Véritable bombe sur la campagne électorale qui commence, Jacques Duchesneau, celui que le gouvernement Charest avait choisi pour faire le ménage dans les contrats du ministère des Transports, va se porter candidat pour la Coalition avenir Québec de François Legault. Une annonce officielle est à prévoir demain, dans la circonscription de Saint-Jérôme.

Cette énorme prise pour la CAQ est susceptible de donner une impulsion à la campagne de ce parti qui traîne derrière celles du PQ et du PLQ dans les sondages. Relancé vendredi en point de presse, M. Legault a refusé tout commentaire, mais affichait un sourire qui en disait long.

Les discussions avec l'ancien patron du Service de police de Montréal semblaient, il y a trois semaines, au point mort. L'ex-policier n'était plus sur la ligne de départ, pour des considérations familiales, indique-t-on à l'interne. «Il y a eu des soubresauts», mais «au cours des derniers jours», le contact s'était rétabli. La décision de M. Legault de faire de la lutte à la corruption le sujet du «projet de loi numéro 1» d'un gouvernement de la CAQ était un geste calculé, pour démontrer au candidat très convoité la détermination de son futur chef à faire le ménage, expliquent des sources à l'interne.

C'est le quotidien The Globe and Mail qui a, le premier, révélé cette candidature vendredi. Une personne très proche de l'ancien chef de police a par la suite confirmé à La Presse la candidature inattendue de cet «incorruptible», méga-vedette dans le débat public. Mais pour son entourage, Jacques Duchesneau était parti pour deux mois à l'étranger. Sur le message de la boîte vocale de son cellulaire, il indiquait d'ailleurs être totalement injoignable par téléphone ou même par courriel jusqu'au 3 septembre.

Départ de Marc Deschamps

L'annonce de l'arrivée de l'incorruptible au sein de la CAQ coïncide avec le départ, étonnant, de l'agent officiel du parti, Marc Deschamps. «Il ne faut pas voir cela comme une coïncidence» dira une source, proche de la CAQ. Deschamps tient le même rôle pour Union Montréal, le parti du maire Tremblay, et M. Duchesneau ne voulait pas, indiquera un stratège de la CAQ, s'associer à un parti qu'on aurait pu relier à l'administration Tremblay et au dossier du Faubourg Contrecoeur.

M. Deschamps avait eu à répondre aux questions de la SQ dans cette affaire. Il faisait partie d'un comité de sélection pour examiner les propositions des fournisseurs, et un rapport de Samson Bélair Deloite et Touche avait observé que personne n'avait vérifié l'indépendance de ce comité à l'égard des soumissionnaires. Un rapport de police allègue que M. Deschamps aurait rencontré Paolo Catania, l'entrepreneur finalement retenu, dans un club privé du Vieux-Port de Montréal, avant l'ouverture des soumissions.

À ses interlocuteurs à la CAQ, M. Deschamps a martelé «n'avoir posé aucun geste répréhensible», a confié un stratège pour qui ce départ n'a rien à voir avec l'arrivée de M. Duchesneau. Désireux que sa présence ne détourne pas l'attention des véritables enjeux de la campagne de la CAQ, M. Deschamps a plutôt, de lui-même, proposé de quitter le parti, plaide-t-on. Il n'a pas rappelé La Presse vendredi.

D'ici mardi, la CAQ aura désigné ses candidats dans les 125 circonscriptions. Outre Saint-Jérôme, celle de Jean-Lesage dans la région de Québec est toujours vacante. M. Duchesneau possède une résidence à Piedmont dans les Laurentides. Dans Jean-Lesage, la CAQ avait pensé désigner Jocelyne Cazin, ex-journaliste de TVA, une autre vedette, pour essayer d'endiguer la montée du PLQ dans la capitale, un bastion pour l'ADQ dans le passé. Mme Cazin s'est désistée cette semaine.

Cependant, plusieurs personnes proches de l'ancien chef de l'UAC, jointes par La Presse, se sont dites très surprises que M. Duchesneau se lance en politique. Dans des conversations récentes, il disait envisager de se faire reconnaître comme intervenant à la commission Charbonneau. Il ne semblait alors pas entretenir de projets politiques. Il avait d'ailleurs formellement soutenu ne pas vouloir faire le saut en politique après sa comparution percutante à la commission Charbonneau, début juin. Dans une sortie percutante, il avait soutenu que 70% du financement des partis politiques provenait de «l'argent sale» et avait confié aux commissaires une liste de noms de gens susceptibles de se prêter à ces manoeuvres illégales.

En septembre 2011, il a provoqué un véritable séisme en rendant public un rapport dévastateur dans lequel il levait le voile sur une série de mécanismes de collusion et de corruption chez les entrepreneurs qui font affaire avec le ministère québécois des Transports. Ce rapport, coulé aux médias par son auteur, a puissamment contribué à inciter le gouvernement Charest à créer finalement, en novembre, une commission d'enquête sur l'ensemble des contrats gouvernementaux. Le gouvernement avait refusé de considérer cette avenue pendant plus de deux ans.

