C'est partout pareil. Tout le monde se lève à l'aube, épluche les journaux, prépare fébrilement des réponses pour les premières heures des tournées, pour les questions prévisibles du premier point de presse. C'est le sprint du matin. Certains rassurent le chef, d'autres fouettent l'organisation. Étrangement, presque naturellement, dans toutes les organisations, le travail s'est distribué de la même manière, entre un stratège et un organisateur.

Parti québécois

Nicole Stafford, surnommée Staff, est depuis longtemps une institution au Parti québécois. Chef de cabinet de Lise Payette, Pauline Marois a vite remarqué cette souverainiste de la première heure quand elle a croisé la fonctionnaire Stafford, à la suite de la publication du rapport Égalité et indépendance. Une fois ministre de l'Emploi, en 1982, Mme Marois l'a recrutée comme chef de cabinet. Les deux femmes ne se sont pas quittées depuis. On est loin de la relation qu'ont les autres chefs avec leur principal stratège. Marois et Stafford sont amies, elles ont déjà même partagé un appartement à Québec. Stafford connaît Marois par coeur. Elle nuance: «Je sais d'avance ce que Mme Marois acceptera ou non, mais ce n'est pas un rapport de complaisance.» Elle est d'une loyauté sans faille à Pauline Marois, au risque de la protéger à l'excès. De commerce agréable, elle connaît ses limites. Quand Marois a atterri aux Finances, Stafford a pris du recul - le PQ a quand même nommé cette fidèle comme déléguée à Bruxelles. Elle est retournée pour la course à la direction de 2005, derrière devinez qui! Elle a de nouveau fait un retour quand Mme Marois a succédé à André Boisclair, en juin 2007. Naturellement, c'est Nicole Stafford qui est le point de contact entre la chef et l'organisation péquiste. Mais l'osmose entre les deux femmes n'explique pas tout. «Je pourrais remplir cette fonction pour quelqu'un d'autre», insiste Stafford.

Comme responsable de l'organisation au PQ, on trouve Sylvain Tanguay, arrivé comme recherchiste dans l'opposition en 1993. Quand le PQ a pris le pouvoir, il est passé chez Louise Harel, puis à l'Éducation avec Mme Marois. Pour la campagne de 1998, il s'est occupé de la tournée de Lucien Bouchard, qui le nommera directeur du parti deux ans plus tard. Quand Bernard Landry a nommé son lieutenant Raymond Bréard au parti, Tanguay est retourné avec Marois, aux Finances. Après la défaite du PQ en 2003, il est devenu directeur de l'Association touristique de Gaspésie, sa région, mais Pauline Marois lui a demandé de revenir en 2009. C'est lui qui est derrière son vote de confiance confortable de 93%, au congrès de 2011, mais il n'a pu contenir l'hémorragie des démissions et de la contestation dans les mois qui ont suivi.

Parti libéral du Québec

Michel Bissonnette, filiforme Bisso quand il était le leader charismatique des jeunes libéraux sous Robert Bourassa, a pris du poids... et du coffre. À la différence de son lieutenant, Mario Dumont, il était resté au Parti libéral (PLQ). Après quelques années dans le monde de la publicité, chez BCP, il fondera avec deux amis Zone 3, devenue un acteur très important dans le paysage télévisuel québécois. Quand il est devenu minoritaire à l'Assemblée nationale, en 2007, Jean Charest l'a appelé à la rescousse, avec John Parisella, comme conseiller bénévole. Il était aux commandes à la campagne de 2008 quand l'Action démocratique du Québec a été reléguée aux oubliettes. Pour le «positionnement» de la campagne, les décisions stratégiques sont les siennes; sa sensibilité à l'image et aux scénarios léchés transparaît dans la campagne et la publicité libérales. C'est lui qui fait le contact des dizaines de fois par jour avec la tournée du chef. Même s'ils ont 10 ans de différence, sa relation avec Jean Charest est très solide. «Ce sont mes vacances annuelles que je prends actuellement. Je ne peux pas dire que c'est reposant. Mais pour un changement du quotidien du bureau... je suis servi!», a ironisé cette semaine le «président» de la campagne libérale.

Ses journées commencent à 4h du matin. Il scrute les journaux et le web avant une réunion, deux heures plus tard, au quartier général du PLQ. Il y retrouve notamment Daniel Gagnier, chef de cabinet de Jean Charest, qui a repris du service quelques mois avant le déclenchement des élections.

