Mario Dumont aura du mal à garder les deux circonscriptions de la Beauce, même si les Beaucerons voulaient tout sauf ces élections déclenchées par Jean Charest. Dans cette communauté tissée serré qui vit de l'entrepreneuriat, les gens n'osent pas dire quel candidat ils appuient. Mais en Beauce, tout le monde le dit: «On vote avant tout pour l'homme.»

Demander à un Beauceron pour quel candidat il va voter, c'est comme lui demander son poids corporel ou même la fréquence de ses relations sexuelles! Il rougit et fixe le plancher. «C'est personnel, je garde ça pour moi», nous a-t-on répondu

 

des dizaines de fois.

C'est une question très taboue parmi les 30 000 habitants de Saint-Georges-de-Beauce, qu'on surnomme le royaume de l'entrepreneuriat. «Personne ne se prononce. M. Dutil est connu et M. Morin a fait une bonne job», résume Jeanne Bizier, qui dirige le Carrefour Jeunesse-Emploi.

Soit les électeurs de la circonscription de Beauce-Sud rééliront l'ex-ministre libéral Robert Dutil - dont la famille est très puissante dans la région -, soit ils donneront un deuxième mandat à l'adéquiste Claude Morin, ex-officier militaire qui a servi en Europe. Quant au candidat péquiste, André Côté, il n'est pas dans la course.

«Ce sont les élections dont je me souviens où le moins de gensse compromettent, indique le maire de Saint-Georges, Roger Carette. Est-ce la crainte de représailles? Je ne sais pas, mais le phénomène est exceptionnel. Habituellement, les Beaucerons sont très expressifs.»

«Cela a pris du temps avant qu'il y ait des choses qui ressemblent à une campagne électorale «, ajoute celui qui est à la mairie de Saint-Georges depuis 15 ans.

Une campagne agitée

Pourtant, dans Beauce-Nord, il y en a eu, des rebondissements, dans cette campagne électorale déclenchée trois semaines après la réélection de Maxime Bernier. D'abord, Claude Morin a fait parler de lui pour les «chèques cadeaux» de la SAQ qu'il remettait aux gens qui contribuaient à sa campagne. Il n'en

«revient pas» des proportions qu'a prises l'affaire. «C'était légal, ça se fait depuis des années», commente le député sortant, qui a immédiatement cessé cette pratique quand elle a fait les manchettes.

Son adversaire libéral a également eu des ennuis avec le Directeur général des élections (DGE). Juste avant de se joindre de nouveau au Parti libéral après 15 ans d'absence, Robert Dutil avait fondé et dirigé l'Union du centre, un parti qui dénonçait le programme des régions ressources et certaines mesures du gouvernement Charest. Car contrairement à la Mauricie ou au Bas-Saint-Laurent, la Beauce n'a pas droit à une aide spéciale du gouvernement (voir capsule).

Mario Dumont a reproché à M. Dutil d'avoir créé ce parti essentiellement pour se financer à même les contributions politiques remboursées à 75% par les fonds publics. Le chef de l'ADQ a ensuite réclamé que M. Dutil rembourse les 40 000$ recueillis en tant que chef de ce parti temporaire (que le candidat adéquiste Claude Morin appuyait par ailleurs).

«J'ai rien à dire, dit M. Dutil. Le DGE fait son enquête. C'est un pétard mouillé de M. Dumont.»

Quoi qu'il en soit, M. Dutil a pris tout le monde au dépourvu en revenant en politique. En février, l'homme de 58 ans avait même dit qu'il défierait le PLQ en se portant candidat pour l'Union du centre.

Claude Morin a été le premier surpris quand «son cousin éloigné» lui a donné un coup de fil, la veille du déclenchement des élections. «Je pensais qu'il m'annonçait qu'il se présentait pour l'Union du centre... Il attaque Jean Charest et Monique Jérôme-Forget et, le lendemain, il est dans le même lit qu'eux! C'est même un candidat vedette!»

«Moi, je suis un militaire. La loyauté, c'est important, souligne Claude Morin. Même M. Dutil m'a dit de ne pas aller avec les libéraux.»

«Je n'ai aucun remords d'avoir critiqué des décisions passées et d'avoir demandé des solutions équitables», se défend son adversaire.

Le programme des régions ressources demeure le cheval de bataille de M. Dutil. La Beauce est victime d'une concurrence déloyale de la part des régions ressources, plaide-t-il. Selon lui, le PLQ est le seul parti qui démontre une ouverture dans le dossier. «M. Morin veut régler le problème, ma is pas son chef. Mario Dumont fouille dans nos poches», dit-il, en allusion au fait que Rivière-du-Loup bénéficie du programme des régions ressources.