Plus tôt cette année, Jacques Duchesneau a fait un don de 1000$ à la CAQ, le maximum permis par la loi. Il souhaitait appuyer son ami Richard Blackburn qui milite dans la circonscription de Bertrand. Par le passé, il a fait des dons à d'autres partis, notamment au Parti libéral du Québec, en 2009.

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Réactions? Silence radio!

La nouvelle de la candidature de Jacques Duchesneau pour la CAQ est tombée au moment précis où Jean Charest cherchait à exploiter le thème de «la loi et l'ordre» avec la présentation de l'ex-bâtonnier Gilles Ouimet comme candidat dans Fabre. Elle a bousillé le plan des libéraux.

Jean Charest n'a pas voulu dire un mot sur le sujet. Mais dans son discours, il a davantage attaqué François Legault et la CAQ qu'il ne l'avait fait depuis le début de la campagne.

Ironiquement, lors de son investiture jeudi soir, l'ex-policier et candidat dans Marguerite-Bourgeoys, Robert Poëti, avait déclaré: «En matière de corruption et de collusion, l'embauche de M. Duchesneau a été salutaire.»

Alors que l'arrivée de Jacques Duchesneau alimentait les bulletins de nouvelles, dans la caravane libérale, le mot d'ordre était de ne pas commenter une «rumeur». Le député sortant de Chomedey, Guy Ouellette, ex-policier lui aussi, avait longuement parlé aux journalistes jeudi. Vendredi, il a tourné les talons dès que fut prononcé le nom de Jacques Duchesneau. On avait promis aux médias un entretien avec Gilles Ouimet après son investiture. On l'a plutôt fait rentrer prestement dans l'autobus du chef avant de quitter le lieu de rassemblement.

«Étonnant», dit le PLQ

Dans une entrevue au 98,5 FM, le ministre des Transports, Pierre Moreau, a qualifié «d'étonnant» le choix de l'ancien policier, qui avait été l'enquêteur au Ministère pendant plus de deux ans. Selon lui, «il rejoint une coalition disparate», dont une candidate, Maud Cohen, ex-présidente de l'Ordre des ingénieurs, était opposée à certaines recommandations du rapport Duchesneau - entre autres celle visant à empêcher la même firme de faire à la fois la conception et la surveillance de travaux, a relevé le ministre.

«Un des deux [candidats] devra changer d'idée», a-t-il laissé tomber. Le ministre a reconnu toutefois que M. Duchesneau est «un homme de qualité» avec qui il a eu «le plaisir de travailler». Mais il a souligné que l'ancien policier risquait d'avoir du mal à travailler en équipe. «Ce n'est pas comme travailler en solitaire», a-t-il dit.

Pierre Moreau a également souligné que, devant la commission Charbonneau et dans des entrevues, M. Duchesneau s'est montré satisfait que le gouvernement mette en oeuvre les recommandations de son rapport. «Il se disait heureux des suites qu'on a données», a-t-il souligné.

Marois n'est pas inquiète

Pour Pauline Marois, qui a fait de l'intégrité son principal cheval de bataille, le choix du candidat Duchesneau est une mauvaise nouvelle. Mais elle ne l'a pas laissé paraître vendredi.

«M. Duchesneau a dit qu'il ne souhaitait pas revenir dans l'arène politique, alors ça m'a un peu étonnée. Mais s'il y a des gens qui sont inquiets par le retour de M. Duchesneau, c'est sans doute au Parti libéral», a dit Pauline Marois, vendredi. Les informations sur le PQ que pourrait détenir l'ancien policier ne l'inquiètent pas du tout, assure-t-elle.

Étrangement, au moment où M. Duchesneau y allait de déclarations accablantes sur le financement des partis politiques à la commission Charbonneau, l'avocate du Parti québécois, Me Estelle Tremblay, l'avait sévèrement attaqué. Pour elle, l'ex-policier s'était discrédité en prolongeant ses enquêtes sans mandat du gouvernement, un geste illégal, avait-elle même soutenu. Mme Marois s'était distanciée de la procureure Tremblay, avouant qu'elle avait «poussé un peu loin» l'interrogatoire.

L'intégrité et l'éthique sont au coeur de la stratégie de campagne du PQ. Mme Marois a déclaré que l'enjeu le plus «urgent» de l'élection était de se débarrasser du gouvernement Charest parce qu'il est «corrompu».

Avec l'arrivée de M. Duchesneau, le PQ est-il celui qui incarne le mieux cet enjeu? La chef du PQ a rappelé ses propositions pour montrer l'importance qu'elle accorde à l'intégrité: abaisser le plafond des dons individuels de 1000$ à 100$, tenir des élections à date fixe et instituer un poste de directeur parlementaire du budget. La CAQ a des propositions similaires.

- Avec Fabrice de Pierrebourg