On fait le point aussi avec Karl Blackburn, ancien député qui, après voir été battu en 2007, était passé dans l'organisation du parti, jusqu'à devenir directeur général. L'organisateur en chef est le responsable du contact avec les comités dans les 125 circonscriptions. Il avait procuré un vote de confiance confortable à Jean Charest après la semi-défaite de 2007. Il a su conserver la plupart des circonscriptions libérales lors des complémentaires, mais il a échappé Argenteuil, en juin dernier, véritable douche froide pour le PLQ. Il s'était fait critiquer durement quelques fois en caucus par des députés inquiets du manque de préparation du parti, le printemps dernier. Mais Jean Charest a dans ce bleuet «une confiance absolue».

Coalition Avenir Québec

Martin Koskinen, conseiller principal de Legault, est l'équivalent d'un chef de cabinet... et d'un alter ego. Il est le seul stratège qui accompagne constamment son patron dans l'autocar de campagne. À la fin de 2011, François Legault lui avait rendu tout un hommage au lancement de son parti: «Sans toi, Martin, je ne serais pas ici!»

L'ancien leader étudiant, descendant d'immigrants finlandais installés dans l'Outaouais, a fait ses classes dans Force Jeunesse, mouvement opposé aux clauses orphelin. C'est à cette époque qu'il a connu François Rebello, député caquiste, et Patrick Lebel, organisateur de la première heure à la Coalition avenir Québec (CAQ). Ministre de l'Éducation sous Lucien Bouchard, François Legault a vite attiré ces jeunes turcs, la base d'une organisation pour éventuellement devenir chef du Parti québécois (PQ). Même passé dans l'opposition, Legault s'occupait de Koskinen, lui faisait bénéficier de son réseau. Dès qu'il a voulu fonder un parti, Legault a tout de suite conscrit Koskinen. Il est souvent celui qui souffle à Legault ses meilleures déclarations. Réfléchi, presque timide, il doit composer avec des collaborateurs plus flamboyants, Mario Bertrand et Richard Thibault, issus tous deux du PLQ.

L'organisatrice en chef, Brigitte Legault, la jeune trentaine, est arrivée par un détour étonnant à la politique. Joueuse offensive au ballon-balai, remarquée par l'entraîneur de l'équipe, Richard Mimeau, vétéran du PLQ et lieutenant de Paul Martin au Québec. L'équipe se rendra au championnat canadien, et l'ailière... à Ottawa. Après cinq ans comme présidente des jeunes du Parti libéral du Canada, l'employée politique de Michael Ignatieff sera candidate en 2008, dans Vaudreuil, contre le ministre-sénateur Michael Fortier. Deux mois après le départ d'Ignatieff, elle se retrouve à la CAQ. Longtemps «snobés» par les cousins du Québec, bien des libéraux d'Ottawa la rejoindront, Jean-François Del Torchio, Roch Gamache et Jean-Bernard Villemaire.

Comme Koskinen est dans la caravane, à la CAQ, la réunion du matin se fait au téléphone, vers 6h. Avant, on a disséqué, comme dans les autres camps, les nouvelles de la veille. L'ordre des annonces est prévu jusqu'aux débats. Après, on jouera à l'oreille en sillonnant les circonscriptions où la présence du chef pourrait faire la différence.

Québec solidaire

Réjean Séguin, secrétaire général de Québec solidaire, est la clé de voûte de la petite organisation. Retraité, l'ancien syndicaliste de l'Alliance des professeurs de Montréal est arrivé par la filière d'Option citoyenne, mouvement lancé il y a huit ans par Françoise David, qui avait fusionné avec l'Union des forces progressistes, d'Amir Khadir, pour plus tard former Québec solidaire. Il a participé aux élections de 2007, mais pour celles de l'année suivante, il était à l'étranger. Tout le monde travaille dans un quartier général, angle Saint-Hubert et Jean-Talon, à Montréal, dans la circonscription de Gouin. À cause de moyens limités, il n'y a pas de tournée des deux co-chefs, qui font surtout campagne à Montréal et à Québec.

Option nationale

Particularité du parti fondé récemment par Jean-Martin Aussant: tout se fait à partir de la circonscription de Nicolet, où l'ancien péquiste a le défi, important, de se faire réélire. Responsable de l'organisation, l'avocate de 25 ans Sarah Désilets-Rousseau a pratiqué pendant un an le droit familial, à Québec. Venue à la politique par le Bloc québécois - elle était vice-présidente des jeunes bloquistes -, elle est originaire de Bécancour, tout près du quartier général. Une toute petite équipe, de deux ou trois personnes, compte sur l'appui de bénévoles. Le chef Aussant a sillonné plusieurs régions au cours des semaines précédant le déclenchement de la campagne, mais se concentre sur la circonscription de Nicolet-Bécancour.