L'héritage des Dutil

Yves Létourneau, conseiller financier de 54 ans, est l'un des rares Beaucerons qui a osé parler ouvertement des élections. Selon lui, les jeux sont faits. M. Dutil - qui a été à la tête de plusieurs ministères sous le règne de Bourassa - va l'emporter. «Ses antécédents vont faire en sorte qu'il sera réélu. Il vient du milieu des affaires, donc le milieu est derrière lui», indique-t-il.

Comme dit M. Létourneau : «Les Dutil font travailler les gens.» Marcel Dutil, le frère de Robert, est le fondateur du Groupe Canam Manac, fabricant de produits de construction de la Beauce qui brasse des affaires de 850 millions par année.

Comme beaucoup d'entreprises beauceronnes qui exportent vers les États-Unis, la compagnie souffre beaucoup de la hausse du dollar américain. «Il y a quelques années, dans le stationnement de la Régie des alcools, il y avait beaucoup de plaques du Maine, illustre le maire Carette. Là, il n'y en a plus.»

Bien entendu, le fait que la Beauce ne soit pas une région ressource est aussi un frein majeur aux affaires. «Plein d'entreprises ont disparu ou ont déménagé, dit le maire. D'autres ont perdu des contrats.»

Passer pour des «colons»

Mardi soir, au salon de quilles Élite. Trois jeunes hommes boivent une bière en jouant au billard. Ils célèbrent la dernière journée de travail de leur saison de construction. L'un d'eux, David Côté, a déjà travaillé chez Canam Manac, mais il a perdu son emploi.

Les trois copains ne veulent rien savoir des élections. «Je suis tanné d'en entendre parler. C'est une quête de pouvoir, dit Hugo Laquerre, qui est père de deux enfants. Je ne sais pas pour qui je vais voter.»

«En Beauce, c'est le candidat qui compte», indique Jean, un joueur de quilles de 62 ans qui vient de terminer sa partie. L'ancien banquier croit que Dutil va gagner.

Son camarade n'en est pas aussi certain. Mario Marchand s'attend à un vote serré, mais il ne voulait pas d'élections. «On n'a pas d'argent pour ça, et ça coûte 100 millions.» Lui aussi insiste sur un point : «En Beauce, on vote pour

l'homme.»

Le lendemain matin, quatre personnes, professionnels et gens d'affaires, déjeunent ensemble dans un restaurant du centre-ville. Pas question de publier leur nom, mais ils acceptent avec plaisir de parler politique. L'un d'eux, avocat, espère que les gens iront voter. «Nous avons le choix de voter entre une bonne personne ou une personne qui peut être ministre», résume-t-il.

S'il y a une chose qui a marqué ce groupe au cours de la campagne électorale, c'est un reportage télé qui montrait les Beaucerons à la messe, à la chasse et lors d'une soirée de danse en ligne. «Ils nous montrent encore dans le temps du père Gédéon, alors que nous sommes une région d'entrepreneurs!» dit l'une. «Ils auraient pu aller à la chambre de commerce au lieu d'aller à l'église», ajoute l'autre.

Car si ce n'est pas l'âge d'or de la Beauce, ce n'est pas l'enfer non plus. Parlez-en à André Morin, directeur général des Équipements Doyon, qui se spécialise dans l'équipement de cuisson. «Nos affaires vont bien. Nous avons 85 employés et nous exportons dans 27 pays», nous a dit M. Morin alors qu'il soupait avec des clients italiens dans un restaurant.

Il n'a pas apprécié que les Beaucerons passent pour des «colons» dans le reportage télé en question. «Il faut aussi montrer que ça va bien.

- Pour qui allez-vous voter?

- Je suis indépendant, mais je vote. Et je garde ça pour moi...»

Compris.

 

RÉSULTATS DES ÉLECTIONS EN 2007

Candidat (parti) / Nombre de bulletins valides / Pourcentage de bulletins valides

BEAUCE-NORD

Grondin, Janvier (ADQ) / 19 127 / 62,62%

Drouin, Claude (PLQ) / 8056 / 26,38%

Couture, Denis (PQ) / 2392 / 7,83%

BEAUCE-SUD

Morin, Claude (ADQ) / 19 361 / 56,85%

Leblanc, Diane (PLQ) / 10 283 / 30,19%

Côté, André (PQ) / 3578 / 10,51%

 

PROGRAMME DES RÉGIONS RESSOURCES

Cette mesure fiscale vise à «favoriser la diversification économique des régions ressources et à stimuler la création et l'expansion de sociétés locales». Elle permet aux sociétés admissibles d'obtenir un crédit d'impôt jusqu'au 31 décembre 2010.

Les territoires suivants sont reconnus comme régions ressources :

> Bas-Saint-Laurent

> Côte-Nord

> Saguenay-Lac-Saint-Jean

> Mauricie

> Abitibi-Témiscamingue

La Beauce est très mécontente de ne pas en faire partie.

> Nord-du-Québec

> Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine

> MRC d'Antoine-Labelle

> MRC de la Vallée-de-la-Gatineau

> MRC de Pontiac

Source : Investissement Québec