Les salles surchauffées, les chefs haranguant les troupes jusqu'à plus soif. Les journées interminables où les politiciens se font une gloire d'ajouter, masochistes, un événement de plus. C'étaient les campagnes électorales d'il y a 20 ans.

Les centaines de milliers de Québécois qui regardent les nouvelles à 21h, ont, finalement, eu de l'influence sur les moeurs politiques. Pas avec leur vote, mais avec leur télécommande.

Derniers à faire leur deuil des centres communautaires bondés, les péquistes font ce jugement sans appel dans leur plan de match électoral en prévision de l'actuelle campagne.

«En 2007, nous avons rempli des salles TOUS les soirs, et en avons vu des images à la télévision pas plus de cinq fois... lorsque les salles étaient moins pleines.»

Cette année, avec une deuxième élection en trois mois, ceux qui carburent à la politique, les bénévoles, sont sur les rotules. Au PQ, ils ont déjà donné bien des soirées au Bloc québécois depuis septembre. Les troupes d'élite sont fatiguées, il faudra user avec prudence et parcimonie des rassemblements qui faisaient les délices des tribuns et des journalistes il n'y a pas si longtemps.

Le papier du PQ explique, comme à regret, le dilemme que connaissent tous les partis. Aux nouvelles télé, «pour attraper le bulletin de 21h, il faut avoir terminé à 20h. Donc débuter à 18h30, ce qui devient irréaliste dans bien des milieux (...)». À cette heure-là, à Terrebonne, les gens sont encore en transit pour rentrer chez eux!

Les grands rassemblements sont en voie d'extinction, mais il en restera, pour galvaniser les troupes et permettre aux organisations de rouler des mécaniques, de faire étalage de leur force.

Tous les partis ont des problèmes de mobilisation. Tout le monde s'informait déjà à la télé. On ajoute internet. Les salles paroissiales sont souvent à moitié remplies, confient des libéraux. Ce n'est pas différent pour les autres partis. Même le membership des partis est en baisse et ce n'est pas ces élections-ci, presque sans investitures, qui aideront à enrôler des soldats.

Le PQ veut rompre avec sa tradition, «33 jours de campagne = 33 engagements». Chaque promesse «avait quatre pages de communiqué de presse et trois chiffres après la virgule dans le cadre financier», ironise-t-on. C'était l'époque où Yves Martin et Hubert Thibault s'enfermaient pendant trois jours pour pondre ces 33 engagements.

Au PLQ, c'était Pierre Saulnier qui distillait des textes aussi touffus que sans danger... pour son parti. Ces apparatchiks qui alliaient la capacité de synthèse et la connaissance des enjeux semblent de plus en plus rares. Les engagements économiques du PLQ publiés hier se résument à une liste de promesses et un éphéméride de ce qui a été fait. Sans contexte, sans comparaisons avec ce qui se fait ailleurs, sans exemples. La présentation est irréprochable, mais cela est clairement du vite fait.

Si on passe moins de temps à préparer les engagements, c'est qu'il y en a moins. Pauline Marois en aura cinq cette année, comme Stephen Harper en 2006. Il s'est contenté de trois cette année.

Conséquence, fini les tournées frénétiques. On présente le chef dans des lieux spectaculaires, on cherche les meilleures images possible, les «beauty shots» pour les caméras passées à la haute définition. La semaine dernière, les stratèges politiques ont carrément vu l'avenir... en direct: le 30 minutes d'info-pub de Barack Obama était léché comme un long métrage. Si on se fie à l'exploit de CNN aux présidentielles, la technologie ne connaît plus de limites. Dans une décennie les partis transmettront peut-être un hologramme de leur chef dans votre salon!

Les stratèges compensent le contenu par l'insolite. Stockwell Day ne passera pas à l'histoire, mais on se rappelle son arrivée en campagne pour l'Alliance, en wetsuit sur un Sea Doo.

À Québec, on est plus timoré. Mais le PLQ va sûrement essayer de nous surprendre avec Michel Bissonnette, un gourou de la télé, comme organisateur de la campagne.

Déjà Jean Charest a rompu avec une habitude. Depuis des lustres, le premier ministre annonce le déclenchement des élections dans une conférence de presse au parlement. Il y a quelques années, révolution, on avait changé d'endroit au parlement! Mardi, Jean Charest a annoncé le déclenchement devant un fond de scène spectaculaire: le fleuve Saint-Laurent, depuis la Promenade Champlain associée au succès du 400e anniversaire de Québec.

Les penseurs de Pauline Marois veulent surprendre aussi, faire du «sans filet», des bains de foule avec des vraies madames Tout-le-Monde plutôt que les bénévoles en «congé de local» pendant une heure. Les journalistes de la campagne péquiste doivent s'attendre à prendre le train de banlieue, voire le métro. «On y provoquera, par la force des choses, une image différente.»

L'ADQ ne sera pas en reste. C'est Éric Duhaime qui est le metteur en scène. Mercredi, Mario Dumont a fait monter la meute journalistique dans le parc des Laurentides, au mythique lac à l'Épaule. Jean Lesage y avait décidé avec ses ministres de déclencher les élections de 1962, sur l'étatisation des compagnies d'électricité.

Ce fut son seul événement. Pas de discours enflammé, surtout pas de salle bondée. Les caméramen étaient contents. Les autres journalistes moins - dans ce site aussi bucolique que perdu, l'internet sans fil ne fonctionne pas.