n'a pas eu le «courage» de clore ce débat explosif, puisqu'il a refusé d'appliquer un grand nombre de recommandations de la commission Bouchard-Taylor.

«Il faut, à un moment donné, baliser, a-t-il résumé. Il faut dire "ça va être ça", donner des règles pour ne pas que, régulièrement, il y ait des débats comme celui du crucifix à l'Assemblée nationale.»

La plateforme électorale de la CAQ prévoit le dépôt d'un «livre blanc sur la laïcité» dans le mois qui suivrait son éventuelle élection. M. Legault présentera le détail de ses propositions dans les prochains jours.

Le chef caquiste s'est déjà déclaré favorable au maintien du crucifix à l'Assemblée nationale. Il est assi ouvert à une charte de la laïcité comme le propose Pauline Marois. Mais contrairement, au PQ, il ne souhaite pas que l'ensemble des employés de l'État se dépouillent de leurs signes religieux - seulement ceux qui sont en position d'autorité, comme les juges et les policiers.

«La grande majorité des Québécois sont ouverts sur l'immigration, a-t-il affirmé. On a besoin d'émettre certaines balises. M. Charest n'a pas émis ces balises.»

«Tremblay n'est pas représentatif des Québécois»

En conférence de presse à Saint-Jérôme, la chef du Parti québécois a demandé à M. Tremblay de s'excuser pour ses propos «complètement irresponsables».

Elle assure que le maire Tremblay n'est pas représentatif des Québécois, qui sont «généreux, ouverts et tolérants».

Le gouvernement Charest n'a pas répondu aux recommandations du rapport Bouchard-Taylor. Cela a laissé la «division» se développer dans la population, croit Mme Marois.

«Racisme», dénonce Québec solidaire

«Voilà du racisme qui n'a pas sa place dans le débat public. Il est temps que M. Tremblay arrive au 21e siècle, a réagi la co-porte-parole de Québec solidaire, Françoise David.

«Malgré nos désaccords, Mme Benhabib a tout notre appui devant des propos de cet ordre, a-t-elle ajouté. Ces débordements sont inacceptables, le Québec que je connais est plus ouvert que cela. J'aimerais rappeler à M. Tremblay que le rôle d'un maire est de représenter l'ensemble de ses citoyens et citoyennes, quelle que soit leur confession.»

- Avec Le Nouvelliste