Quatre ans après avoir concédé, à quelques centaines de voix près, la victoire à Québec solidaire, le Parti québécois se lance à la reconquête de Mercier. Pour battre sur son terrain le député sortant fort en gueule Amir Khadir, le PQ a recruté le syndicaliste Jean Poirier, qui se qualifie volontiers de «gauchiste».

Amir Khadir nous regarde, sceptique et incrédule. Une bataille dans Mercier? De toute évidence, le premier élu de Québec solidaire ne se sent pas menacé dans sa circonscription, qui a déjà préféré un poète à un premier ministre et s'est dotée d'un maire pro-cyclistes.

«Je souhaite beaucoup de chance à M. Poirier, mais il n'est pas connu ici. J'espère qu'il s'est lancé avec un autre enjeu...», dit-il.

Il faut dire qu'Amir Khadir connaît son terrain. Et qu'il est ici en terrain conquis.

Rares sont les politiciens qui déclenchent les applaudissements des badauds sur les terrasses de café à leur passage, qui inspirent à leurs militants des comparaisons avec Gandhi, ou qui peuvent afficher leurs pancartes électorales en plein défilé de casseroles, sous l'oeil bienveillant des manifestants.

Dans le Plateau, Amir Khadir, lui, le peut.

«Dans Mercier, ce sont des élections de combat. On a gagné voix par voix. On connaît notre terrain. Et Mercier a un immense attachement à Québec solidaire et à l'idée que la politique peut être sincère et honnête», revendique-t-il.

***

Avenue du Mont-Royal. Jean Poirier, qui vit à Saint-Constant et a accepté de se joindre au PQ deux jours avant le déclenchement des élections, l'admet: il ne connaît pas vraiment le quartier. Il décode encore mal les panneaux indicateurs de stationnement, et quand nous le rencontrons, il récupère sa première contravention. Il avait pourtant mis l'argent nécessaire dans le parcomètre, mais les réglements du Plateau sont parfois impénétrables.

Certes, Jean Poirier se sait encore «vert». Mais il est opiniâtre et il apprend vite.

Au syndicat des machinistes, il est devenu en quelques années incollable sur Air Canada et son sous-traitant Aveos. Il a vu, avant Québec et Ottawa, le scénario qui s'est finalement concrétisé au printemps: la fermeture brutale d'Aveos, la mise à la rue de ses 1800 employés.

Il a remué ciel et terre pour «son monde», plaçant les responsables politiques devant leurs contradictions, arrachant des promesses au gouvernement libéral, tout en négociant le rachat d'une partie des installations d'Aveos par la firme britannique AJ Walter.

C'est ce combat qui l'a fait connaître. C'est aussi sa meilleure carte de visite.

«Je vais pas vous bullshiter: je suis un gauchiste. Je me suis battu pour les travailleurs, pour l'emploi, pour que le gouvernement mette le nez dans les industries», explique-t-il à un passant, devant le métro Mont-Royal, où il distribue des tracts.

Il est peut-être inconnu, mais son discours et son franc-parler font mouche auprès du public comme des militants péquistes locaux, qui, justement, recherchaient un candidat médiatique, combatif et progressiste pour Mercier.

«Je suis l'alter ego d'Amir Khadir», croit Jean Poirier.

Comme lui, le chef syndical cite Godin, et ne rechigne pas à manifester. Et comme Amir Khadir, Jean Poirier n'a pas l'habitude de rester assis et de se «fermer la boîte».

Autant dire que, dans Mercier, il n'est pas venu jouer les poteaux.

«Si je n'avais aucune chance de gagner, je ne serais pas là», assure-t-il.

***

Trois jours après le déclenchement des élections, le visage d'Amir Khadir orne les lampadaires des grandes artères de la circonscription.

Côté PQ, des affiches de Pauline Marois ont été installées en attendant celles de Jean Poirier.

«Je crois que ça va être une lutte difficile, mais en même temps, le candidat du PQ, je ne le connais pas», dit Benoît, 28 ans.

Son coeur penche du côté de la gauche et de la souveraineté. Mais le jeune homme vote pour un candidat, pas pour un chef. Son choix n'est pas fait, mais il donne à Amir Khadir des points d'avance pour son soutien aux étudiants.

Dans ce quartier jeune et diplômé, l'enjeu étudiant peut être déterminant.

Comme celui de la mixité sociale et de la spéculation immobilière. Dans Mercier, l'écrasante majorité des résidants n'est pas propriétaire de son logement alors que les prix de la location ne cessent de croître. Aux côtés du maire du Plateau Luc Ferrandez, Amir Khadir s'est d'ailleurs engagé pour la construction de logements sociaux.

«Amir Khadir comprend les aspirations de sa communauté. Il vit ici, et ça, c'est une condition sine qua non pour les gens de Mercier», soutient une habitante du Plateau, qui milite à Québec solidaire.

***

Rue Saint-Denis, les bureaux de campagne des candidats Amir Khadir et Jean Poirier sont situés l'un presque en face de l'autre.

Dans le duel, croit Jean Poirier, les voix de gauche devraient s'unir derrière le PQ, pour former un gouvernement.

«La meilleure chose que tu peux avoir, c'est d'être uni», dit ce souverainiste convaincu.

Mais ce message peut rebuter les électeurs.

Nancy, 47 ans, vote toujours PQ. Mais cette fois, elle hésite. Elle n'apprécie guère que le PQ aille braconner sur les terres de Québec solidaire.

«C'est sûr que le PQ veut gagner du terrain, mais ce n'est pas là que ça devrait se jouer, dit-elle. L'enjeu, c'est la couronne nord, c'est Québec. C'est là qu'il faut aller chercher les votes. Ce n'est pas avec Mercier qu'on va faire un balayage. Amir Khadir fait un bon travail, et ça en prend des minorités politiques. Tous deux sont de bons candidats, mais il faut protéger sa gauche.»

Elle s'interroge.

«Est-ce qu'on a vraiment peur de Québec solidaire?»